Le partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité
Un complot légalisé
par Normand Pépin
Peu d’entre vous ont à ce jour entendu parler du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité (PSP), tout simplement parce que les trois gouvernements impliqués font tout pour qu’il passe inaperçu, de crainte de soulever la controverse et un débat public du type de celui qu’on a connu avec les négociations de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, puis avec l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) qui avait alors inclus le Mexique. Le PSP regroupe les mêmes partenaires que l’ALÉNA (Canada, États-Unis et Mexique) dans un partenariat qui n’a pas été scellé par la signature d’un traité. Et les gouvernements se servent de cette excuse pour ne pas le soumettre à leurs parlements respectifs.
Que cherchent-ils donc à cacher ?
Au moment de son lancement, le 23 mars 2005, bien malin qui aurait pu se douter de ce que nous réservait le PSP. Présenté comme un processus pour éliminer la « tyrannie des petites différences » qui nuisent au commerce entre les trois pays de l’ALÉNA, le partenariat s’est révélé être une opération de grande envergure, qui touche de multiples aspects de la vie dans nos trois pays. On voudrait bien nous faire croire qu’il ne s’agit que d’harmoniser les formats des boîtes de conserve pour qu’elles puissent être vendues sans problèmes dans l’un ou l’autre des trois pays, mais quand il est question d’exportation d’eau en vrac ou de quintupler la production de pétrole dans les sables bitumineux de l’Alberta, ce sont des choix de société qui sont remis en question.
Trois mois après son lancement, les ministres responsables du PSP dans les trois pays (Industrie, Affaires étrangères et Sécurité publique) déposaient leur premier rapport sur l’état d’avancement du PSP. C’est à ce moment-là qu’on a pu réaliser que des équipes de travail étaient à l’œuvre depuis bien des mois avant le lancement officiel, qui n’est venu que lever un peu le voile sur le partenariat. En effet, on découvrait alors que 19 groupes de travail avaient été créés – neuf pour le volet « sécurité » et dix pour le volet « prospérité » – et que ceux-ci sont chargés de faire avancer une centaine d’initiatives qui se déclinent en 317 objectifs « livrables ». Et déjà, en juin 2005, dans ce premier rapport, on apprenait que l’échéancier de quelques-uns de ces « livrables » était déjà complété. Au dépôt du deuxième rapport aux dirigeants, en août 2006, c’était déjà 65 de ces « livrables » qui étaient complétés. Le PSP avance donc à la vitesse grand V et presque personne n’est au courant sauf…
L’omniprésence des dirigeants des grandes entreprises
Le PSP implante une nouvelle mécanique par laquelle le secteur privé a la mainmise sur la prise de décisions. Les dirigeants des plus grandes entreprises de chaque pays sont partie prenante des négociations, ils y ont accès directement. Ils définissent les objectifs et les moyens à mettre en œuvre tandis que les pouvoirs exécutifs de chaque pays (les trois chefs d’État et les neuf ministres responsables du PSP) ont la responsabilité de les instrumenter soit par des politiques économiques précises, soit par des modifications à certaines réglementations. La voie législative doit être évitée comme la peste parce qu’elle est considérée par le monde des affaires comme ne menant nulle part… sans doute à cause des débats que ne manqueraient pas de susciter un changement à une loi existante ou l’adoption d’une autre loi.
Donc, plus besoin de lobbies dans l’antichambre du pouvoir quand on a un accès direct à celui-ci. Cet accès a été formalisé en juin 2006 avec la mise sur pied du Conseil nord-américain de la compétitivité (CNAC), composé de représentants de 30 corporations parmi les plus grandes d’Amérique du Nord, pour conseiller les chefs d’État sur les questions relatives à la compétitivité nord-américaine. Le 15 juin 2006 à Washington, le secrétaire au Commerce des États-Unis, Carlos Gutiérrez, illustrait ainsi la place des gens d’affaires dans le processus d’intégration en Amérique du Nord : « Le but [est] d’institutionnaliser le PSP et le CNAC, de façon à ce que le travail se poursuive même avec des changements de gouvernement ». Plus tard, Ron Covais, de la multinationale de l’armement Lockheed Martin et président de la section éats-unienne du CNAC, déclarait au magazine Maclean’s : « Les ministres nous ont dit : “Dites-nous ce que nous devons faire et nous ferons en sorte que ça se produise” ».
Depuis quand les dirigeants d’entreprises sont-ils les seuls à avoir quelque chose à dire sur les questions de compétitivité et de sécurité ? La prospérité pour qui, d’ailleurs ? La sécurité de quoi ? À ce que l’on sache, on ne discute pas à ces réunions de sécurité d’emploi, de sécurité du revenu, de réduction des écarts de richesse dans nos sociétés, des éléments pourtant jugés prioritaires par l’ensemble de nos populations.
En conclusion, le CNAC doit être démantelé car il n’a pas la légitimité nécessaire pour proposer des changements au nom de tous les citoyens et citoyennes de nos trois pays et les négociations entourant le PSP doivent être suspendues tant et aussi longtemps qu’un débat public large n’aura pas eu lieu sur la question.