Tromperies et reculs à l’aide sociale

No 007 - déc. 2004 / jan. 2005

Social

Tromperies et reculs à l’aide sociale

par Vivian Labrie

Vivian Labrie

Le 13 décembre 2002, l’Assemblée nationale du Québec adoptait à l’unanimité la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cette loi visait et vise toujours à engager le gouvernement et la société québécoise à « tendre vers un Québec sans pauvreté ». Deux ans plus tard, une réforme de l’aide sociale en trois morceaux – le projet de loi 57 – s’avère l’une des pièces les plus empoisonnées de l’automne politique. Le gouvernement prétend appliquer la loi sur la pauvreté. En réalité, il l’enfreint grossièrement. Il y a ici un test pour les processus démocratiques. Et un autre pour l’action citoyenne.

Rappelons les faits. La Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale a été mise en vigueur, partiellement, le 5 mars 2003, juste avant le déclenchement des dernières élections québécoises.

Alors que cette loi impose d’améliorer les revenus et les conditions de vie de l’ensemble des personnes en situation de pauvreté, le Plan d’action publié le 2 avril 2004 par le gouvernement Charest poursuit la dévaluation des prestations pour les deux tiers des personnes à l’aide sociale : il projette de réduire de moitié le taux d’indexation à partir de janvier 2005. Nous parlons ici de prestations mensuelles de 533 $, qui ne permettent à personne de couvrir ses besoins et qui ont perdu 30 % de leur valeur depuis 20 ans à défaut d’être indexées correctement.

Le projet de loi 57 (Loi sur l’aide aux personnes et aux familles), déposé en juin 2004 pour remplacer la loi actuelle sur l’aide sociale, enfreint en plusieurs points la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale qu’il devrait normalement appliquer. Il échoue même à opérer les changements spécifiques qu’elle impose sur l’instauration d’une prestation minimale protégée de toute réduction, sur l’amélioration des biens et avoirs liquides permis et sur l’exemption de la pension alimentaire dans le calcul de la prestation. À l’exception d’un article, à conserver, qui abolit les pénalités pour refus de participer à des mesures ou d’accepter un emploi. Le projet de loi a pour effet soit de confirmer un statu quo inacceptable, soit de dégrader le régime d’aide sociale. Il ignore la nécessité, pourtant vitale, de couvrir les besoins essentiels des personnes et des familles. Piégé dans des préjugés graves et dans une doctrine fallacieuse de l’incitation au travail, il consolide les discriminations entre personnes dites aptes ou inaptes au travail. Il diminue les garanties et protections spécifiées dans la loi.

Le projet de loi retournerait en fait à une gestion par régimes particuliers (comme la loi sur les mères nécessiteuses et celle sur les aveugles). Une situation dénoncée par le rapport Boucher de 1963, que la première loi sur l’aide sociale est venue corriger en 1969 par la création d’un régime unique fondé sur des droits et sur la couverture des besoins, deux notions en voie de disparition. Le programme actuel d’assistance-emploi serait ainsi séparé en quatre programmes distincts :

1) l’aide sociale, régime par défaut dévalué et désinvesti ;

2) la solidarité sociale, pour les personnes dites avec contraintes sévères à l’emploi ;

3) Alternative Jeunesse pour les 18-25 ans, et 4) des « programmes spécifiques », pour diverses situations. Les deux dernières catégories sont sans droit de recours et soumises à la discrétion du ministre.

La tendance « partenariats public-privé » mènerait à des formes de sécurité du revenu privées : des besoins spéciaux couverts ou des allocations de participation défrayées par un partenaire, groupe, entreprise, société ou personne, pourraient ainsi être considérés comme payés au titre de la loi ! Ajoutons, pour que la mesure soit pleine, le retour du spectre de la saisie des chèques pour non-paiement de loyers, exhumé des débats de la réforme de 1998 et amplement repris par les médias démagogiques lors de la sortie du projet de loi en juin dernier.

Comme si cela ne suffisait pas, un projet de modification aux règlements a ensuite été publié le 22 septembre 2004, quelques jours après la date limite pour le dépôt des mémoires à la commission parlementaire sur le projet de loi. Ces modifications aggraveraient la situation :

1) en coupant 100 $ aux prestations de 533 $ pour partage de logement familial – alors que la loi sur la pauvreté abolit la coupure pour partage de logement ;

2) en privant des milliers de ménages d’une allocation logement mensuelle allant jusqu’à 80 $ pendant l’année de leur inscription à l’aide sociale ;

3) en éliminant une allocation mensuelle pour frais d’emploi allant jusqu’à 25 $ et

4) en réduisant l’accès à l’aide pour des milliers de personnes.

Dans tous ces cas, le ministre fait fi des examens d’impact sur les revenus des personnes en situation de pauvreté, examens qui lui sont pourtant imposés par l’article 20 de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Le projet de modification au règlement prévoit toutefois l’examen d’impact sur les entreprises et les PME !

Comment sortir de l’impasse ainsi imposée aux personnes en situation de pauvreté et, de là, à toute la société ? La solution du Collectif pour un Québec sans pauvreté fait appel à la raison :

1) retirer le projet de loi 57 et le projet de modification aux règlements ;

2) amender la loi actuelle de l’aide sociale pour la conformer à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et pour assurer qu’elle couvre les besoins essentiels, dans la dignité et sans distinction par rapport à l’aptitude présumée au travail ;

3) ouvrir un débat public mettant à profit l’expertise citoyenne, dont celle des personnes en situation de pauvreté, pour concevoir un régime de garantie du revenu qui remplacerait le régime actuel d’aide sociale.

Encore faut-il contrer les responsables de cette impasse. Les gestes du présent gouvernement ressemblent fort à une « correction du marché » devant les avancées citoyennes des dernières années. La sortie récente de l’Institut économique de Montréal en appui à la diminution des prestations le rappelle assez bien. Qui aura le dernier mot ?

Collectif pour un Québec sans pauvreté

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