Dossier : Le Saint-Laurent en (…)

Les eaux usées au Québec

Flusher tout

Andréanne Demers, Hélène Godmaire

Il y a environ une cinquantaine d’années, il était encore possible de se baigner dans le fleuve Saint-Laurent, et cela, même dans la grande région de Montréal. Un temps révolu. Le fleuve se fait encore servir une soupe d’égouts à longueur d’année, souvent sans traitement. Pas de quoi souhaiter y plonger !

L’accroissement rapide de la population a entraîné, en particulier au cours des années 50, 60 et 70, une augmentation marquée des rejets industriels, des eaux usées domestiques et de la pollution agricole. Avec les développements urbain et rural accélérés, de nombreux habitats naturels ont été détruits et la qualité de l’eau s’est dégradée. Dans ce contexte, la population a délaissé le fleuve et ses rives pour des lieux récréotouristiques plus attrayants.

En réponse à cette dégradation, divers acteurs de la scène politique municipale, provinciale et fédérale, ainsi que des chercheurs scientifiques, ont uni leurs efforts pour restaurer et protéger les écosystèmes. Ce n’est que vers la fin des années 70 que les initiatives d’épuration ont débuté. Pour la santé publique et celle de l’environnement, il était plus que temps !

Delirium tremens pour le fleuve

Les eaux usées collectées par les municipalités dans leurs réseaux d’égouts proviennent de trois sources : les résidences, les industries, commerces et institutions (ICI) et la pluie. Ces eaux usées sont chargées de matière organique, de coliformes, de déchets, de sable, d’hydrocarbures, de produits chimiques de synthèse et de métaux lourds. Cette charge polluante détériore considérablement l’état des cours d’eau récepteurs. Les apports d’azote et de phosphore contribuent à leur eutrophisation, c’est-à-dire leur enrichissement et leur vieillissement prématuré.

Les polluants chimiques tels que les hydrocarbures, les pesticides, les produits pharmaceutiques, les produits nettoyants domestiques ou les résidus domestiques dangereux affectent la faune et la flore aquatiques qui y sont exposées. Parmi ces produits, plusieurs s’accumulent dans les organismes (bioaccumulation) et le long de la chaîne alimentaire (bioamplification). Par ailleurs, la pollution bactériologique (coliformes fécaux), détériore la qualité de l’eau des rives. Elle limite les usages, notamment la baignade et diverses activités aquatiques. On a donc tout intérêt à les gérer efficacement.

Mais, quelle est la situation aujourd’hui ? Y a-t-il encore des eaux usées non traitées rejetées dans le fleuve ? La baignade est-elle possible ? Pour répondre à ces questions, Union Saint-Laurent Grands Lacs, en collaboration avec la Coalition Eau Secours et Écojustice, a examiné l’efficacité des infrastructure d’assainissement de six municipalités le long du Saint-Laurent : Montréal, Laval, Québec, Longueuil, Trois-Rivières et Salaberry-de-Valleyfield.

Ensemble, ces villes représentent un peu plus de 60 % du débit total des eaux usées de la province. Elles ont été sélectionnées, comme témoin, pour leur diversité de système d’épuration, leur localisation riveraine et leurs dimensions variées. Les données analysées pour les années 2004 à 2006 et 2007 sont extraites des rapports du ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du Territoire (MAMROT).

Allez hop ! Dans l’eau !

Chaque municipalité doit assurer le bon fonctionnement de sa station d’assainissement d’eaux usées et doit fournir périodiquement des rapports d’analyse au MAMROT. Ainsi, les opérateurs des stations mesurent plusieurs paramètres dans l’eau qui y entre, et dans celle qui en sort. Ces mesures, compilées et transmises au MAMROT, servent à s’assurer que la station répond aux exigences de rejet édictées par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP).

Deux paramètres sont régulièrement mesurés, soit la demande biochimique en oxygène (DBO) et la concentration de matières en suspension (MES). Ces deux mesures sont des indicateurs de la matière organique présente dans l’eau. Elles sont donc par le fait même des indicateurs de la capacité d’épuration d’une usine et de la charge polluante des eaux usées. Plusieurs stations mesurent également la concentration de phosphore. Cet élément, essentiel à la croissance des plantes, est un élément clé car une concentration élevée entraîne l’eutrophisation.

