10 ans de l’ALÉNA
Un dossier noir : l’environnement
par Martin Petit
Dix ans après l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange nord américain (ALÉNA), plusieurs plaintes ont été déposées devant les arbitres responsables de l’application du traité entre les États-Unis, le Canada et le Mexique. L’analyse des décisions rendues et des plaintes en suspens expose clairement ce que plusieurs craignaient depuis fort longtemps : l’ALÉNA, comme tous les accords commerciaux, sert principalement à protéger le fameux « droit au profit » si cher aux grandes entreprises au détriment du droit des collectivités à protéger leurs conditions de vie et ce, autant dans le domaine du travail, de la protection sociale que de l’environnement.
On se souviendra de la mort de l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI) comme d’un progrès puisque l’adoption de cette charte de protection des investisseurs aurait constitué l’assaut le plus important des maîtres du monde contre toutes les collectivités membres malgré elles de l’OCDE. Or, peu de gens savent que les textes de l’ALÉNA renferment des clauses similaires, enchâssées dans le chapitre 11 de l’accord, protégeant les droits des investisseurs.
Au total, vingt-neuf plaintes touchant au chapitre 11 ont été déposées devant les arbitres responsables de l’application de l’ALÉNA : douze contre le Mexique, dix contre les États-Unis et sept contre le Canada. Treize d’entre elles touchent de très près aux questions environnementales par le biais d’entreprises œuvrant dans différents domaines. Parmi celles-ci, on retrouve deux cas troublants qui ont été réglés, celui du MMT ainsi que celui déposé par la compagnie Metalclad.
Ethyl Corporation contre le Canada
Ethyl produit un additif pour l’essence à base de manganèse, le MMT, qui élève l’indice d’octane. Selon les fabricants d’automobile, le MMT causerait des dommages importants aux automobiles en les encrassant. Chez les êtres humains, selon plusieurs spécialistes, le manganèse se concentre dans le cerveau et peut causer des maladies graves. Pour ces raisons, le MMT est interdit dans la plupart des pays, dont les États-Unis (pays producteur).
En juin 1997, le gouvernement canadien décide d’interdire l’importation du MMT. Ethyl réagit en poursuivant le gouvernement canadien pour 251 millions $. Ottawa règle hors-cour, accorde 13 millions $ US à Ethyl, abandonne sa loi anti-MMT et permet la vente au Canada d’un produit actuellement interdit aux États-Unis parce que trop dangereux pour la santé.
Metalclad (USA) contre le Mexique
L’État mexicain conclut une entente avec Metalclad pour importer des déchets toxiques et les enfouir dans un site situé dans la province de San Luis Potosi. Une étude environnementale révèle par la suite que le site siège sur une nappe phréatique importante qui approvisionne la population locale en eau potable.
Le gouvernement interdit donc l’ouverture du site d’enfouissement et annexe le territoire à une zone écologique. Metalclad poursuit alors le gouvernement mexicain pour une somme de 90 millions $. Le Mexique a été condamné à payer 16,7 millions $ US à Metalclad.
Le fait de procéder à des études environnementales avant de donner l’aval à un projet est une procédure tout à fait normale et répandue. Au Québec, cette fonction est assumée par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
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Rappelons qu’en vertu de l’ALÉNA, toute ressource devient marchandise dès qu’elle a été intégrée dans une seule transaction commerciale entre deux pays. En ce sens, la question de l’eau pose un sérieux problème puisqu’une seule exportation en ferait d’office un bien commercial. Si cela arrivait, il deviendrait impossible de restreindre la libre circulation de cette ressource même si la surexploitation de celle-ci peut causer des pénuries ou des déséquilibres écologiques importants. À titre d’exemples, les « produits forestiers » et le pétrole font déjà partie de ces ressources ; c’est donc dire que l’ALÉNA a retiré de facto le droit de regard de toute communauté nord-américaine sur les affaires courantes des multinationales qui œuvrent chez elle dans ces domaines.
Comme bien d’autres avantages juridiques et/ou économiques conférés aux grandes entreprises par les gouvernements, la simple existence d’accords commerciaux incluant des clauses de protection des investissements constitue, en quelque sorte, une « assurance contre les risques » qu’une administration gouvernementale n’entrave le droit au profit, et ce, peu importe la validité des considérations. La seule existence d’un tel accord exerce une pression sur la capacité des trois pays à réglementer dans presque tous les domaines où les administrations peuvent intervenir afin de protéger les collectivités contre les excès du système capitaliste. Les vendeurs de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) proposent d’étendre cette pression illégitime aux Amériques (à l’exception de Cuba).
Résister
Face à cet assaut contre les collectivités, plusieurs pistes d’actions s’offrent à nous. La solidarité, l’appui politique et financier des groupes en lutte, l’affrontement légal, les grandes mobilisations lors des négociations, les pressions constantes envers les élus qui négocient ces accords et l’action directe contre des cibles stratégiques ne sont que quelques exemples de pistes de résistance. Les groupes historiquement à gauche qui disposent de ressources financières importantes devraient prendre acte de l’échec des stratégies réformistes qui réclament une « mondialisation à visage humain » afin de s’engager dans des luttes radicales pendant qu’il en est encore temps.