Robert Fisk
La grande Guerre pour la civilisation. L’Occident à la conquête du Moyen-Orient
lu par Rachad Antonius
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Robert Fisk, La grande Guerre pour la civilisation. L’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005), La Découverte, 2005, 956 pages.
Ce livre dense est une mine d’informations et de clés pour comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient. Couvrant une période d’une trentaine d’années, les reportages repris ici et regroupés en vingt chapitres donnent une vision riche de la réalité sociale et politique de la région. À travers un luxe de détails, ils permettent de comprendre ce que signifient les stratégies de guerre occidentales et comment elles sont vécues et interprétées tant par les gens ordinaires que par les élites politiques dans la région et les chefs de guerre des diverses milices officielles et des groupes clandestins. Un travail minutieux de contextualisation historique a été effectué, grâce au concours d’historiennes et d’historiens chevronnés. Avec l’aide de ces derniers, Robert Fisk a déniché des citations fort éclairantes de stratèges, de militaires et de politiciens du XIXe siècle et du début du XXe, qui illustrent combien les efforts actuels de « civilisation » de la région par les grandes puissances évoquent l’entreprise coloniale des deux derniers siècles et s’inscrivent dans son prolongement. Le titre du livre est tiré d’ailleurs d’une médaille de guerre méritée par le père de Fisk, qui était soldat dans l’armée de Sa Majesté.
Certains ont reproché au livre de ne pas offrir de solutions ou de pistes pour le futur. Mais ce n’était pas là son propos ! Le livre démonte avec adresse et compétence les contradictions et les hypocrisies des puissants de ce monde en ce qui concerne le Moyen-Orient, et il n’est pas plus complaisant envers les forces politiques locales qu’envers les puissances occidentales. Il est sensible, cependant, au vécu des gens ordinaires qu’il observe avec empathie. Il essaie d’identifier les grands enjeux politiques structurant l’action des forces politiques sur le terrain, et de comprendre la vision de ces forces politiques et la lecture qu’elles font de leurs options. Il identifie et pointe du doigt toutes les actions des puissances occidentales qui contredisent leurs politiques affichées, tel l’appui du gouvernement américain à Saddam Hussein dans les années 80. En cela, il se situe à contre-courant de la pratique journalistique en Amérique du Nord en ce qui concerne le Moyen-Orient. On lit chez lui ce qu’on ne trouve pas dans la grande presse nord-américaine. Les vingt chapitres du livre, dont chacun constitue un mini-livre qui aurait pu se lire séparément, deviennent ainsi une lecture obligatoire pour comprendre pourquoi le Moyen-Orient est encore dans la tourmente, dix-sept ans après la fin officielle de la guerre froide.
