Denis Bourque
Concertation et partenariat
Lu par Jean-Marc Piotte
Denis Bourque, Concertation et partenariat, Québec, PUQ, 2008, 142 p.
Denis Bourque, un des intellectuels organiques de la concertation au Québec avec Benoît Lévesque, Yves Vaillancourt et Louis Favreau, définit la concertation comme « un processus collectif de coordination basé sur une mise en relation structurée et durable entre des acteurs sociaux autonomes qui acceptent de partager de l’information, de discuter de problèmes et d’enjeux spécifiques […] afin de convenir d’objectifs communs et d’actions ». Le partenariat se distinguerait de la concertation par un « engagement contractuel » dans le partage des responsabilités, des ressources et des tâches.
La concertation et le partenariat sont confrontés à trois réalités : « elles sont une condition d’existence pour un bon nombre d’acteurs, dont les organismes communautaires par le biais du financement qu’elles procurent ; elles constituent une opportunité d’augmenter le pouvoir d’agir collectif sur des enjeux importants ; elles comportent un risque d’instrumentalisation des communautés et des acteurs sociaux ».
Bourque semble partager l’objectif, véhiculé par Yves Vaillancourt, de co-construction et de coproduction des programmes par les représentants de l’État et des groupes communautaires, même s’il constate que la réalité dévoile l’inanité d’un tel objectif : « L’État détermine le champ d’action de la concertation (développement rural, lutte à la pauvreté, etc.) ainsi que son territoire d’exercice (zones prioritaires, etc.), l’État identifie la procédure privilégiée (concertation intersectorielle) ; il identifie également les acteurs majeurs (institutionnels, municipaux, communautaires, etc.), passe généralement sous silence la participation citoyenne vue comme assurée par la participation des élus locaux, offre des moyens structurants pour soutenir la procédure (agents de développement et de concertation), et met finalement peu de nouvelles ressources financières et humaines à la disposition des acteurs en comptant sur une mobilisation locale des ressources et sur l’accès à des programmes gouvernementaux existants. »
Quelles sont les erreurs d’analyse ayant conduit les artisans de la revue Nouvelle pratiques sociales, des professeurs de travail social de nos universités, à propager auprès de leurs étudiants, de futurs organisateurs communautaires, cette vision utopique de la co-construction et de la coproduction par la concertation et le partenariat ? 1. Ces idéologues ne distinguent pas la concertation horizontale entre acteurs sociaux plus ou moins égaux (organisations communautaires, syndicales, étudiantes…) et la concertation verticale et foncièrement inégalitaire entre entreprises qui créent de l’emploi et syndicats qui cherchent à en négocier le prix, entre l’État et les groupes communautaires qu’il finance ; 2. Ils ne reconnaissent pas que la concertation n’est pas une co-construction et une coproduction, mais un objectif politique défini par ceux qui exercent le pouvoir, afin de réduire à une portion congrue les conflits qui ont animé les décennies 1960 et 1970. Conséquemment, ils ne voient pas que la réalisation de cet objectif, la diminution des conflits, a accru la dépendance des syndicats et des groupes communautaires ; 3. Ils se révèlent incapables de situer réellement la politique de concertation dans le courant néolibéral qui s’est répandu sur la planète depuis les années 1980 et qui soutient les positions suivantes : l’État est un mal nécessaire et le libre marché un bien à poursuivre ; l’État ne doit pas s’endetter, contrairement aux individus et aux entreprises privées ; l’État est un monstre bureaucratique ; il faut privatiser et déréglementer ; il faut sous-traiter à des groupes communautaires qui répondent à des besoins de proximité et dont les salariés coûtent moins cher que ceux de l’État ; etc. ; 4. Aveugles aux liens entre concertation et néolibéralisme, ils seront impuissants à affronter efficacement la crise financière et économique qui remet radicalement en question l’ère ouverte par le règne de Reagan.
Évidemment, les organisations communautaires ne peuvent écarter la concertation, si elles veulent recevoir du financement. Mais si elles reconnaissent le rapport de force essentiellement inégalitaire entre eux et le patronat, l’État, la Fondation Lucie et André Chagnon (FLAC), etc., elles sentiront le besoin de se concerter sur une base horizontale, de refaire des alliances avec d’autres organisations qui représentent ceux qui sont en
bas, afin de construire, à travers des conflits, un rapport de force qui leur serait plus favorable. La « participation conflictuelle » ne constituera plus alors le slogan vertueux masquant une dépendance accrue, mais une politique d’affermissement grâce à la lutte.