Les défis d’une politique différente

No 014 - avril / mai 2006

Québec solidaire

Les défis d’une politique différente

par Benoit Renaud

Benoit Renaud

Le processus de fusion de l’Union des forces progressistes (UFP) et d’Option citoyenne a produit une nouvelle structure organisationnelle minimale et aux contours politiques délibérément flous. Il s’agissait de prendre un grand risque calculé en unissant les 4 000 membres des deux groupes sur la base d’une série de principes très généraux. Ce n’est que par la pratique, au cours des prochaines années, que nous pourrons évaluer si le pari a été gagné. On doit donc, pour définir le phénomène politique qu’est Québec solidaire (QS), examiner les circonstances de son apparition et la série de trajectoires politiques ayant convergé en ce début de février 2006.

Le nouveau parti est en fait le résultat de plus de dix ans de luttes de masse contre le néolibéralisme tel que géré par le tandem PQ-PLQ. Les mille personnes réunies à l’Université de Montréal se reconnaissaient dans ces mobilisations, allant de la marche Du pain et des roses aux mobilisations syndicales contre le gouvernement Charest, de la grève illégale des infirmières en 1999 à l’énorme mobilisation étudiante de 2005. La politique du déficit zéro du gouvernement Bouchard et son refus de répondre sérieusement aux revendications de la Marche des femmes ont provoqué une rupture de ce qui restait de lien entre le PQ et une bonne partie de la base syndicale et du mouvement populaire.

Le nouveau parti est aussi un produit de la nouvelle conjoncture politique internationale issue notamment de l’insurrection zapatiste, de Seattle et du mouvement antiguerre depuis le 11 septembre 2001. Les mille personnes réunies au congrès de fondation pouvaient se reconnaître dans la campagne contre la ZLÉA et le Sommet des Amériques, le mouvement contre la guerre en Irak et la grande nébuleuse de l’altermondialisme. Il est finalement la tentative la plus réussie de notre histoire de mettre sur pied un parti de gauche de masse. Pour ce faire, il a fallu se battre contre l’idéologie ayant cimenté l’hégémonie du PQ sur les classes populaires, celle de l’unité des souverainistes à tout prix, ou plutôt au prix de l’effacement de la gauche.

Québec solidaire a déjà plus de membres que l’ADQ. L’UFP était déjà le troisième parti dans certaines régions du Québec, dont Montréal. On peut s’attendre à une croissance rapide au cours des prochains mois et à un résultat appréciable aux prochaines élections. La gauche québécoise a enfin un vrai parti.

Cependant, il convient de souligner que le processus ayant été employé pour arriver à cette fusion était d’une démocratie plutôt formelle et ne remplissait pas la promesse de la formule convenue d’une politique faite « autrement ». Le caractère consultatif, et non décisionnel, des renvois à la base durant la négociation a généré bien des frustrations et produit un résultat relevant du plus bas dénominateur commun : la Déclaration de principes. Cette formule a été maintenue dans la structure de la Commission politique, sorte de comité d’experts nommés par le Comité de coordination national (temporairement, jusqu’à la première réunion du Conseil national, qui encadrera le processus d’élaboration de la plateforme.

L’idée même de réunir mille personnes pour cette grande fête de l’unité plutôt que des délégations des groupes locaux et régionaux, n’encourageait pas à faire les discussions dans les régions et ne permettait pas des délibérations véritables au congrès, forçant la base à accepter à peu près entièrement ce qui avait été préalablement négocié.

Cependant, les structures mises en place dans les statuts provisoires permettront aux associations locales et régionales de jouer un rôle majeur dans les débats à venir sur la plateforme et dans la préparation de la première campagne électorale générale. Ce sont les déléguées des comtés et des régions qui voteront aux réunions des Conseils nationaux et lors du congrès d’orientation.

Quels seront les enjeux de ces débats ? Ce qu’on remarque en lisant le Manifeste pour un Québec solidaire, par exemple, c’est que l’absence de tradition sociale-démocrate de masse au Québec donne à cette nouvelle gauche une vision exagérément optimiste de ce qu’il est possible de faire dans le contexte du capitalisme réellement existant. Autant le NPD représente la vieille social-démocratie et son réformisme devenu pessimiste, presque sans réformes, autant les Solidaires expriment un réformisme enthousiaste, quasi naïf, dont l’économie politique tombe parfois dans le populisme de gauche.

