Nos services publics - Un trésor collectif en péril
Fonction publique : Y a-t-il encore du gras à couper ?
La crise économique et financière a ramené à l’avant-plan le discours selon lequel les coupes sont nécessaires dans la fonction publique afin de faire face à un déficit croissant. Les négociations du secteur public sont aussi l’occasion pour le gouvernement libéral et le Conseil du patronat de renchérir sur l’incapacité de payer davantage les fonctionnaires, étant donné l’important déficit réapparu dans les finances publiques dans la foulée de la crise.
De nouvelles coupures ? Mais où ? Voilà une question à laquelle les employées de l’État ont été confrontées à maintes reprises au cours des 25 dernières années. Ajoutons une autre question : est-il réaliste de réduire, puis d’éliminer, le déficit, entre autres par de nouvelles coupes dans la fonction publique ? L’histoire des 25 dernières années nous apprend que l’équilibre des finances publiques, lorsqu’il s’appuie sur des coupes dans les effectifs et les budgets, se fait sur le dos de la population.
Une fonction publique déjà éprouvée
À l’époque du « déficit zéro » du gouvernement de Lucien Bouchard, alors chef du Parti québécois, un prétendu consensus a été établi au Sommet sur l’avenir socioéconomique du Québec, en octobre 1996. Il s’en est suivi un bras de fer, trompeusement appelé négociation, pour arracher aux syndiqués des secteurs public et parapublic des concessions majeures. Il en est résulté des départs massifs à la retraite laissant nombre de secteurs de travail avec une pénurie importante de personnel.
En examinant l’évolution de l’effectif de la fonction publique de 2003 à 2008 [1], on s’aperçoit que celui-ci a augmenté par rapport à ce qu’il était 10 ans plus tôt. À cette époque, la fonction publique, comme les réseaux de la santé et de l’éducation, avait subi les effets de milliers de départs à la retraite suscités par la recherche obsessionnelle de l’élimination du déficit en trois ans, à la suite du Sommet d’octobre 1996.
Toutefois, à partir de 2003 il y a décroissance de l’effectif. Le gouvernement libéral, nouvellement élu, se donne rapidement l’objectif de réduire, de « dégraisser », l’appareil gouvernemental. À la suite de l’application des mesures de notre « dame de fer » à nous, Monique Jérôme-Forget, la fonction publique se retrouve en 2008 avec 5,5 % moins d’effectifs par rapport à 2003.
Il faut voir cependant que certains ministères sont davantage touchés. Il est remarquable de constater que le ministère du Dévelop-pement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) se voit amputé de 11,5 % de ses effectifs, plus du double de la moyenne totale. C’est assez inquiétant à une époque où les problèmes environnementaux et la question écologique préoccupent tous les esprits. Cette situation apparaîtra moins grave que celle vécue par le ministère de l’Environ-nement dans les années 1990 alors que ce ministère avait subi des coupes de 40 % de son budget et de ses effectifs. Les libéraux ont fait disparaître le ministère en l’intégrant avec d’autres services pour créer le MDDEP tout en continuant de réduire ses ressources.
Un autre cas frappant est celui du ministère des Transports, dont l’effectif a été réduit de 12,8 % entre 2003 et 2008. De plus, la catégorie des cols bleus de ce ministère a continué à diminuer malgré les besoins criants. L’explication se trouve dans l’augmentation sans cesse grandissante de la sous-traitance dans la plupart des activités de ce ministère.
Le cas de la Régie du bâtiment est aussi inquiétant à une époque où les scandales resurgissent dans l’industrie de la construction. Cet organisme gouvernemental a tout de même vu ses effectifs diminuer de près de 10 % au cours des cinq dernières années. D’ailleurs, le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) « a dénoncé la baisse marquée du nombre d’inspections sur le terrain. En 2003, 55 300 visites ont été conduites ; en 2008, il y en a eu à peine 13 500, a relevé le SFPQ, qui croit que ce nombre tombera sous la barre des 10 000, cette année. » [2] La Régie, de son côté, attribue cette diminution à une nouvelle approche dans l’inspection qui consiste à recourir à l’autocontrôle par les entrepreneurs !
En fait, on constate que les ministères et les services qui subissent le plus durement les coupes dans la fonction publique sont ceux qui sont les plus utiles à la société. Par ailleurs, pour la même période, l’effectif de l’Assemblée nationale a augmenté de 7,2 % et celui du Conseil exécutif, sous la responsabilité du premier ministre, de 31 %. Au cours de cette même période, le gouvernement a utilisé une partie de sa marge de manœuvre pour appliquer des diminutions d’impôt qui ont surtout profité aux mieux nantis.
