Au-delà de l’alternative électorale ?

No 014 - avril / mai 2006

Québec solidaire

Au-delà de l’alternative électorale ?

Diane Lamoureux

Le mariage de raison annoncé entre l’UFP et Option citoyenne a été célébré les 3, 4 et 5 février derniers. À plusieurs égards, il amène des perspectives nouvelles pour la gauche québécoise, mais il laisse bien des questions en suspens. Certes, on peut se réjouir de la naissance de Québec solidaire, dans la mesure où une alternative électorale à la gauche du Parti québécois amènera peut-être un certain nombre de personnes à participer aux consultations électorales, principalement chez les jeunes. Mais le nouveau parti a encore à faire ses preuves quant à sa capacité à coaliser le mécontentement social et à le traduire en votes.

Le début d’un temps nouveau ?

Tout au long de ce week-end, il a beaucoup été question du caractère historique de l’événement et de sa nouveauté. Nouveauté certes il y a, mais aussi une bonne dose d’amnésie historique et de fabrication médiatique, comme si c’était la première fois qu’on assistait à une expérience politique de gauche. Essayons de démêler tout cela.

L’unification de LA gauche politique ? Un peu surfait ! C’est sûrement moins glamour, mais il serait plus juste de parler de la frange de la gauche politique qui veut s’engager sur la scène électorale québécoise. Il est extrêmement dangereux de réduire la politique aux élections et la gauche politique aux sensibilités qui se retrouvaient dans l’UFP et Option citoyenne. Car il y a aussi une gauche politique qui s’investit dans des expériences de démocratie participative et dans des luttes de tous genres et qui ne se reconnaît pas dans le projet de Québec solidaire, sans pour autant le dénigrer.

Cette gauche politique a beaucoup fait pour montrer que la politique ne se réduit pas aux élections et englobe tout un registre de comportements citoyens, allant de la vigilance envers les politiques gouvernementales jusqu’à l’action directe ou la désobéissance civile. On la retrouve au Réseau de vigilance, dans diverses coalitions, dans des actions citoyennes sur les scènes municipales et locales, à D’abord solidaires et chez les anarchistes de diverses obédiences. Prétendre que toutes ces personnes ne font pas de politique parce qu’elles délaissent la scène électorale provinciale, c’est non seulement prétentieux mais cela témoigne également d’un crétinisme électoral qui ne serait pas à l’honneur du nouveau parti.

En même temps, il faut reconnaître que la gauche électorale a su dépasser son sectarisme passé et unifier largement. Par rapport aux expériences du Parti socialiste du Québec ou du mouvement socialiste, il y a eu une avancée notable et plusieurs ont accepté de mettre de l’eau dans leur vin afin d’unifier ceux et celles qui voulaient construire une alternative partisane de gauche sur la scène électorale.

Une diversité d’expériences et de sensibilités politiques ? Certainement et, en plus, les nombres ne sont pas insignifiants ! Près de 1 000 personnes rassemblées ces jours-là à l’Université de Montréal, parlant au nom de 4 000 membres. Des personnes ayant fait leurs classes politiques au Parti communiste, au Parti de la démocratie socialiste, au Rassemblement pour une alternative progressiste, dans le mouvement communautaire, dans l’extrême-gauche des années 1970 (des m.-l. aux trotskystes), dans le mouvement communautaire, dans la Marche des femmes, dans les luttes contre la ZLÉA, dans les mouvements écologistes ou dans la grève étudiante du printemps dernier. Tout cela représente un atout humain aussi riche que composite. Il était aussi intéressant de noter que si une bonne partie des membres du nouveau parti a dépassé la cinquantaine, il y avait également une bonne proportion de jeunes. De plus, les déléguées de ce congrès de fondation venaient de toutes les régions du Québec, sauf la Côte-Nord, ce qui rompt également avec le montréalocentrisme des expériences précédentes de la gauche politique électorale. En outre, le nouveau parti comporte un nombre sensiblement égal de femmes et d’hommes et une coordination nationale comportant un peu plus de femmes que d’hommes, même si le congrès a pu montrer, malgré la pratique de l’alternance des tours de parole entre hommes et femmes, que les hommes ont une fascination pour le micro supérieure à celle des femmes.

Un événement médiatique ? La couverture médiatique dont a bénéficié la fondation du nouveau parti est elle aussi nouvelle. Les chaînes d’information continue, la plupart des quotidiens, les chroniqueurs politiques et les bulletins de nouvelles radio et télé ont abondamment couvert l’événement. La couverture médiatique a été relativement positive lorsqu’on sait à quelle enseigne politique logent ces médias, dont plusieurs avaient tout de même appelé à voter Conservateur lors de la dernière élection fédérale, peu de temps auparavant. Chose certaine, un parti politique de gauche ne faisait pas figure d’extraterrestre dans le paysage partisan québécois et c’est là quelque chose de positif.

Des questions en suspens

Si l’unité peut, en elle-même, être vue comme une victoire, il n’en reste pas moins que la création du nouveau parti soulève autant de questions qu’elle n’en résout. Trois questions devront faire l’objet d’un éclaircissement dans les prochains mois : l’orientation du parti, sa structuration et sa consolidation organisationnelle, et le test électoral.

