France Théorêt
Écrits au noir
Lu par Martin Dufresne
France Théorêt, Écrits au noir, Montréal, Éd. du remue-ménage, 2009, 168 p.
France Théorêt nous offre, avec Écrits au noir, une retraversée transparente, presque naïve, de sa démarche d’écrivaine depuis quatre décennies. La Barre du jour, Les Têtes de pioche, Spirale, Arcade – autant de lieux où s’est articulé un féminisme conçu comme « une rationalité nouvelle et inédite – non pas une utopie parce que le féminisme forme la réalité ». Elle en parle par courts énoncés, comme autant de fragments d’un miroir que brise son refus de « l’idéologie intimiste dominante », qu’elle attribue au néolibéralisme ambiant et à l’emprise des « médiatiques », qui nous limitent à un « féminisme rose et individualiste ».
Écrivaine autodidacte, Théorêt assume sa marginalité mais veut se faire passeuse des langages de son milieu d’origine. J’ai aimé la simplicité de son retour sur ses œuvres, « infinie nécessité d’être fidèle à ma pensée ». « Le poème se gagne un mot à la fois », rappelle-t-elle. Dans la foulée des Gauvreau, Miron, Aquin et Bersianik qui ont galvanisé la littérature québécoise, et d’autres mentors, des philosophes comme Claire Lejeune et Hannah Arendt, Théorêt consacre des notations passionnées à « la dignité de la raison », rappelant que « les anticonformistes accroissent l’angle de vision de la réalité », contre les réductions stalinienne ou consumériste, entre autres.
Pas d’esbroufe, de paragraphes-massue mais des notations courtes, lumineuses – « L’idée de la vie parfaite est abjecte » – qui ne répugnent pas à la répétition. Autant de fragments d’un miroir tendu à un ultralibéralisme qui dissout le jugement et substitue aux faits de simples opinions. Penser, puis écrire apparaît comme un travail auquel elle fait honneur, comme ses modèles, nous faisant partager le défi de son écriture, « l’illusion extraordinaire d’une liberté impérieuse », qui se refuse à une vie contemplative bien tentante : « Je cherche une rationalité qui inclut le corps parlant afin de lutter contre les violences, les privations de liberté, passées et présentes. » Avec Arendt, elle fait honneur à la faculté de juger « l’intime et le politique dans leurs dimensions de raison et de déraison ».
Curieuse du masochisme et de l’hystérie, elle en cherche les pistes dans la littérature et nous intéresse à Elfriede Jelinek, Antonin Artaud, Gabrielle Roy, et le premier roman d’une Simone de Beauvoir détaillant les ravages du catholicisme, ce qu’elle-même fait dans un résumé stupéfiant de l’éducation donnée aux Québécoises de milieux populaires il y a 50 ans. Comme Micheline Dumont dans son ouvrage récent Le féminisme québécois raconté à Camille, Théorêt salue L’Euguélionne, le chef-d’œuvre de Louky Bersianik, comme moment-charnière de l’histoire des femmes au Québec. Elle note au passage que l’Office de la langue française a tenté de dépouiller Bersianik d’une avancée cruciale, la féminisation de la langue française.