La bactérie PPP-difficile s’attaque à notre système de santé
par Gaétan Breton
La présence du privé implique toujours un profit, qui devient un coût social. Le privé se finance habituellement à des taux supérieurs à ceux que peut obtenir le public, villes ou gouvernements. Donc, si le fonctionnement privé, incluant ses coûts de financement plus élevés et le profit, est moins cher que le fonctionnement public, deux explications sont possibles : 1) la firme traite ses employéEs en esclaves, les paient très peu, engage des sans-papiers sous le salaire minimum et ne leur offre que la protection minimale légale. De telles pratiques vont rejaillir sur les coûts publics par des gens à soigner en plus, étant ainsi « maltraités », ou à soutenir par des pensions plus élevées, etc. ; 2) le secteur public est grossièrement mal géré. Mais rassurons-nous immédiatement, on ne connaît aucun exemple où l’intégration du privé ait fait diminuer les tarifs.
Alors, si un gouvernement ne voit pas d’autres solutions que la privatisation, il admet être incapable de gérer les services publics et, en conséquence, il devrait avoir l’intelligence et surtout l’honnêteté de démissionner au lieu de brader l’État à rabais à l’entreprise privée.
Le cas de la santé : le privé est déjà très important
En 1998, la part des dépenses assumées par les particuliers dans le secteur de la santé était à 31 % au Québec, plus élevée que la moyenne canadienne. Les dépenses privées croissaient de 5 % par année et les dépenses publiques de 0,7 %. Les dépenses privées ont vraisemblablement atteint les 40 % en 2004, ce qui constitue une privatisation du système. Avons-nous vu des améliorations dans les services et des réductions de coûts ? Ce serait plutôt le contraire. Tous les services auxiliaires privatisés, dans les hôpitaux, coûtent maintenant beaucoup plus cher (par exemple le stationnement) alors que la qualité a diminué (par exemple la nourriture).
Une grande portion de ces dépenses privées passe par les compagnies d’assurances. 80 % des Canadiens ont une assurance-santé privée couvrant, par exemple, 87,5 % des services d’autres professionnels (chiropraticiens, acupuncteurs), 71,6 % des coûts de médicaments, 40,1 % des services dans des établissements hors réseau, etc.
L’État québécois dépense moins que ses voisins pour la santé. Cette privatisation en douce s’exprime ainsi : en 1980, le Québec était le leader au Canada avec 81,5 % des dépenses publiques, alors qu’en 1998, nous en étions à 69,1 %, derrière la très privatisée Alberta et loin derrière la plupart des pays de l’OCDE. En 1980, nous dépensions 7 % de plus que la moyenne canadienne alors qu’en 1998 nous étions 11,7 % en dessous de cette moyenne. Pourquoi donc, dans ces conditions, les médias et les politiciens s’expriment-ils toujours comme si, au Québec, les soins de santé coûtaient bien plus cher qu’ailleurs ?
Comparaison avec les États-Unis
Aux États-Unis, le système de santé est largement privé. Si le secteur privé baissait les coûts et améliorait les services, les Étatsuniens jouiraient d’un système beaucoup plus performant et moins cher. Or, si on excepte le délire des Invasions Barbares, la situation y serait plutôt préoccupante.
En 1998, les Étatsuniens dépensaient 4 090 $ par habitant, soit 11,5 fois le montant de 1970. Les Québécois en dépensent comparativement 1 883 $, pour une croissance de 7,6 depuis 1970. Les Québécois dépensent beaucoup moins que les Étatsuniens et contrôlent beaucoup mieux la croissance des coûts de santé. Le Québec investit 9,1 % de son PIB dans la santé contre 14 % aux États-Unis. En outre, plus de 40 millions d’Étatsuniens ne sont nullement protégés puisqu’ils ont un salaire qui les place en marge des protections publiques, tout en étant insuffisant pour se payer des assurances.
Ayant admis que le système québécois coûte bien moins cher par habitant que le système étatsunien, demandons-nous si la qualité des services justifierait la différence. Pour ce faire, on utilise généralement des indicateurs. L’espérance de vie est meilleure au Québec et la mortalité infantile y est significativement moindre. Tout ça, semble-t-il, réalisé avec moins de moyens. Par exemple, en 1997, le Canada avait 2,1 médecins par 1000 habitants contre 2,7 aux États-Unis et 7,5 membres du personnel qualifié contre 8,3 chez nos voisins.
Ce qui coûte cher
Tout cela n’implique pas que notre situation soit parfaite. Certaines améliorations pourraient être apportées. Pendant la période de 1990 à 1999, alors que les quelques médecins à salaire voyaient leur revenu baisser et que le revenu des médecins payés à l’acte et à l’unité augmentait de près de 25 %, la rémunération des médecins payés à l’acte et au forfait quotidien augmentait de 92 %, ce qui est peu compatible avec le sort du reste de la société.
Une autre cause de l’augmentation des coûts demeure le prix des médicaments qui a plus que doublé en 10 ans. Mais, il est possible de faire autrement. L’Australie, avec un régime national, a réussi à maintenir ses coûts 30 % en dessous de la moyenne de l’OCDE alors que le Canada, avec sa complaisance extraordinaire pour les compagnies pharmaceutiques, est 30 % au-dessus. La différence est énorme.
Aucun argument valable
Il faut faire attention à la façon de regarder les choses. Il se peut qu’une couverture nationale pour les médicaments coûte plus cher pour le gouvernement, mais les coûts publics additionnés aux coûts privés sont bien plus élevés. Le citoyen gagnerait à payer en taxes un coût moindre que son paiement total actuel. Les gens doivent cesser de paniquer en regardant le montant du budget de la santé et ne pas se laisser manipuler par les mercenaires des profits privés.
Des chiffres qui précèdent, une chose apparaît clairement : dès que nous nous approchons du privé, les coûts augmentent, des gens passent à travers les mailles d’un filet social de plus en plus lâche pendant que les indicateurs de qualité se dégradent. Alors, au-delà des discours vides, où sont les arguments sérieux en faveur des PPP ? Nous attendons toujours.