L’écosocialisme
Quelques réflexions sur nos alternatives possibles
En février dernier, les Assises pour l’écosocialisme [1], une initiative française lancée par le Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon, ont publié un manifeste en 18 thèses destiné à nourrir la réflexion de la gauche sur le bien-fondé du projet écosocialiste. Ce manifeste, qui fait suite à un premier document lancé en 2002 ainsi qu’à la déclaration écosocialiste de Belém en 2009, se veut une tentative d’articulation du triptyque économico-politique caractéristique du PG – soit Écologie, Socialisme et République. Dans cet article, j’en propose une brève analyse, mais surtout j’en reproduis certains extraits.
Un premier réflexe est certes de se réjouir de ce projet en ce qu’il met de l’avant des propositions concrètes et claires de ce que pourrait être une alternative au capitalisme. Il ne s’agit évidemment pas d’un programme complet de rupture et de transition, mais on y distingue les signes d’un certain « gain de maturité » d’une gauche qui, trop longtemps, est soit restée prisonnière de ses mots d’ordre programmatiques hérités des Trente Glorieuses ou encore s’est contentée de marcher raisonnablement dans le sillon des défenseures du développement durable. Avec ce manifeste, c’est le débat de fond sur la mise en place des conditions micro et macro-économiques d’un dépassement du capitalisme qui refait surface. Le simple fait d’aborder de front cette question – malgré quelques errements rhétoriques – mérite d’être salué.
Alternative économique ?
Il n’est pas question dans ce trop court article de juger de la pertinence politique du projet proposé dans ce manifeste et encore moins de l’écosocialisme dans son ensemble, bien qu’il y aurait beaucoup à dire sur certains aspects laissant songeur. Pensons simplement au rôle du PG dans cette démarche qui, d’une certaine manière, normalise dans le cadre républicain une proposition se disant révolutionnaire en développant un « paradigme de l’intérêt général » qui s’éloigne des analyses traditionnelles de la gauche basées sur la séparation de la société en classes sociales. L’utilisation du paradigme environnemental afin de rendre possible l’articulation immédiate d’une proposition politique s’appuyant sur l’existence projetée d’un intérêt commun au genre humain ne convainc pas. Passons là-dessus.
L’intérêt du manifeste réside dans quelques aspects forts pertinents pour toute personne qui s’intéresse à la question des alternatives économiques [2]. Le manifeste identifie deux impasses tout en nous invitant à nous doter d’une nouvelle conception de ce qu’est l’économie.
Sortir des impasses idéologiques
Voici donc, en vrac, quelques extraits du manifeste provenant des thèses 5 à 10 :
5. Le mensonge du capitalisme vert,
les risques de l’environnementalisme.
[…] Nous dénonçons le « capitalisme vert », qui sous couvert de développement durable offre un nouvel espace à la mainmise de la recherche du profit maximal, alimente la dynamique impérialiste et le court-termisme. Nous refusons le discours écologiste qui se contente de culpabiliser les individus. Il s’abstient ainsi de souligner la responsabilité majeure du productivisme sans frein. Il renonce à s’attaquer aux modes de production et de consommation capitalistes et refuse de voir qu’ils exploitent les plus précaires et pillent les pays du Sud. […] Notre écologie à nous aborde les questions d’environnement en faisant systématiquement le lien avec la critique du système économique et avec les luttes sociales, en y impliquant l’ensemble des citoyens.
6. L’impasse sociale-démocrate.
Nous réfutons la doctrine sociale-démocrate qui voudrait que toute redistribution des richesses passe d’abord par la relance de la croissance du PIB et la hausse de la consommation matérielle globale. C’est un double contre-sens. D’une part, elle maintient la puissance du capital financier et suppose que la répartition de la richesse s’organise à partir « des fruits de la croissance ». Elle ne s’attaque pas à l’accumulation déjà acquise. […] D’autre part, cette doctrine repose sur un modèle d’expansion infinie qui est un suicide de la civilisation humaine […] la relance d’une croissance économique aveugle [n’étant] pas de nature à répondre aux urgences sociales […].