Les débordement ou surverses sont aussi surveillés. Lors de fortes pluies ou lors de la fonte des neiges, les capacités du réseau d’égouts combiné (sanitaire et pluvial) et de la station d’épuration peuvent être rapidement dépassées. Afin d’éviter des refoulements d’égouts ou des inondations dans les foyers et les sous-sols, l’excès d’eau usée est évacué sans traitement directement dans le fleuve Saint-Laurent. Ce phénomène de « surverse » dure de quelques minutes à quelques heures et se produit plusieurs fois par année. Dans de nombreux cas, ces événements contribuent à la dégradation de la qualité de l’eau des rives et à la fermeture de plages.

Et il ne faut pas se leurrer, le phénomène est admis ! Nos infrastructures de surverse qui libèrent le trop plein d’eaux usées non traitées sont assujetties à des exigences de rejet fixées en fonction de la qualité du réseau et d’objectif environnemental de rejet déterminé par le MDDEP selon les usages du milieu qui les reçoit...

Un Saint-Laurent frappé ?

L’examen des indicateurs pour les six villes témoins révèle que les stations de type étangs aérés (Trois-Rivières), boues activées (Salaberry-de-Valleyfield) et biofiltre (Québec) permettent de réduire la DBO jusqu’à 80 %. Elles sont plus efficaces que les stations physico-chimiques que l’on retrouve à Montréal, à Laval et à Longueuil.

Dans le contexte où plus de la moitié des eaux usées de la province sont traitées par un procédé physico-chimique, il va sans dire que, sans traitement secondaire, leurs rejets entraînent inévitablement une pollution importante des eaux de surface. Les eaux de ces effluents, encore chargées de matières organiques, imposent une forte demande biologique en oxygène au milieu qui les reçoit, souvent un cours d’eau, en l’occurrence le fleuve Saint-Laurent.

En absence de désinfection, comme c’est le cas à Montréal, la présence de coliformes fécaux dégrade la qualité de l’eau des rives et limite les usages récréatifs. Le procédé physico-chimique a l’avantage de traiter rapidement d’énormes volumes d’eau. Cependant, il ne permet pas d’éliminer adéquatement certains contaminants, tels les métaux lourds, les cyanures, les composés phénoliques et les produits pharmaceutiques.

Aucun contrôle systématique de ces substances polluantes n’est effectué à la source. Ce qui permet à un grand nombre d’industries de ne pas s’inquiéter de les libérer dans le réseau des eaux usées ou directement dans le fleuve. Et on n’en finit pas d’attendre le Programme provincial sur les rejets industriels.

Ça déborde !

En ce qui concerne les mesures de phosphore, les stations de Montréal, Longueuil et Laval respectent les exigences de rejet de 0,5 mg/L comme bon nombre de stations à travers le Québec. Mais même le respect de ces exigences fait que l’apport en phosphore dans les cours d’eau a un impact significatif. À Montréal seulement on rejette près de 1,3 tonne de phosphore par jour, c’est-à-dire 16 % de ce que contient tout le fleuve Saint-Laurent. À ce taux-là, heureusement, au MDDEP on réfléchit à revoir ces exigences de rejet. Enfin si ce n’est pas pour tout le fleuve, c’est au moins pour les plans d’eau affectés par les cyanobactéries.

Entre 2004 et 2006, les six villes étudiées ont enregistré, en moyenne, plus de 500 débordements de leurs infrastructures de surverse à chaque année. Les villes de Laval et de Québec sont celles qui ont effectué en moyenne le plus de surverses, avec plus de 2 000 débordements. Les villes de Laval et de Salaberry-de-Valleyfield ont présenté également des surverses par temps sec. Ce problème survient lorsque le réseau ne peut traiter le volume d’eau usée généré par les utilisateurs : résidants, entreprises, commerces, institutions et industries.

Depuis, Salaberry-de-Valleyfield a solutionné son problème. Le nombre de surverses par temps sec a diminué à chaque année depuis 2004 et a été éliminé en 2007. Mais à Laval, le problème persiste avec près de 350 débordements par année ! Les volumes d’eau usée rejetés lors de ces débordements ne sont pas connus. Un certain pourcentage des infrastructures de surverse est équipé d’un enregistreur qui mesure la durée des débordements en nombre d’heures. Il est cependant difficile, voire même impossible, d’évaluer le volume total.

