Commission Charbonneau
Un système de pratiques antidémocratiques révélé
Le rapport de la Commission Charbonneau n’invite pas à la lecture : la brique compte 1 741 pages et l’absence d’une pagination unique et d’un index rend sa consultation difficile. J’aurais aimé que la Commission fasse preuve, par souci démocratique, d’un minimum de pédagogie dans la présentation de son rapport final.
La Commission n’a pas nommé de coupables. Elle craignait d’être poursuivie par les accusé·e·s comme l’a été la Commission Gomery. Devant la cour, l’accusé est innocent jusqu’à la preuve du contraire. Le premier ministre Jean Chrétien a ainsi été lavé de tout blâme : on n’a pu prouver hors de tout doute qu’il ait su le magouillage qui se produisait sous son règne. Dans le rapport Charbonneau, cette impunité a été renforcée par le commissaire Renaud Lachance, cet ancien vérificateur général qui n’avait rien vu de répréhensible de 2004 à 2009 dans les relations entre le PLQ et des dirigeant·e·s d’entreprises. En affirmant, contrairement à madame Charbonneau, qu’il n’y a aucun lien, même indirect, entre le financement des partis et l’obtention des contrats, il sous-entend qu’il n’a rien vu lorsqu’il était vérificateur général parce qu’il n’y avait rien à y voir. Sa dissidence a plu aux porte-parole du PLQ et du PQ qui ont alors plastronné : nous avons respecté la loi et sommes innocents ! Mais, je ne suis guère certain qu’ils aient convaincu bien des citoyen·ne·s…
Si la Commission ne blâme personne, elle trace le portrait d’un vaste système de collusion et de corruption qui reposait sur l’aphorisme suivant : tout le monde le fait, fais-le donc. Il est scandaleux, mais non étonnant que, sauf exception, les participant·e·s à cette filouterie ne se sentent pas responsables de leurs actions. Dans les paragraphes suivants, le financement des partis et la sous-traitance me permettront d’illustrer le fonctionnement de ce système.
Le financement des partis
Le gouvernement de René Lévesque avait fait voter une loi en 1977 qui limitait le financement des partis par l’entreprise privée. Le Parti libéral du Québec a contourné cette loi en instituant la pratique du prête-nom : les individus finançaient le PLQ et étaient par la suite remboursés par l’entreprise pour laquelle ils travaillaient. Le PQ post-Lévesque, au lieu de défendre l’esprit démocratique de cette loi, a singé lamentablement son adversaire libéral. Or, le financement des partis par l’entreprise privée, largement répandu dans le monde et sanctifié aux États-Unis, demeure une institution antidémocratique, accordant aux riches un pouvoir d’influence considérable au détriment de celui du simple citoyen.
Sous-traitance et pantouflage
Depuis le début des années 1990, l’État fait de plus en plus appel à la sous-traitance, ses porte-parole arguant qu’elle entraîne des économies, car l’entreprise privée serait plus efficiente et productive que l’État. Or, cette thèse ne repose sur aucune étude sérieuse. Au contraire, la seule étude menée par un comité du ministère des Transports et publiée en décembre 2006 démontrait, comme d’autres études menées hors du Québec, que la sous-traitance augmente les coûts défrayés par l’État. De plus, la sous-traitance, entraînant la diminution des spécialistes au service de l’État, réduit l’expertise gouvernementale et sa capacité de surveiller les sous-traitants. Les politicien·ne·s et les hautes sphères de l’administration publique, immergés dans l’idéologie néolibérale, croient pourtant se fonder sur des faits…
Cette politique néolibérale de sous-traitance est complétée, selon la Commission Charbonneau, par une politique de pantouflage : des sous-ministres prennent leur retraite et vont travailler dans le secteur privé, renforçant ainsi le pouvoir des sous-traitants face à l’État. (La commission ne mentionne pas le cas de pantouflage de Couillard qui, ministre de la Santé sous le gouvernement Charest, négocie son passage au privé alors qu’il est toujours ministre. Qui croit que Couillard deviendra un critique du pantouflage ?)
Démocratisation de l’État
L’État et la séparation de la société entre riches et pauvres sont nés ensemble et demeurent inséparables. La corruption du premier par les puissances économiques est un fait historique. Des mouvements sociaux peuvent remettre en question cette corruption et la limiter, mais pour un temps seulement.
Faut-il pour cela se résigner ? Je ne le crois pas. La démocratie, cette limitation du pouvoir de l’oligarchie, a été créée par les travailleurs·euses. La liberté de pensée, d’expression, de manifestation, d’association et de vote est une conquête démocratique jamais définitive. La possibilité de se débarrasser d’un gouvernement tous les quatre ans n’est pas non plus négligeable. Je ne suis pas le seul à avoir fêté la chute du gouvernement Harper.
La commission présente 60 recommandations. Aucune n’est à négliger. Mais j’en retiens deux. Premièrement, la création d’une Autorité autonome des marchés publics pour surveiller les processus d’octroi et de gestion des contrats publics. Si je ne m’abuse, une AMP a été créée à New York. Elle a permis de réduire de façon appréciable la corruption. Deuxièmement, l’adoption d’une loi qui protégerait les lanceurs d’alerte, le plus souvent des travailleurs·euses au sein d’institutions publiques, contre des mesures de représailles, peu importe l’instance à laquelle ils s’adressent. Mais aucune recommandation ne sera appliquée dans son intégralité si ne se développe pas une mobilisation citoyenne pour la démocratie et contre la corruption.