Sous la direction de Francis Dupuis-Déri
Par-dessus le marché ! – réflexions critiques sur le capitalisme
Par-dessus le marché ! – réflexions critiques sur le capitalisme, sous la direction de Francis Dupuis-Déri, Écosociété, Montréal, 2012.
Que peuvent avoir en commun le mouvement Occupy Wall Street, les prêts hypothécaires, la démocratie russe, l’État- providence, le travail domestique, la culture et la poésie ? Ils sont autant d’objets sur lesquels peut prendre ancrage une théorie critique du capitalisme contemporain. Qu’est-ce qui se situe « par-dessus le marché » ? La crise, entretenue par l’appareil idéologique néolibéral, si l’on suit l’héritage marxiste ; Marx s’imposant d’emblée comme le substrat commun aux différents auteures de l’ouvrage ici recensé et dont la théorie critique qui en émane vise à déconstruire l’hégémonie de crise afin d’en exposer les rouages et la dépasser par l’exploration d’avenues menant à un possible modèle anticapitaliste viable. Comment faire ? En revisitant et actualisant la constellation conceptuelle et les enjeux qui sont au cœur de la théorie critique – l’inégalité, l’aliénation, la réification, la domination, les classes sociales, l’histoire, la culture, l’État et l’exploitation –, et ce, en s’attaquant au centre nerveux du capitalisme : le marché.
Crise, marché, capitalisme, théorie critique et anticapitalisme, voilà à quoi nous convie la réflexion commune à la base de cet ouvrage collectif dirigé par Francis Dupuis-Déri, professeur au département de sciences politiques de l’UQAM. Ayant pour thématique structurante la dualité capitalisme/anticapitalisme, Par-dessus le marché est un recueil d’actes d’un colloque tenu à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en janvier 2010. S’inscrivant dans la foulée de la crise financière de 2007-2008, ainsi que dans la récente lignée d’un grand nombre d’ouvrages sur les paramètres fondamentaux du capitalisme contemporain, la volonté derrière cet ouvrage est de circonscrire ladite crise à l’aide de multiples perspectives que les lectures libérales traditionnelles et ses couvertures médiatiques contemporaines évacuent trop rapidement. Afin de dessiner les contours de la situation inédite dans laquelle nous sommes plongés, les articles présentés tendent à réaffirmer l’importance de la critique théorique, en ce que celle-ci ne se limite pas à une simple critique du « système » capitaliste et ses tares congénitales, mais aussi en ce qu’elle ose s’attaquer à ses propres postulats théoriques. Nous pouvons alors lire les différents textes autant comme des diagnostics de la crise, que comme des commentaires sur la justesse actuelle de certains fondements de la théorie critique. Par exemple, Marcos Ancelovici expose certains angles morts du mouvement Occupy états-unien et nous invite à réfléchir sur l’intégration et la participation de sous-groupes mal représentés. Mélissa Blais et Isabelle Courcy proposent, à l’aide du féminisme matérialiste de Christine Delphy, d’actualiser la conception du travail chez Marx. Francis Dupuis-Déri, fort des thèses anarchisantes, nous convie à dépasser la fausse opposition entre État-providence et privatisation néolibérale et à imaginer une possible sortie de l’étatisme. Quant à Éric Pineault, celui-ci cherche à tirer des leçons et des enseignements de la crise financière de 2007 et à démontrer en quoi celle-ci nous a montré la vraie nature du capitalisme avancé.
Pertinent par la variété des sujets qu’il traite, ce livre nous laisse à l’occasion sur notre faim. Comment interpréter la sous-représentation de certains groupes sociaux dans le mouvement Occupy et qu’est-ce que cela révèle de la nature de ce mouvement ? Qu’implique la reconnaissance de l’activité domestique comme travail, et subséquemment l’entrée du capital dans la sphère domestique, sous le thème de l’exploitation ? Ce ne sont que quelques exemples des interrogations nous interpellant à la lecture de l’ouvrage. Toutefois, cet ouvrage a les qualités de ses défauts et nous devons voir les questions qu’il suscite non pas comme un problème, mais plutôt comme une enjambée de plus dans la réflexion sur la nécessaire révolution de notre époque.