Lexique à l’usage des lecteurs ne parlant pas l’économique
L’art des superstitions économiques
par Gaétan Breton
Le principe de base du discours économique actuel est de déformer systématiquement le sens des mots et des concepts. Quand un terme est employé, il veut dire autre chose que ce qu’il signifiait dans la théorie classique. L’IEDM étant spécialisé dans la récitation des mantras économiques de la classe dominante, son discours est toujours en porte-à-faux par rapport à la théorie à laquelle il prétend pourtant continuer de se référer. Nous avons donc voulu donner ici quelques clefs pour la compréhension du nouveau sens qui se cache derrière les vieux concepts.
1- La compétitivité
Par cela, il faut lire qu’on n’est jamais plus compétitif que lorsqu’il n’y a pas de compétition. Par exemple, l’IEDM n’a pas de véritable compétition en tant que transformateur des intérêts de la droite en galimatias prétendument scientifique au Québec.
2- Le marché
Il faut lire : l’absence de marché. Pour qu’il y ait marché, il faudrait que le nombre d’offreurs soit très grand. