Bonjour Réaction sournoise !

No 033 - février / mars 2010

Adieu Révolution Tranquille

Bonjour Réaction sournoise !

Quand le capital a les deux mains sur le volant

Georges A. Lebel

Madame Monique Jérôme-Forget donne une grande conférence significativement intitulée : La révolution tranquille : un héritage épuisé et paralysant. Le 14 décembre 2009, des économistes paléo-libéraux remettent en cause la capacité d’action de l’État québécois. La réaction sournoise est en marche.

Ces économistes ne voient la société qu’à partir du Capital, pourtant la crise du Capital (une autre) était latente depuis que Thatcher, Reagan et Mulroney ont posé que la croissance devait rétribuer d’abord le capital.

Pour eux, la croissance résulterait des gains de productivité qu’on déciderait par la suite de répartir : produire la richesse d’abord donc avant de la distribuer. Trois récipiendaires désignés de cette répartition : le Capital, les salaires, l’État. Chaque année, on nous annonce que le PIB a cru entre 2 % et 5 %, mais depuis 1980, les salaires réels stagnent et le rêve américain de la croissance par la consommation n’a pu être financé que par l’endettement des ménages. La crise a éclaté quand la rétribution du Capital n’a plus laissé assez de salaires aux consommateurs pour payer leurs dettes.

De plus, pour accroître encore davantage la part du capital, on a aussi réduit la fonction redistributive de l’État. Geler les salaires et réduire les impôts fut toute la politique des 30 dernières années.

En résumé, si la petite bourgeoisie s’est emparée de l’État pour se constituer comme classe avec la « Révolution tranquille », la « Réaction » bourgeoise démantèle aujourd’hui à son seul profit cet instrument collectif. Quelle idéologie (1) à la sauce Québec (2) justifie les mécanismes (3) de cette « Réaction » de déconstruction de l’État et de privatisation des services publics ?

1. Quelle idéologie ?

Comment peut-on faire accepter la stagnation du salaire réel, la déconstruction de l’État et l’augmentation de la rétribution du Capital ? Vous n’avez qu’à consulter la presse du Capital (y en a-t-il une autre ?) ; tous les arguments sont là, répétés à satiété. La particularité de l’idéologie dominante, c’est de faire croire qu’il n’y a pas d’alternative. C’est la thèse ultra libérale du « Public Choice » qui nous semble encapsuler ce discours dominant.

C’est une théorie micro-économique du politique et de la démocratie : l’homo economicus, être rationnel, ne cherche que son intérêt économique. L’égoïsme est la mesure de la rationalité ; l’ignorer, c’est être voué à l’inefficacité et à l’irrationalité économique. Le libre marché est le meilleur indicateur de la conjonction de ces intérêts par la concurrence.

Ces thèses s’appliqueraient aussi à l’État. Personne n’y chercherait l’intérêt collectif ; les politiciens ne veulent qu’être réélus, les fonctionnaires mieux payés, et les électeurs ne veulent rien savoir, parce qu’économiquement rationnels, cela leur coûte très cher de s’informer sur chacun des enjeux politiques, alors que l’efficace du vote individuel est vraiment limitée. Il est donc économiquement rationnel de s’abstenir devant la non-pertinence des enjeux politiciens (se faire réélire) pour l’électeur individuel.

Les fonctionnaires de leur côté ne peuvent, à l’intérieur de l’État, en connaître toutes les dimensions, donc déterminer le bien public général. Si les électeurs et les fonctionnaires n’y peuvent rien, il ne reste plus que les « lobbies », eux aussi égoïstes. Pour contrer leur influence, il faut réintroduire la concurrence dans l’État, dans les « choix publics ». Le marché étant l’expression la plus pure du rationnel collectif qui choisira la meilleure solution pour tous, il faut soumettre l’État au marché.

La théorie libérale veut que la « main invisible » créera l’optimum de Pareto pour tous, c’est-à-dire une situation qu’il est impossible de modifier sans détériorer la position de quelqu’un. Seuls les résultats économiques seront la mesure du succès et non les principes de services publics, universels, accessibles et gratuits pour tous, qui réalisent le droit à l’égalité et à la solidarité. Cela n’est pas économiquement rationnel.

2. Quelle forme de cette idéologie au Québec ?

La réaction bourgeoise tiendra ce discours qui atteindra son sommet avec le rapport Gobeil produit en1986 : un programme de désengagement de l’État et d’abolition de plusieurs organismes d’un État considéré inefficace, gangrené par une administration bureaucratique, hiérarchique et rigide qui développe des objectifs propres au lieu de se concentrer sur les résultats. On propose donc la déstructuration de l’État de bien-être par le recours au marché.

L’idée cheminera et c’est Joseph Facal, dans un rapport publié en 1997, qui fera adopter en 2000 la nouvelle loi sur l’administration publique. Cette loi introduit, sous le slogan de la « Nouvelle Gestion publique », la logique du résultat dans la gestion de l’État. Elle met en œuvre quatre principes :

1. aux élus les choix politiques, l’approbation des programmes et des grandes orientations ; Charest veut les deux mains sur le volant ;

2. un accroissement de la marge de manœuvre des gestionnaires, qui doivent adopter une déclaration de mission et prévoir des indicateurs de performance permettant la reddition de compte ;

3. l’introduction de l’imputabilité personnelle du gestionnaire lors des contrôles a posteriori ;

4. et surtout une remise en cause du monopole du service public pour introduire la concurrence.