Le mariage s’est fait sur une Déclaration de principes extrêmement floue avec laquelle on essayait de faire en sorte que toutes les sensibilités politiques de gauche se reconnaissent dans le nouveau parti. Si les rubriques sont ordonnées par ordre de priorité, il est un peu cocasse qu’un parti de gauche se définisse comme écologiste avant de se définir comme étant de gauche. Et comme il y a gauche et gauche, le nouveau parti sera-t-il classiquement social-démocrate ou saura-t-il innover, au-delà de la lutte à la pauvreté ? La démocratie se réduit-elle aux institutions politiques ? Le féminisme consiste-t-il à dénoncer le patriarcat comme « système de pensée » ou à élaborer une politique familiale ? L’altermondialisme se réduit-il à la répétition des slogans de Porto Alegre et du FSM ? Quant à la souveraineté, elle est présentée comme une nécessité, principalement parce que le Québec ne peut s’épanouir dans le cadre fédéral actuel, ce qui est des plus minimalistes.

Bref, il reste encore beaucoup de travail pour la Commission politique et les membres. Les zones de flou de la déclaration de principe devront être précisées et il est à souhaiter que le nouveau parti parvienne à se doter d’un programme de gauche véritable qui soit plus qu’un ramassis de bonnes intentions et de propositions vagues (ce qui ne se limite pas à des propositions chiffrées ou réalistes, comme semblaient le penser plusieurs congressistes) et qui serve à nourrir un débat politique fort anémié par trois partis qui constituent autant de déclinaisons du (néo)libéralisme. Il est également à souhaiter que Québec solidaire échappe au fétichisme du programme qui caractérise le Parti québécois, sans entretenir le flou artistique de sa déclaration de principe.

Tout aussi importante que le programme est la structuration du nouveau parti. L’essentiel des travaux du congrès de fondation a été consacré à adopter des statuts qui vont clairement dans le sens de faire de Québec solidaire un parti électoral. Les énergies seront-elles suffisantes pour qu’il soit simultanément le parti des urnes et de la rue, des élections et des luttes sociales ? Comment faire en sorte que le parti ne phagocyte pas les mouvements sociaux ? Comment, par ailleurs, concevoir un parti de gauche qui ne soit pas mêlé aux luttes sociales ? Plus encore, comment être prêt pour les prochaines élections, qui seront peut-être plus rapprochées qu’on le pense si l’on considère que le Parti libéral s’en est tiré mieux que prévu après l’imposition d’une loi spéciale pour décréter unilatéralement les conditions de travail du secteur public, qu’il s’est tiré d’un dossier épineux avec la réponse Couillard au jugement Chaoulli et qu’il pourrait être tenté de profiter de l’embellie que constitue pour lui l’élection de Stephen Harper comme premier ministre du Canada ? Or, pour l’instant, tout laisse croire que l’organisation électorale dans plusieurs comtés est balbutiante, sans parler de la difficulté liée à l’harmonisation des cultures organisationnelles des deux groupes fondateurs.

Quant au test électoral, non seulement pourra-t-il avoir lieu plus tôt que prévu, mais il se déroulera certainement avec un mode de scrutin peu favorable à l’émergence de nouveaux partis politiques sur la scène parlementaire. L’expérience du Québec en matière de tiers-partis en est une où les nouveaux partis qui ne sont pas formés à partir de partis issus d’une scission d’un parti déjà au Parlement, n’arrivent pas à percer sur la scène parlementaire (RIN, NPD-Québec, PDS, RAP, UFP). Rappelons également l’expérience du PQ – pourtant issu d’une scission du PLQ et regroupant un bon nombre d’artisans majeurs de la Révolution tranquille – qui a dû se contenter de 7 députés malgré 23 % du vote en 1970 et de 6 députés avec 30 % du vote en 1973. L’enthousiasme électoral du nouveau parti survivra-t-il au fait de ne faire élire aucun ou très peu de députées ? Et si Québec solidaire présente des candidates dans toutes les circonscriptions, quelle sera la réaction de ses membres dans l’éventualité d’un renouvellement du mandat du Parti libéral, puisqu’une partie de l’électorat potentiel de Québec solidaire vote actuellement pour le PQ (par défaut ou par dépit) ou s’abstient ? La stratégie politique la plus payante pour la gauche actuellement consiste-t-elle à battre le PLQ (ce qui signifie, concrètement, faire élire le PQ) ou à consolider une alternative de gauche crédible sur la scène parlementaire ? Quelle sera, par ailleurs, l’implication de Québec solidaire dans le débat actuel sur la réforme du mode de scrutin : l’UFP a été très impliquée dans le dossier alors qu’Option citoyenne ne s’y est pas vraiment investie ?

Face à l’émergence de Québec solidaire, quelle peut être l’opinion de la partisane de la gauche politique et mouvementiste que je suis ? Laisser la chance au coureur, mais accompagner son évolution d’un regard circonspect et critique. Surtout, ne pas lâcher la proie pour l’ombre et continuer de mener des luttes urgentes contre le (néo)libéralisme québécois et planétaire. Enfin, juger sur la base des actions concrètes et non des intentions.

Thèmes de recherche Politique québécoise
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