Travail
2015 : des gains et des luttes dans le monde du travail
L’année 2015 a été marquée par de nombreux événements. Certains d’entre eux concernent directement les relations de travail et l’emploi au Québec ainsi qu’au plan fédéral. Sans être exhaustive, cette chronique vise à mettre l’accent sur quelques-uns de ces faits.
Soulignons d’emblée que 2015 marquait l’anniversaire de deux lois importantes en droit du travail, soit la Loi sur la fonction publique qui fêtait ses 50 ans et la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic qui célébrait ses 30 ans. Ces anniversaires sont cependant passés sous silence, probablement en raison de la négociation collective dans le secteur public québécois dont il a été beaucoup question.
Pourtant, il s’agit de dispositions législatives importantes. En effet, ces deux lois concernent les représentant·e·s des travailleuses et travailleurs, mais aussi l’État- employeur, caractère qu’il ne faut pas omettre. La première vise à encadrer le travail des fonctionnaires et traite de la négociation collective des agents de la paix, dont le régime juridique laisse peu de marge de manœuvre aux parties. La seconde loi dispose de la négociation collective dans les secteurs public et parapublic. Le régime est très strict et comporte de nombreuses conditions guidant l’organisation de la négociation collective.
Par exemple, les offres patronales peuvent être faibles et décourageantes pour la partie syndicale et ses membres. On a pu le constater au cours des négociations collectives de l’automne dernier. Le 18 décembre 2015, une entente de principe semble exister entre le Conseil du trésor et le Front commun. Aucune information n’a filtré pour le moment. De leur côté, le secteur de l’éducation et celui de la santé et des services sociaux (SSS) vivent l’étirement – inutile – à la table de négociation. Un tel ralentissement, ou encore un manque de volonté de négocier, pourrait être source de mauvaise foi, tel qu’entendu par la Commission des relations du travail (désormais le Tribunal administratif du travail). Il pourrait aussi s’agir d’adopter des propositions et des positions intransigeantes et inflexibles. Les organisations syndicales du secteur public ont décidé de déclencher des grèves tant dans le secteur de la SSS que dans celui de l’éducation. Le rapport de force en faveur de la partie syndicale n’est pas très fort, mais la résistance existe : elle est bel et bien présente ; il suffit pour s’en convaincre de suivre le déclenchement régulier de grèves et de manifestations. Nul doute qu’il sera encore question de ces négociations pendant quelques semaines encore en 2016.
Loi spéciale et grève sociale
En 2015, les mesures d’austérité du gouvernement Couillard ont frappé de plein fouet les services publics. Les coupes budgétaires se sont multipliées ; le secteur public est passé à la machette. Les travailleuses et travailleurs se sont mobilisés tant qu’ils l’ont pu pour les contrer. La CSN et ses Conseils centraux du Montréal Métropolitain et de Chaudière-Appalaches, par exemple, ont été particulièrement actifs et mobilisés. Ils ont mené des « actions économiquement dérangeantes », de toute nature, et n’ont pas manqué de créativité en la matière. Ils ont également été présents lors des piquets de grève pour soutenir les grévistes affiliés à la CSN. Les autres centrales et fédérations en ont fait autant de leur côté et ont tenté de soutenir au maximum leurs membres.
Si la mobilisation a parfois fait défaut, ce n’est pas nécessairement la faute de la base syndicale, mais plutôt celle de l’exécutif syndical qui a eu du mal à entendre le signal du départ dans le brouhaha de la négociation, voire du conflit collectif. Sans nommer de syndicats en particulier, il est arrivé que des sous-groupes de travailleuses et de travailleurs se soient mobilisés d’eux-mêmes et ont poussé l’exécutif à avancer.
La multiplication des grèves dans le secteur public a eu lieu, tout l’automne, sous la chape de plomb de la menace d’une loi spéciale, qui est avant tout un instrument politique. Qu’elles soient agitées comme un épouvantail ou qu’elles soient réellement adoptées, les lois spéciales servent à modifier, par la force, les relations entre l’État et la société. Ce sont des lois qui peuvent limiter très fortement, voire mettre un terme, à l’exercice de différentes libertés garanties par la Charte canadienne des droits et libertés, notamment l’exercice de la liberté d’association. Il s’agit ni plus ni moins de « lois-matraques ». Se pose alors à chaque table de négociation collective dans le secteur public la question de la mobilisation des membres syndiqués, soit plus précisément celle du comportement à adopter face à une loi spéciale qui obligerait un retour au travail, des sanctions et des conditions de travail pendant x nombre d’années.
Sans exposer en détail la mobilisation, il convient de souligner que celle-ci semble avoir été de plus en plus importante plus les négociations se prolongeaient, le Front commun tentant de maintenir une cohésion permanente. Lentement mais sûrement, l’idée de la grève sociale a fait son petit bonhomme de chemin au cours de l’année 2015. Les syndicats et syndiqué·e·s ont pu bénéficier d’un coup de pouce important de la Cour suprême du Canada l’an dernier. En effet, en janvier 2015, la CSC invalidait une loi votée par le législateur de la Saskatchewan restreignant le droit de grève des employé·e·s de la fonction publique. Ce faisant, la Cour suprême a reconnu au droit de grève un caractère constitutionnel [1]. Cette décision aura permis de nombreux débats sur la conciliation du droit constitutionnel d’exercer le droit de grève et le recours à une loi spéciale.