La Loi sur le développement durable (2006) complètera le tableau de la logique du marché dans la gestion de l’État.

3. Quels mécanismes ? Pour quels effets ?

Plusieurs mécanismes permettront la mise sur pied de cette politique au Québec.

D’abord au sein de chaque ministère, on demandera l’adoption d’une « déclaration contenant ses objectifs […] les résultats visés et les indicateurs de performance » dans le cadre d’une « convention de performance et d’imputabilité » dont les « clients » du service public seront juges. Certains services seront confiés à des agences gouvernementales : c’est l’impartition.

Puis les partenariats public-privé recourent au marché pour réaliser des fonctions de l’État : tour de passe-passe comptable qui permet d’inscrire la dette des infrastructures au passif des compagnies privées plutôt qu’à celui de l’État en contrepartie d’un loyer annuel majorant de 20 % les coûts étalés dans le futur. Il s’agit de bombes à retardement puisque seul l’État assume le coût des échecs des PPP dans des services qui devront de toute façon être rendus. Mais surtout, on accorde ainsi au capital un revenu minimum garanti refusé aux autres…

Là où il n’y a pas de marché – l’éducation, la santé et le bien-être sont chez nous des monopoles du service public instauré par la Révolution tranquille – on instaurera des partenariats public-communautaire (PPC) selon la logique de la Nouvelle Gestion publique : l’État définit un problème, en fixe les objectifs et offre à quiconque de les prendre en charge. On utilisera cette technique lorsque cela coûtera trois fois moins cher que la fonction publique traditionnelle.

Plusieurs effets résultent de cette Nouvelle Gestion publique.

D’abord, il s’agit toujours d’une logique hiérarchique, (Top/Down), par laquelle l’État définit le problème et impose les critères de reddition de compte. Les groupes qui s’y prêtent renoncent à l’idéal de la participation démocratique où l’assemblée générale décide de l’action collective selon les aspirations de ses membres.

Cette logique s’éloigne de celle de la Révolution tranquille qui a remplacé l’Église et la charité par l’État et les services publics. Les groupes sociaux palliaient à l’action déficiente des services publics. Dans l’Amérique de Bush et de Charest maintenant, l’initiative privée est chargée du social et l’État n’intervient que subsidiairement aux déficiences du privé. C’est l’essence de la Loi contre la pauvreté et l’exclusion sociale et de l’action des Fondations privées.

Cette logique remet en cause les services publics, universels, accessibles et gratuits ayant pour finalité la réalisation des droits économiques sociaux et culturels, gages d’un niveau de vie suffisant résultant d’un travail rémunérateur, permettant la syndicalisation et garantissant l’accès à la famille, l’éducation et la santé. C’est cela qu’on remet en cause ; ce n’est pas rien.

Car ces fameux critères de performance et de reddition de compte ne sont pas liés à des concepts de redistribution et d’équité, mais plutôt à ceux d’efficacité économique, de réduction des coûts et de contrôle comptable [1].

De plus, on remet en cause le rapport salarial au sein de l’État. On remplace des fonctionnaires protégés par des conventions collectives par des travailleurs communautaires temporaires, intermittents, sans protection et bien sûr non syndiqués. Quelle aubaine au moment des négociations des conditions de travail dans le secteur public que ces zones franches du travail où s’échinent déjà 40 000 travailleuses, sous des normes « minimales » à la limite de l’indécence.

AINSI, on a réduit la part des salaires, on a réduit les fonctions redistributives de l’État et on a augmenté la part du Capital dans l’appropriation des gains de productivité. Tout cela en douce.

Cette idéologie et cette politique visent le cœur de l’État. Il s’agit d’y introduire la logique du Capital, du profit à la place de celle du Welfare State reposant sur des services publics universels, gratuits et accessibles. La logique du profit remplace celle des droits dans la détermination des politiques publiques de redistribution de la richesse collective.

L’État ne se retire pas des services publics, mais il agit différemment en les liant à un marché privé pour faire entrer dans la circulation marchande les sommes colossales du budget social de l’État qui lui échappaient jusque-là. Il s’agit tout simplement de rendre la pauvreté RENTABLE, selon l’expression de F. Leseman (INRS).

C’est la fondation Chagnon qui capte le budget de l’État en se servant d’exemptions d’impôts pour réaliser les valeurs d’une droite profondément réactionnaire : la famille, la charité, l’autorité, le respect des « élites » et de ceux qui ont de l’argent, contre les valeurs de la Révolution tranquille. Lorsque les riches s’occupent de la pauvreté, il faut voir que pour accroître leur part de captation de la richesse, ils remettent en cause l’universalité des programmes sociaux, la neutralité des services publics et l’impératif démocratique d’égalité.


[1Rapport du Vérificateur général du Québec 2008-2009, tome 1, chap. 3 : http://www.vgq.qc.ca

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