Couper, couper, couper… Erreur, erreur, erreur…
Si certains esprits pourraient être tentés de se réjouir de la perspective de réduire encore la taille de la fonction publique, ils feraient une grave erreur s’ils ont à cœur l’organisation de services publics efficaces. Ils feraient également une erreur s’ils croyaient que de telles coupes permettraient de rétablir l’équilibre des finances publiques.
Couper dans la fonction publique, ça ne veut pas dire éliminer le fonctionnaire qu’on imagine nous casser les pieds ou se les traîner. En fait, l’image du fonctionnaire qui passe ses journées à lire le journal ou à s’occuper de ses affaires personnelles au lieu de travailler pour l’État n’est plus d’actualité depuis belle lurette. Au cours des 25 dernières années, les réorganisations et opérations qualité ont fini par créer une situation telle que les charges de travail ont été démesurément augmentées, ou encore carrément éliminées, en les confiant à des sous-traitants ou en les abolissant tout simplement.
Les exemples sont nombreux des effets néfastes des coupes dans la fonction publique. J’en ai donné quelques-uns plus haut. On pourrait ajouter ceux de l’Agriculture, de la Culture (27 % de réduction d’effectifs), de l’Office québécois de la langue française qui a subi des coupes de 8,3 % pendant que les problèmes linguistiques réapparaissent principalement dans la région de Montréal.
Les politiques de compression successives du dernier quart de siècle n’ont pas eu de pénibles conséquences uniquement dans les réseaux de la santé et de l’éducation. Bien que la fonction publique ne soit pas vue comme aussi névralgique que les deux grands réseaux, il n’en demeure pas moins qu’elle joue un rôle important dans plusieurs domaines pour assurer à la société une qualité de vie appréciable.
De plus, à l’époque de la globalisation de l’économie et de l’offensive des milieux financiers et des multinationales, la fonction publique comme l’ensemble des services publics, peut être vue comme un rempart contre la dictature des marchés et de la finance mondialisée. C’est donc une grave erreur que de fragiliser la fonction publique même si, globalement, il s’agit d’une structure aux mains des possédants pour contrôler la société.
On ne peut nier que les nombreux services publics apparus depuis les années 1960 ont permis d’améliorer les conditions de vie de la population du Québec. D’ailleurs, dans bien des cas, ils ont été mis en place à la suite de revendications des mouvements sociaux, des organisations syndicales et du mouvement des femmes.
Par ailleurs, plusieurs observateurs des milieux financiers ont reconnu que le Québec a été moins affecté par la crise économique et financière de 2007 et 2008 parce qu’il y a ici des services publics et des programmes sociaux solides. La capacité à recourir aux fonds publics a été d’une aide très précieuse pour limiter les dégâts du capitalisme.
Défendre la fonction publique : un objectif progressiste !
Alors, faut-il chercher à « dégraisser » la fonction publique une fois de plus ? Nous entendrons sans doute encore ce discours maintenant que les milieux financiers ont eu l’aide de l’État. En réalité, il n’y a pas de gras à couper dans la fonction publique, à moins que l’on cherche à éliminer sa capacité d’agir et à faire respecter les règles édictées par le gouvernement lui-même.
La fonction publique est loin d’être parfaite. Mais si vous l’affaiblissez sans cesse ce sont ceux qui cherchent constamment à se soustraire à leurs responsabilités sociales qui en profiteront.
Le contexte actuel a ses particularités. Il découle de cette crise mondiale du capitalisme une situation catastrophique pour des millions de personnes, notamment aux États-Unis. Cette crise fait suite à plusieurs années d’encensement du marché et de l’entreprise privée. Durant la même période, les chantres d’une plus grande libéralisation n’ont pas cessé d’attaquer l’État, la réglementation, la lourdeur administrative, le poids de la fiscalité qui serait nuisible au développement économique, etc.
Il ne faut pas perdre de vue que cette crise financière est due, en partie, à la faiblesse de la réglementation du milieu financier à l’échelle internationale. Je n’ose pas imaginer les dégâts que le Québec aurait eu à subir s’il était allé aussi loin que la droite économique et financière l’exigeait. Non, il n’est vraiment pas pertinent d’inventer du gras à couper dans la fonction publique. Il faut plutôt chercher à l’améliorer et à faire en sorte qu’elle serve davantage l’intérêt général plutôt que les intérêts de certains groupes privés.
[1] L’effectif de la fonction publique 2007-2008, document publié par le Conseil du trésor du Québec et disponible sur le site gouvernemental.
[2] « Régie du bâtiment : les inspecteurs doivent se contenter de la parole des entrepreneurs », Michel Corbeil, Le Soleil, 31 mars 2009.