En 2015, l’adoption d’une telle loi était sur toutes les lèvres. Toutefois, l’entente de principe aura permis de calmer le jeu. La clé restera cependant toujours la résistance citoyenne ! Il faudrait défier toute loi spéciale, mais collectivement. Si tous les opposant·e·s à une loi spéciale se levaient en même temps, l’effet de masse pourrait nous donner une chance d’échapper aux sévères sanctions qu’entraîne toute désobéissance à cet égard qu’on a pu voir dans le passé (amendes, perte d’années d’ancienneté, congédiements sommaires, etc.).
Il s’agit là de ce qu’on pourrait appeler la « grève sociale » ou « grève de protestation » ; elle peut se définir comme un mouvement professionnel, pacifique et ordonné se traduisant par la cessation du travail dans le secteur public ou privé : l’objectif de la grève sociale est notamment de contrer les politiques d’austérité du gouvernement. Le Comité de la liberté syndicale (CLS) de l’Organisation internationale du travail (OIT) a multiplié ces dernières années les avis affirmant que la « grève sociale » est légitime. Or, dans la « décision Saskatchewan » évoquée plus haut, la Cour suprême du Canada disait accorder une « très haute valeur interprétative aux avis du CLS » de l’OIT. À de nombreuses reprises, le CLS a rappelé le principe suivant : « Bien que les grèves de nature purement politique n’entrent pas dans le champ d’application des principes de la liberté syndicale, les syndicats devraient avoir la possibilité de recourir aux grèves de protestation, notamment en vue de critiquer la politique économique et sociale du gouvernement. » (Cas no 3011 [Turquie], 2014). Le CLS précise en outre que : « Une interdiction des grèves sous prétexte qu’elles ne sont pas liées à une mésentente liée à la négociation d’une convention collective est contraire aux principes de la liberté syndicale. » (Cas no 2473 [Royaume-Uni], 2008). Dans de telles conditions, la résistance civique aux lois spéciales devrait être légitime.
Quelques événements en vrac
Le cas Uber a continué de faire couler de l’encre en 2015. Au Québec, Uber œuvre dans le transport de personnes, à très bas prix, et fait ainsi concurrence aux entreprises de taxis. Ces dernières exigent que les conducteurs d’Uber disparaissent, ou au moins qu’ils soient très encadrés par la loi, comme le sont les chauffeurs·euses de taxi en règle. En attendant, un nombre grandissant de véhicules Uber sont saisis jour après jour. Cette « concurrence déloyale » s’ajoute à la pénibilité de la tâche des chauffeurs de taxi, qu’ils soient propriétaires ou locataires. Leurs heures de travail sont longues, frôlent assez souvent les 20 h par jour, varient en fonction de la météo ; le travail de nuit peut être dangereux, etc. Que cela soit pour protéger les passagers ou les conducteurs Uber, les propriétaires ou les locataires de taxis, le législateur devra intervenir pour assainir l’industrie cette année.
Sur la scène fédérale, il convient de rappeler l’entrée en vigueur de la loi C-525 et l’adoption de C-377 en juin dernier. La première porte gravement atteinte à la syndicalisation des associations dans le milieu fédéral et facilite la suppression de l’accréditation [2]. La seconde impose aux syndicats d’ouvrir leurs livres comptables, une obligation arbitraire à laquelle d’autres types d’organisations ou d’entreprises n’ont pas à se conformer. Le gouvernement Trudeau a abrogé fin janvier ces deux lois conservatrices, comme cela avait été promis en campagne électorale. Néanmoins, la suite des choses n’est pas assurée puisque le Parti conservateur aura son mot à dire au Sénat, où il reste majoritaire.
Enfin, on ne peut passer sous silence les sévères compressions du gouvernement Couillard dans les budgets des groupes communautaires et populaires de défense des personnes les plus démunies physiquement, psychologiquement et matériellement, bien que ceux-ci assurent bon nombre de services que l’État-providence, aujourd’hui en voie d’être dissout, aurait dû assurer lui-même. Il s’agit là d’une pernicieuse forme de privatisation des services publics.
Il faut continuer la lutte contre la répression subie par les travailleuses et travailleurs au sein du monde du travail – tant dans le secteur privé que public – et demeurer optimiste, malgré les attaques et les frappes. 2016, espérons-le, sera meilleure que 2015 pour les travailleuses et les travailleurs.
[1] Voir Léa Fontaine, « Contrer une loi spéciale ? », À bâbord !, no 61, oct.-nov. 2015.
[2] Voir Léa Fontaine, « Projet de loi C-525 : nouvelle attaque en règle contre le syndicalisme ? », À bâbord !, no 61, oct.-nov. 2015.