Devant cette vision altermondialiste modérée d’un « autre capitalisme possible », il convient de développer une saine et rigoureuse critique. Il faudrait organiser des activités d’éducation politique sur le système capitaliste et l’histoire internationale des différents mouvements de gauche, et créer des occasions de débattre des grandes questions stratégiques. Comment allons-nous réaliser les valeurs exprimées dans la Déclaration de principes ? Suffira-t-il de faire élire des députées ? Quel rôle incombera-t-il aux mouvements sociaux ? Quels rapports le parti devrait-il entretenir avec ces mouvements ?

Une grande inconnue demeure la relation du nouveau parti avec les différentes composantes du mouvement syndical. Quand on voit le rôle bureaucratique et conservateur qu’ont joué les appareils syndicaux dans le NPD ou d’autres formations politiques similaires, on peut se demander si on devrait souhaiter leur ralliement ou le craindre. Par contre, les centaines de milliers de travailleuses et travailleurs organisés constituent une base naturelle pour toute formation de gauche et toute lutte contre le patronat et ses gouvernements.

Il semble, pour le moment, que les sommets des appareils syndicaux soient déterminés à maintenir leur alliance stratégique avec le PQ, comme en témoigne l’activité du SPQ-Libre. Leur réaction à la fondation de QS a été d’avancer l’idée d’une grande coalition souverainiste, incluant l’attribution possible de quelques comtés à la gauche en 2007. Mais si le PQ admettait ne plus être cette grande coalition, comment pourrait-il maintenir sa base populaire ? Rien d’étonnant à ce que la direction du PQ ait rejeté cette possibilité à la première occasion.

Québec solidaire devra aussi se pencher sur la question du type de démocratie qu’on veut avoir à l’interne. En marge du congrès, devant les médias, Amir Khadir et François Saillant ont tous deux affirmé qu’on allait élire un chef d’ici aux prochaines élections et qu’ils allaient appuyer la candidature de Françoise David à ce poste... qui n’existe pas ! La décision de l’UFP de se donner une direction collégiale et d’éviter le culte du chef correspondait parfaitement à l’idée de faire la politique autrement. Il serait bien dommage que l’on fasse un grand bon en arrière sur cette question.

Bien sûr, il y a la pression des médias et des institutions parlementaires de type britannique qui poussent très fort dans cette direction. Mais que vaut la promesse d’une autre politique, d’une démocratie participative, si l’on cède sur cette question, alors que le parti est très loin d’une « prise du pouvoir », et si on le fait à l’avance, sur la place publique, avant même d’en débattre à la base ?

Aussi, il serait bon de réexaminer la question du pluralisme des tendances politiques dans le parti. Le compromis issu des négociations sur cette question est la création des « collectifs », dont les droits se limitent à exister et à tenir des tables d’information en marge des réunions nationales. L’amendement visant à leur accorder une délégation avec droit de parole et de proposition mais sans droit de vote au Conseil national et au congrès a été repris par au moins trois des ateliers lors du congrès. Un tel amendement permettrait aux différents courants politiques de s’exprimer directement dans les instances nationales, ce qui encouragerait le développement d’une culture politique pluraliste, essentielle pour que l’unité ne devienne pas une méthode d’imposition de la conformité mais soit plutôt le résultat de débats ouverts entre différentes stratégies et traditions politiques, dans le respect des différences.

Finalement, on ne pourra pas éternellement repousser le débat sur le « vote stratégique » qui mine la gauche canadienne anglaise depuis des années et prend ici la forme du « n’importe qui sauf Charest » ou de la sacro-sainte unité des souverainistes derrière ou à côté du PQ. Quelle sorte de campagne mènerons-nous en 2007 ? Allons-nous travailler d’arrache-pied à présenter une alternative de gauche aux principes clairs dans le plus de comtés possible ? Chercherons-nous à faire élire du monde à tout prix ? Allons-nous céder devant la campagne virulente que les ténors et intellectuels de service du PQ ne manqueront pas de lancer contre nous avec toute la démagogie dont ils et elles sont capables ?

Au bout du compte, le nouveau parti prendra une direction ou une autre dépendant de l’implication de ses membres actuels et futurs et des débats qu’ils auront au cours des prochaines années. Dans la période politique qui a vu 80 000 personnes à Québec contre la ZLÉA en avril 2001, 200 000 à Montréal contre la guerre le 15 février 2003 et la plus grande grève étudiante de notre histoire, on se doit d’avoir un certain optimisme quand aux possibilités qui s’ouvrent avec la convergence de milliers de militantes et de militants pour un Québec solidaire.

Thèmes de recherche Politique québécoise
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