Dossier - Autocratie municipale

Drummondville

Prestidigitation politique

Dossier : Autocratie municipale

Berthe Tessier

Depuis les fusions municipales, les Drummondvillois·es croyaient avoir un droit de regard légitime sur l’agrandissement du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore dont la gestion est assurée par l’entreprise Waste Management. Malgré l’opposition de la population au projet exprimée lors d’un référendum en 2013, la Ville est allée de l’avant. Depuis, des citoyen·ne·s se sont organisés au sein du Groupe des opposants au dépotoir de Drummondville (GODD) afin d’acquérir rapidement les habiletés nécessaires pour faire valoir leurs droits.

C’est une profonde indignation qui soutient le GODD dans cette démarche juridique, par laquelle ils espèrent retrouver un peu de confiance dans l’exercice de la démocratie au niveau municipal. Ce lien de confiance entre une bonne partie de la population drummondvilloise et ses élu·e·s municipaux s’est effrité le 17 juillet 2013 lorsque la Ville a émis à Waste Management un certificat de conformité qui allait donner l’aval à l’agrandissement du site d’enfouissement de Saint-Nicéphore.

Nous avions à Drummondville une sorte de paratonnerre nous garantissant qu’advenant une demande d’agrandissement de la part de Waste Management, la population devrait donner son approbation au projet. Une situation unique au Québec judicieusement négociée lors de la fusion de Saint-Nicéphore à Drummondville en 2004. La petite municipalité avait alors exigé cette garantie qui fut insérée dans le décret de fusion de l’époque (décret 626-2004, article 45), qui se lit comme suit et qui fait dorénavant partie de la charte de la Ville de Drummondville : « Tout règlement du conseil de la nouvelle ville et tout permis ou certificat d’autorisation délivré par un fonctionnaire de la nouvelle ville, visant à permettre l’agrandissement ou la construction d’un site d’enfouissement des ordures ménagères doit, pour avoir effet, être approuvé, conformément à la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, par les personnes habiles à voter du secteur de la nouvelle ville correspondant au territoire de l’ancienne municipalité où la construction ou l’agrandissement est envisagé, ainsi que par celles de l’ensemble du territoire restant de la nouvelle ville. »

Quand l’entreprise Waste Management a annon­cé, en 2012, qu’elle faisait une demande d’agrandissement de son site de Saint-Nicéphore, les citoyen·ne·s ont cru avoir un pouvoir démocratique légitime. Nous l’avons cru. Le 24 mars 2013, la Ville a tenu un double référendum. Dans le secteur de Saint-Nicéphore, la population a rejeté le projet d’agrandissement dans une proportion de 72 %. Pour le reste de Drummondville, ce fut un rejet majoritaire à 61 %.

Y a-t-il un pilote à bord ?

Nous avons cru en la probité de nos élu·e·s, et ce, bien naïvement, car dans les semaines qui ont suivi ces référendums, le projet d’agrandissement s’est poursuivi comme si de rien n’était. Le ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs à l’époque, Yves-François Blanchet, notre député, après avoir affirmé « qu’il n’irait pas contre la volonté de la population », a signé le décret ministériel 551-2013 approuvant la délivrance d’un certificat d’autorisation pour l’agrandissement du dépotoir. Les conseillers municipaux du secteur Saint-Nicéphore, Vincent Chouinard et Philippe Mercure, avaient promis « de défendre la décision des citoyens ». Ces belles promesses sont restées lettre morte. La Ville s’en est lavé les mains, s’en remettant à Québec.

Notre groupe a alors multiplié les démarches auprès de toutes les structures gouvernementales et paragouvernementales susceptibles de corriger cette injustice. Nous avons fait appel à la Commission municipale du Québec, à la première ministre Pauline Marois, au Commissaire aux plaintes, au ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT) de l’époque, Sylvain Gaudreault, au Directeur général des élections, au Protecteur du citoyen. La dernière déception en date étant une communication sans résultat du bureau du ministre des Affaires municipales actuel, Pierre Moreau. Nous sommes arrivés à la conclusion que nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes. Tout ce beau monde nous ayant répondu qu’il ne pouvait rien pour nous. Que ce n’était pas de leur ressort de définir la portée de l’article 45 du décret de fusion de 2004 relativement à la Loi sur les élections et les réfé­rendums dans les municipalités. Seule solution : entamer des procédures juridiques.

La démocratie des tribunaux

En janvier 2014, le GODD a entrepris des démar­ches légales avec l’aide de la clinique juridique Juripop de Sherbrooke qui s’est désistée au bout de quelques mois, par manque d’effectifs. En février 2015, le groupe a déposé une requê­te en nullité du certificat de conformité octroyé à Waste Management par la Ville de Drummondville pour l’agrandissement du dépo­toir de Saint-Nicéphore.

Contrairement à la Ville de Drummondville et à Waste Management qui sont représentés en cour par leurs avocats, notre groupe assume sa défense lui-même. Même si nous enregistrons déjà quelques victoires, même si nous réussissons à bien mener notre dossier malgré le peu de ressources financières, il n’en demeure pas moins que le système que nous croyions démocra­tique, en plus de drainer les ressources financières des citoyen·ne·s, exige d’eux une énergie et une détermination à toute épreuve afin que les principes sur lesquels le système actuel s’appuie soient mis en application. Faute de « Commission d’enquête publique », c’est un procès opposant des citoyen·ne·s à leur Ville qui est sur le point de commencer dans le Centre-du-Québec. Un procès dont le pouvoir citoyen est l’un des enjeux. Celui-ci est tellement impor­tant que vous ne risquez pas de le voir à la télé. C’est à suivre.

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