International
Un Forum social mondial tourné vers l’action
La crise économique et financière a donné une nouvelle pertinence au Forum social mondial, tenu cette année à Belém, au Brésil, du 27 janvier au 1er février. Certains reprochaient à cet événement de reprendre les mêmes analyses et de répéter les mêmes critiques impuissantes du néolibéralisme. Mais la chute de la finance internationale, jointe aux crises climatique, alimentaire et énergétique, a fait la preuve que les politiques adoptées par les gouvernements depuis les 30 dernières années ont mené à une série de catastrophes. Plus que jamais, les participants au Forum ont été invités à formuler des alternatives, à proposer des solutions concrètes et efficaces pour améliorer la marche du monde.
À Belém, on retrouvait un peu moins de ces personnalités de marque qui ont fait connaître le mouvement altermondialiste, les Noam Chomsky, Vandana Shiva, Ricardo Petrella, Naomi Klein ou José Bové. Une nouvelle génération de militants s’activait avec les plus aguerris pour mettre en branle des réseaux, organiser des groupes de travail, rédiger des appels et des déclarations qui serviront aussi de programme pour contrer les méfaits de politiques qui ont engendré le chaos.
Contrairement à ce qu’avançait François Brousseau dans Le Devoir du 2 février, on ne voyait pas de participants avec des T-shirts arborant le « Yes We Can » de Barack Obama – le nouveau président états-unien, entouré d’une équipe économique conservatrice, soulève un espoir teinté d’une grande méfiance. Et il devient surtout un pur cliché que de dire que « l’on assiste à un grand brassage idéologique certes, mais qui manque de fil conducteur. »
Loin de se limiter à des slogans réducteurs, pourtant appréciés des médias, les participants se sont donné la tâche exigeante de cibler des problèmes précis, puis d’envisager une série de mesures, dans le but d’apporter des solutions aux problèmes actuels dans l’intérêt de la majorité et dans le plus grand respect de la démocratie.
La crise économique crée une conjoncture favorable : plus que jamais, il est temps de trouver des solutions efficaces devant des maux qui risquent de tourmenter les populations mondiales pendant de longues années. Alors que les grands de ce monde balbutiaient à Davos, incapables de trouver des solutions à une crise qu’ils ont créée de toutes pièces, les altermondialistes sont saisis d’une ferveur nouvelle, sachant que pour eux, le moment est propice, qu’ils peuvent désormais puiser dans l’immense répertoire de politiques qu’ils défendent depuis des années, mais auxquelles on refusait de porter attention.
Une crise systémique
Le choix de la ville de Belém comme hôte du Forum n’avait rien d’arbitraire. La première journée du FSM portait presque exclusivement sur l’enjeu fondamental de la protection de l’Amazonie, dont la dévastation affecte l’ensemble de la planète. La présence remarquée de nombreux autochtones amazoniens en costume traditionnel a aussi permis de rappeler que la survie de ces peuples est directement liée à la préservation de leur environnement.
Par la suite, la crise économique est devenue le sujet incontournable du FSM, abordé tant dans le Forum intersyndical que dans les innombrables ateliers donnés par les groupes les plus divers. Cette crise a été qualifiée de « systémique » parce qu’elle ne relève pas d’un mauvais fonctionnement conjoncturel de l’économie, mais bien des principes de base d’une idéologie axée entre autres sur la déréglementation, la privatisation et la croissance illimitée, qui ont orienté les choix des gouvernements. Il faut donc envisager un « changement de paradigme », qui mettra de l’avant des principes plus rassembleurs et, surtout, assurant une plus grande justice sociale.
Face à la crise, les participants du FSM devaient non pas trouver des solutions nouvelles et miraculeuses, mais mettre de l’ordre dans une série de propositions formulées auparavant de façon aléatoire, en relation avec des critiques du système longuement élaborées, et rendre ces propositions claires et recevables à la fois pour les gouvernements, les partis politiques et les organisations de la société civile qui les soutiendront et les diffuseront.
Un monde plus juste doit d’abord se bâtir à partir d’un contrôle public de la finance. Plutôt que de servir aux intérêts de banquiers qui conçoivent des produits financiers d’une infinie complexité et dont ils perdent le contrôle, les banques devraient être reconnues comme service public et gérer de façon responsable l’argent des déposants. Pour y arriver, il faut, par exemple, séparer les banques commerciales des banques d’investissement, éradiquer les produits financiers toxiques, interdire les fonds spéculatifs et les marchés de gré à gré, éliminer le système de retraite par capitalisation boursière.
Puis, il est nécessaire de repenser la fiscalité, de façon à planifier une distribution beaucoup plus équitable de la richesse. Il faut ainsi établir une fiscalité véritablement progressive, s’attaquer aux paradis fiscaux, réduire l’évasion et l’évitement fiscal. Il faut aussi mettre en place une fiscalité internationale, qui aurait le mérite de s’attaquer à la concurrence fiscale, de taxer les fortunes et les transactions financières. Les revenus considérables accumulés grâce à ces mesures permettraient de relancer, sous un contrôle démocratique constant, les services publics et les programmes sociaux, durement affectés par les privatisations, et de combattre la pauvreté partout dans le monde.
Plusieurs ateliers portaient sur la notion de « justice climatique » (climate justice), qui relie les désordres écologiques causés par l’activité humaine à de nouvelles injustices. Causé principalement par les populations du Nord, le réchauffement climatique affecte les populations les plus pauvres, entre autres par l’assèchement des terres et les tempêtes tropicales, et provoquera probablement chez celles-ci d’importants mouvements de population avec l’élévation du niveau des mers. Le changement de paradigme souhaité doit donc inclure une série de mesures pour contrer les effets du réchauffement climatique sur les populations les plus vulnérables, ce qui n’a pas vraiment été fait lors de la rencontre internationale de Poznan.
De nécessaires mobilisations
La route sera longue cependant avant que les gouvernements adoptent des mesures qui vont dans le sens contraire de ce qu’ils défendent depuis plusieurs années, et qui exigent un contrôle des plus que puissantes institutions financières. Ainsi a-t-on senti, lors du dernier FSM, une volonté très forte des diverses organisations présentes de travailler en concertation. Ce n’est que par l’union des syndicats, des mouvements sociaux et des groupes religieux qu’une importante vague de changements se produira.
Pour y arriver, et pour donner une cohérence à la démarche, le Forum s’est conclu par une série d’assemblées, faisant le point sur des sujets précis abordés pendant le FSM, puis une assemblée des assemblées, synthèse ambitieuse, mais forcément diluée, des propos et travaux tenus pendant l’événement.
Si la crise économique et financière permet d’effectuer certains changements de société souhaités par les participants du FSM, elle le fera à partir d’une souffrance des peuples engendrée par des politiques irresponsables. Voilà pourquoi on sentait à Belém une fébrilité et un sentiment d’urgence, afin que les changements ne s’accomplissent pas à la suite de douleurs supplémentaires, mais rapidement, afin d’éviter le plus possible les dégâts.
La dimension internationale du FSM semblait cette année particulièrement justifiée, tant la crise affecte l’ensemble des populations et tant les solutions doivent se trouver à l’échelle mondiale. Il faut maintenant souhaiter que les diverses concertations établies pendant ce Forum se maintiennent et aient le rayonnement qu’elles méritent.