Gagner sa vie sans la perdre
Le Journal de Montréal du père au fils
Après avoir imposé aux syndiqués du Journal de Québec un lock-out qui a duré 16 longs mois, Quebecor de Pierre Karl Péladeau s’attaque maintenant férocement aux quelques 250 syndiqués de bureau et de la rédaction du Journal de Montréal. Quel est le règlement intervenu à Québec ? Quelles sont les concessions du Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal refusées par Quebecor qui a préféré le lock-out ? Comment comprendre cette guerre en « relations » industrielles ?
Tant à Québec qu’à Montréal, la partie patronale est demandeur sur tout, la partie syndicale cherchant à défendre ses acquis des conventions collectives précédentes.
Afin de pouvoir renouer avec le travail, les syndiqués du Journal de Québec se sont résignés aux concessions suivantes : augmentation de la semaine de travail de 32 à 37,5 heures, avec le maintien du 4 jours par semaine, sauf pour les actuels employés de bureau et tous les futurs employés et journalistes qui devront bosser 5 jours (clause de disparité de traitement, « orphelin », permise par la loi québécoise) ; acceptation des multitâches (le journaliste appelé à faire de la photo, de la prise de son ou de la caméra) pour alimenter les différentes plateformes médiatiques de Quebecor et ouverture à la convergence (une partie du contenu du Journal pouvant désormais provenir d’autres plateformes) ; disparition d’une vingtaine d’emplois de bureau, à laquelle s’ajouteront, après un délai de six mois, dix emplois de comptable. La partie patronale était en demande sur plusieurs autres points, dont le service des petites annonces transféré à Kanata, près d’Ottawa : Quebecor a dû le ramener à Québec, grâce à la pression des syndiqués qui ont tout de même accepté, dans ce service, une baisse de salaire substantielle et la semaine de travail de cinq jours. De plus, Quebecor a peut-être jugé que les sous économisés par ce déplacement ne compensaient pas les pertes de revenus en annonces. Personne ne peut dénier l’admirables courage et ténacité des syndiqués du Journal de Québec. Mais on ne peut parler de victoire syndicale, sauf si on croit que les syndicats n’ont jamais subi de défaites.
À Montréal
Le Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal savait que la bataille serait difficile. Aussi, afin d’éviter le lock-out, il dit à la partie patronale son ouverture sur les points majeurs suivants : semaine de travail de 37,5 heures, sans compensation ; multitâches et utilisation de leur production sur les autres plateformes de Quebecor ; attrition des emplois ; réduction des heures supplémentaires. La partie patronale répond à ces importantes ouvertures par des broutilles, un lock-out et les déclarations mensongères d’Isabelle Dessureault, vice-présidente des Affaires publiques, qui condamne l’intransigeance syndicale !
Les syndiqués, mis au pied du mur, ont décidé de combattre avec détermination et hargne.
À Québec, le syndicat avait publié et diffusé gratuitement MédiaMatinQuébec que Quebecor cherchera à rendre illégal par une requête refusée par la Cour supérieure. Le syndicat obtiendra également la condamnation de Quebecor par la Commission des relations de travail pour utilisation de briseurs de grève (scabs) (Quebecor est en appel). Ces victoires juridiques syndicales ont continué à ternir la réputation de cet employeur, mais on ne sait dans quelle mesure la publication de MédiaMatinQuébec a nui à la rentabilité économique du Journal de Québec.
Montréal étant doté de deux quotidiens gratuits, dont un appartient à Quebecor, les syndiqués du Journal de Montréal ont remplacé le format papier par un quotidien qu’on peut retrouver sur Internet (www.ruefrontenac.com). Les syndiqués mènent une campagne pour demander aux citoyens et citoyennes de ne plus lire le Journal, aux annonceurs, de renoncer à leur publicité, aux commerçants, d’arrêter de distribuer gratuitement le Journal à leur clientèle, aux partis politiques et aux organisations sociales, de refuser d’accorder des entrevues au Journal et aux quelques chroniqueurs de retirer leur contribution, car, dans un tel conflit, la neutralité n’existe pas : par nos actes, nous sommes d’un côté ou de l’autre. De plus et surtout, les syndiqués veulent manifester partout où s’étend l’empire Quebecor, dont devant le studio de TVA où est produit Star Académie et face à Archambault Musique.
Cette lutte ne concerne pas uniquement les travailleurs de l’information, mais tous ceux qui veulent s’informer. Si Quebecor gagne, la tendance à mélanger publicité et information s’étendra et la convergence uniformisera peu à peu les contenus de différents médias. Si Quebecor gagne, TVA, Radio-Canada, La Presse… risquent de passer à la trappe.
Le Journal de Montréal a été créé par le père Péladeau, lors de la grève de La Presse en 1964, et a pris la place de l’autre quotidien matinal, le Montréal/Matin, qui disparaîtra peu après un autre conflit, en 1978. Avec l’existence de quotidiens gratuits, personne ne peut espérer renouveler cet « exploit » du père. Mais La Presse utilisera sûrement ce lock-out pour essayer de marauder les lecteurs du Journal de Montréal.
En 14 ans, Pierre Karl Péladeau a mis en lock-out 13 syndicats, dont ceux de Vidéotron qui a duré près d’un an à Montréal. Durant la même période, il a réduit à une valeur de pacotille le secteur de l’imprimerie qui était le joyau de l’empire créé par son père et a acheté, avec l’aide de notre Caisse de dépôt guidée par le gouvernement du généreux Landry, Vidéotron, lorsque la bulle technologique était à son azimut, de telle sorte que la valeur de celui-ci n’est plus que la moitié de ce qu’elle était.
Pendant les dix dernières années de la vie du fondateur de Quebecor, Pierre Péladeau, soit de 1987 à 1997, trois lock-outs sont intervenus, tous au Journal de Montréal en 1993-1994, alors que les négociations patronales étaient dirigées par le fils, Pierre Karl…
Le fils Péladeau se révèle à la fois le plus inapte et le plus antisyndical de l’élite de Québec inc. Il donne l’impression qu’il veut voiler sa propre médiocrité, en accusant ses employés de tous les maux. Dans cette fausse démocratie des actionnaires, personne n’a pu congédier cet irascible incompétent. Espérons que les syndiqués du Journal de Montréal réussiront à lui faire plier les genoux.