« Réclame ta rue »
Des rues citoyennes aux mille possibilités
par Antoine Casgrain
À Québec, le congé de la Fête du Travail a été l’occasion d’une activité festive hors du commun cette année. Une intersection achalandée du quartier Limoilou a été « libérée » de son trafic habituel pour faire place à une fête populaire dans le cadre de la deuxième édition de « Réclame ta rue » dans la ville de Québec. Une foule enthousiaste s’est mise à vibrer au ryhtme de plusieurs activités : peinture, musique en direct, danse, skatepark et performances artistiques. Regard sur un mouvement de réappropriation de l’espace public d’inspiration libertaire et écologique.
Le mouvement Reclaim the Street est né en Angleterre au milieu des années 90, puis il a rapidement pris son essor partout dans le monde. Les actions de reconquête de la rue sont principalement une réaction face à la manière dont notre espace public est aménagé. Favorisant grandement l’automobile, la division de l’espace urbain contribue à l’isolement des individus et à leur enchaînement dans un rythme de vie consumériste sollicité par les intérêts capitalistes. Les événements Reclaim the Street se définiraient comme la reconquête temporaire par les citoyens d’une voie automobile, afin de laisser place au foisonnement spontané d’activités festives et artistiques. En 1996, 7 000 Londoniens ont même réussi à bloquer une autoroute dans le cadre d’un Reclaim the Street. Certains rigolos sont allés jusqu’à percer le pavé pour y planter des arbres !
Plus qu’une action contre les chars
Pour les actions Réclame ta rue, l’auto est un point de mire qui illustre l’insanité du système. Le but des actions se veut beaucoup plus large que la revendication du transport en commun ou la réduction des automobiles en ville. Reconquérir la rue signifie agir à la défense et pour le bien commun. Selon Julie Lachance, impliquée dans l’événement à Québec : « Il n’y a pas de comité qui a décidé de mettre une bannière ou une revendication à l’avant-plan. En fait, il s’agit de la réappropriation du milieu de vie par les citoyens et les citoyennes qui en font partie. »
Le rejet de la hiérarchie est fortement ancré dans ce mouvement. En plus de ne pas indiquer l’emplacement du party aux autorités, on mise beaucoup sur la spontanéité des participants. C’est ainsi que les initiateurs et les initiatrices d’un Réclame ta rue n’organisent pas les activités de l’événement, ils ne font que lancer des invitations. Julie Lachance explique que l’organisation s’est limitée à apporter les infrastructures (génératrice, scène, tentes, etc.) et à assurer la sécurité. L’objectif étant de permettre à un maximum de gens de créer et de s’exprimer.
Établi en face des bureaux de la librairie alternative La Page Noire et de la radio communautaire CKRL, le Réclame ta rue à Québec aura également permis aux médias alternatifs de se faire voir de la population. Aux dires des participants, plusieurs familles du voisinage sont venues faire leur tour et aucune plainte n’aurait été portée contre les fêtards de rue.
« Nous ne bloquons pas le trafic, nous sommes le trafic »
Dans la même veine, il existe des randonnées à vélo appelées Masse critique. Ces randonnées se veulent une « coïncidence organisée » qui arrive lorsque des cyclistes se retrouvent au même endroit, à la même heure et décident de rouler ensemble pour un petit bout de chemin. Ils deviennent ainsi une masse critique assez grande pour perturber la circulation automobile. Dix-huit villes canadiennes possèdent leur randonnée régulière.
La première édition du Masse critique à Québec s’est déroulée lors de la Journée sans voiture, le 22 septembre. « Je vois notre action comme une thérapie de groupe, plus que comme une action politique, explique Véronique Bouchard, initiatrice de l’événement. En fait, c’était le fun de voir les deux voies du boulevard René-Lévesque bloquées et se dire : pour une fois, c’est nous, les cyclistes, qui avons le contrôle ».
Mais, les reprises de rue dérangent les autorités. En avril et en mai dernier, les randonnées Masse critique de Montréal ont été harcelées par la police. Par deux fois, les forces policières décidèrent de forcer la dispersion de la randonnée. Une trentaine de contraventions auraient été émises, en plus de l’arrestation d’un cycliste.
Tandis que se généralisent les Journées sans voiture, organisées par les municipalités, les militants continuent à prôner l’auto-organisation. « Cela laisse plus de place aux participants. On n’a besoin de la permission de personne pour se réapproprier notre milieu », affirme Julie Lachance.
Satisfaits du premier essai, les cyclistes de Québec comptent établir, à partir du printemps, un rendez-vous régulier pour des randonnées Masse critique. En attendant l’annonce d’autres événements « Réclame ta rue », le rendez-vous pour les randonnées de vélo Masse critique à Montréal a lieu tous les derniers vendredis du mois, à 17h30, au Carré Phillips.