Il y a là une claire identification de la double impasse idéologique de la gauche. Miser sur une poursuite de la croissance afin de maintenir les acquis sociaux et salariaux nous forçant, en définitive, à devenir les alliées d’un productivisme mortifère. Au Québec, cette double impasse s’incarne dans les positions dites du néo-extractiviste, soit des positions « progressistes » qui misent sur la création d’une rente sociale, issue de l’exploitation des ressources naturelles, afin de maintenir le financement des services publics.
7. Mettre l’économie au service des besoins.
L’écosocialisme veut mettre l’économie et le système productif au service des besoins humains. En cela, il s’oppose à la « politique de l’offre » défendue par les libéraux. Nous refusons cette logique productiviste qui consiste à produire tout et n’importe quoi […]. Nos décisions collectives doivent au contraire être guidées par la satisfaction des besoins réels. C’est le sens de la planification écologique. Elle inverse cette logique en partant des besoins, du devoir de préserver l’écosystème et du droit de tous à vivre dans un environnement sain. Elle met le système productif en adéquation avec ces impératifs.
8. Rompre avec les schémas de pensée traditionnels.
L’écosocialisme remet en cause la dictature des intérêts particuliers et de la propriété privée des moyens de production. Il questionne le rapport au travail. Nous prônons l’appropriation sociale des moyens de production et les propositions alternatives de l’économie sociale et solidaire en termes d’autogestion et de coopératives. Nous défendons la souveraineté budgétaire et la nationalisation comme outil de politique publique, notamment en matière de services bancaires et de crédit. Indice de progrès humain, démondialisation et protectionnisme social et écologique, dotation inconditionnelle d’autonomie et salaire socialisé, revenu maximum autorisé sont autant de perspectives que nous avons à l’esprit pour sortir des sentiers battus et éviter le piège d’un accompagnement du système. Il nous faut également aller plus loin en matière de réduction drastique du temps de travail : « travailler moins pour travailler tous et mieux », fixer le plein emploi comme horizon tout en interrogeant les finalités du travail […]
9. Produire autrement.
La révision en profondeur de notre système de production repose sur ce que nous appelons les « 4 R » : relocalisation de l’activité, réindustrialisation écologique, reconversion de l’outil industriel et redistribution du travail. De nombreux besoins non satisfaits existent : dans une industrie relocalisée, dans les services aux personnes, dans l’agro-écologie et l’agriculture paysanne au service de la souveraineté alimentaire et de la santé de tous, dans la recherche et les filières « vertes » visant à réduire notre dépendance aux ressources épuisables (écoconstruction, efficacité énergétique, rénovation thermique, énergies renouvelables…) […].
10. Instaurer la règle verte comme boussole politique.
La « règle verte » est notre indicateur central de pilotage de l’économie. […] Elle vise à assurer notre responsabilité devant l’humanité et son écosystème en supprimant la dette écologique. Elle associe la nécessaire réduction de certaines consommations matérielles et la nécessaire relance de certaines activités avec la prise en compte systématique de l’empreinte écologique générée. […]
Il ne s’agit là que d’extraits qui ne dispensent pas d’une lecture complète du document. J’aurais également pu ajouter la 13e thèse portant sur la planification écologique afin de mieux faire ressortir la cohérence démocratique du projet. Quoi qu’il en soit, les extraits présentés dans cet article ont le mérite de placer certaines bases pour l’élaboration d’un projet contre-hégémonique. Il est à souhaiter que l’avenir économique, non pas l’avenir du système actuel, mais bien celui du cadre social qui permet notre survie matérielle, se trouve quelque part dans la recherche d’une complémentarité entre la réponse à donner aux défis environnementaux de notre siècle, la recherche d’un élargissement démocratique et la poursuite d’une plus grande égalité sociale.
[1] Pour en savoir plus sur les Assises, voir <http://ecosocialisme.com/> .
[2] À ce sujet, je vous invite à lire le dossier thématique contenu dans le numéro précédent d’À bâbord ! (no 48, février-mars 2013) qui vise justement à contribuer à ce débat.