Éditorial du no 49
Médias mutants
L’accès à de l’information de qualité, une lutte à part entière
La crise fut d’abord financière. Très rapidement, elle est devenue économique, puis politique. En effet, les soulèvements des dernières années ne se sont pas limités à des revendications particulières, mais ils ont dénoncé l’ensemble de notre système économique et les limites de nos démocraties. Partout, la contestation tend à interroger la légitimité même du pouvoir. Partout également, la réponse de ce dernier est impitoyable : épuisé, incapable de se justifier et de promettre des lendemains qui chantent, le néolibéralisme l’amène à se durcir et à se faire de plus en plus autoritaire. Les espaces traditionnels de discussion politique se rétrécissent. Nous n’avons pas l’habitude de le percevoir ainsi, mais l’accès à de l’information de qualité est devenu une lutte à part entière.
Prenons comme exemple la lutte étudiante et populaire contre la hausse des droits de scolarité. Le Conseil de presse du Québec (CPQ) a retenu de nombreuses plaintes pour « propos haineux et incitation à la violence » (CHOI Radio X), « manque de respect et manque d’impartialité » (TVA), « publication d’articles et de titres trompeurs » et « information partiale et tendancieuse » (La Presse)... toujours contre les revendications étudiantes, bien sûr. Mais les blâmes du Conseil de presse n’étant que symboliques, tous peuvent continuer leurs pratiques douteuses dans l’impunité la plus totale. Québecor s’est même retiré du CPQ en 2010. Résultat de cette information tronquée et biaisée : un an après le début de la grève étudiante, malgré une couverture médiatique monstre, une enquête dont faisait récemment état Le Devoir montre que la population se sent mal renseignée sur les enjeux du conflit et sur les idéologies des divers regroupements.
La situation n’est guère plus édifiante à HarperLand, là où, notamment, les scientifiques se disent muselés depuis plusieurs années déjà. Le dernier classement de la liberté de presse de Reporters sans frontières fait état d’une chute de 10 places du Canada (passant de la 10e à la 20e position), alors qu’un récent rapport plaçait le pays au 55e rang en matière de libre accès à l’information. Bonne nouvelle toutefois : le projet de loi C-30, qui aurait permis d’obtenir sans mandat les données personnelles des internautes auprès des fournisseurs de service, est mort au feuilleton.
Et puis il y a toutes ces informations qui nous parviennent difficilement du reste du monde, particulièrement en ce qui a trait aux luttes sociales : les peuples de plusieurs pays demeurent fortement mobilisés contre les politiques d’austérité de leur gouvernement. En 2013 encore, on ne compte plus les fins de semaine où, en Espagne ou au Portugal, on crie « démission ! » dans les rues de plusieurs villes à la fois. En février dernier, une nouvelle journée de grève générale en Grèce et deux journées de grève générale en Inde furent pratiquement passées sous silence. En Bulgarie, un mouvement de protestation contre les hausses de tarifs d’électricité, les privatisations et la corruption a mené à la démission du premier ministre. Il faut pourtant être très attentif pour voir ces nouvelles défiler sous nos yeux.
Bien sûr, Internet et les médias sociaux changent la donne... pour qui a le temps et les ressources de s’y consacrer. Et même cet espace n’est pas à l’abri. Contrairement à ce qu’on a tendance à croire, Internet est ancré dans des législations bien terrestres et nourri par des intérêts lucratifs. Dernièrement, un juge égyptien a banni YouTube du pays pour un mois. Et Facebook met en place GraphSearch, qui permet des recherches croisées sur l’ensemble des données fournies par ses utilisateurs et ses utilisatrices. On se rapproche encore davantage de la police secrète…
Quoi faire pour mieux s’informer ?
Nous ne pouvons plus recevoir passivement le contenu qui nous est offert comme s’il allait de soi. Il faut fouiller pour simplement le trouver d’abord, le soupeser, le discuter et le partager ensuite. Heureusement il y a les médias citoyens qui se multiplient et qui prennent de l’élan. Beaucoup de journalistes tiennent le fort, résistant aux menaces de poursuites lors d’enquêtes sur la corruption et aux violences policières lors de manifestations couvertes avec zèle. À bâbord ! a d’ailleurs mis en ligne sur son site une liste de ressources médiatiques qui nous semblent particulièrement précieuses et utiles.
Nous l’annonçons depuis quelques mois déjà : la revue célèbre cette année son dixième anniversaire. Pour l’occasion, nous organisons un colloque d’une journée, une occasion de nous rencontrer, de réfléchir, de lancer des idées pour la suite des choses. Comme l’annonce cet éditorial, le thème qui a retenu notre intérêt est : Les mutations de l’univers médiatique. Au plaisir de vous retrouver le 12 avril prochain !