Des fuites dans les normes

De façon générale au Québec, la situation en 2007 a été semblable. Un grand nombre de surverses ont eu lieu fréquemment et principalement en temps de pluie : 27 137 débordements sur un total de 45 178, soit 59 % de toutes les surverses enregistrées sur les 4 208 installations.

Plus de 20 villes de la province ont surversé en temps sec l’année passée. Ironie, seulement 15 % des stations ont enregistré une évaluation inférieure à 85 %... car selon les normes établies, elles respectent les exigences. Globalement, le système fuit « correctement » !

Au problème des surverses s’ajoute celui des raccordements croisés. Là où les réseaux de collecte des eaux sanitaires et pluviales sont séparés, les eaux pluviales sont dirigées vers le fleuve tandis que les eaux usées domestiques sont traitées en station. Le branchement accidentel ou illégal d’un égout domestique à l’égout pluvial constitue un raccordement croisé. Dans un tel cas, les eaux usées domestiques sont déversées avec les eaux de pluie, sans traitement, directement dans le Saint-Laurent, et ce, toute l’année.

D’la vraie « chnoute »

On n’en est plus à l’époque où les égouts étaient officiellement déversés dans le fleuve. Des milliards de dollars ont été investis au cours des dernières décennies pour assainir les eaux usées des villes. Plus de 700 stations d’assainissement sont en opération. Même si l’on constate une amélioration, il est clair qu’on est encore loin de rétablir et de maintenir la santé de notre écosystème fluvial. Le problème est généralisé ; chaque année, les villes de la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent déversent plus de 90 milliards de litres d’eaux usées brutes dans les lacs et le fleuve.

Au Québec, certaines villes traitent adéquatement leurs eaux usées sans enregistrer de surverse... sauf bien sûr en situation d’urgence. La géographie, la démographie et les débits traités y sont certainement pour quelque chose, mais c’est pour quand la fin de la M. dans le fleuve ? C’est pourtant réalisable. De grandes villes telles que Portland, Seattle, Toronto et Chicago ont commencé à mettre en œuvre, avec succès, des stratégies visant le zéro débordement, avec notamment une meilleure gestion des eaux pluviales.

À l’action et vite

L’amélioration des infrastructures de collecte et d’assainissement des eaux usées est un processus lent. Les centres urbains sont en expansion, ça exige qu’on demande la modernisation des systèmes d’égouts vétustes et malgré tout, certains problèmes peuvent être corrigés rapidement. Des solutions existent et plusieurs actions doivent être entreprises collectivement (gouvernements, industries, citoyens, etc.), et ce, sans nécessiter d’investissement massif. Parmi les pistes de solutions prometteuses et abordables se trouvent l’innovation technologique, l’urbanisme créatif et l’engagement citoyen.

La gestion des eaux pluviales et des eaux usées doit être revue et modernisée surtout dans la perspective de financements éventuels qui seront consacrés aux infrastructures municipales dont les réseaux d’assainissement. Il n’y a rien de nouveau dans de ce qui doit être fait. Le défi est de s’assurer que ces solutions soient intégrées et mises en œuvre. Il est cependant essentiel de réviser la réglementation et d’adopter une approche multidisciplinaire et de développer des incitatifs. Le succès dépend d’une volonté de tous à élaborer une vision à long terme et à la réaliser. Quand il s’agit de la santé humaine et environnementale, il est difficile d’ignorer plus longtemps la qualité de nos eaux de rejet.

Pour en savoir plus :

• Union Saint-Laurent Grands Lacs et Coalition Eau Secours, Eaux usées et Fleuve Saint-Laurent : Problèmes et solutions, 2009, 22 pages. (www.glu.org/fr/node/259#attachments)

• Comité ZIP Jacques Cartier, « On a un tuyau pour vous... Rejet d’eaux usées en rives et qualité de l’eau ». Atlas du réseau d’eaux de Montréal, 2003, 55 pages.

• Ville de Montréal, Station d’épuration des eaux usées. Consulté le 28 septembre 2008 (http://services.ville. montreal.qc.ca/station/fr/accustaf.htm)

• Ecojustice, Great Lakes Sewage Report Card., 2006. Consulté le 20 mai 2008 (www.ecojustice.ca/publications/reports/the-great-lakes-sewage-report-card)

• Ecojustice, 2008. Green Cities Great Lakes. Consulté 11 octobre 2008 (www.ecojustice.ca/publications/ reports/the-green-infrastructure-report)

Thèmes de recherche Ecologie et environnement
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