Joseph Stiglitz
Un autre monde. Contre le fanatisme du marché
lu par Jean-Marc Piotte
Joseph Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Fayard, 2006
L’auteur, prix Nobel en économie pour ses recherches sur l’information incomplète et limitée qu’offre le marché, se situe dans la lignée de Keynes, contre Friedman. Son livre, dont le titre s’inspire du slogan « Un autre monde est possible » du Forum social mondial tenu à Bombay en 2004, critique la mondialisation néolibérale qui détruit l’environnement et qui accroît l’inégalité entre les riches et les pauvres, non seulement entre les pays, mais aussi dans chaque pays.
Stiglitz multiplie les exemples des malfaisances du néolibéralisme. La Chine se développe à un rythme effarant en ne respectant aucune des politiques du Fonds monétaire international, tandis que l’économie de la Russie s’est effondrée en suivant ces économistes qui déifient le marché. L’ALÉNA n’a pas empêché l’écart croissant de richesses entre les États-Unis et le Mexique, a été incapable de stimuler un développement ferme de l’économie mexicaine, tout en plongeant dans la misère les planteurs de maïs mexicains impuissants à concurrencer le maïs américain massivement subventionné. L’ALÉNA a obligé l’État mexicain, comme celui du Canada, à indemniser des entreprises américaines pour des pertes commerciales dues à des réglementations visant la protection de l’environnement et de la santé publique. L’ALÉNA n’empêche pas les multinationales américaines de contourner le libre-échange lorsque leurs intérêts sont contrecarrés, comme l’a démontré le litige sur le bois-d’œuvre. « Je l’ai vu à de multiples reprises, dit l’auteur, quand je faisais partie de l’administration Clinton. Nous portions une accusation de dumping (bien que la vente à bas prix des produits concernés fût bénéfique aux consommateurs américains) : nous étions à la fois le procureur, le juge et le jury, et les règles de la preuve auraient fait rougir le “juge” d’un “tribunal” mafieux. Les preuves sur lesquelles nous nous appuyions étaient souvent celles que présentait le concurrent américain, qui voulait balayer ses rivaux du marché (en 2000, l’amendement Byrd a donné une incitation supplémentaire : tous les droits antidumping perçus seraient renversés aux victimes – c’est-à-dire à ceux qui avaient porté plainte). Sur la base de ces informations, nous imposions à titre provisoire des droits très lourds, ce qui faisait perdre des ventes à l’exportateur et, en fait, l’expulsait du marché. Un ou deux ans plus tard, après enquête complète, nous annoncions des droits corrigés, souvent fortement revus à la baisse – mais à ce moment-là le mal était fait. »
L’auteur montre aussi que l’Argentine, en refusant d’honorer les remboursements de sa dette, a enchaîné trois années de croissance économique de 8 % et a finalement forcé les créanciers à accepter un règlement où ils recevaient 0.34 $ pour chaque dollar prêté. Il ne comprend pas pourquoi le Brésil de Lula n’a pas suivi la voie tracée par l’Argentine.
Dans chaque chapitre consacré à un problème spécifique, dont celui sur le fardeau de la dette, Stiglitz propose un certain nombre de mesures qui permettraient une mondialisation respectueuse de l’environnement et une mondialisation qui profiterait aux pays pauvres et aux démunis de chaque pays. Mais il ne nous dit pas comment les perdants de la mondialisation néolibérale pourraient imposer aux gagnants de ce monde une politique qui ne satisferait pas étroitement leurs intérêts. Comment, par exemple, amener les États-Unis à agir autrement, eux qui ont le droit de veto sur toute décision du FMI et qui nomment, sans consultation, le président de la Banque mondiale ? L’économiste néglige d’explorer les voies politiques qui pourraient permettre un renversement du rapport de forces au plan international.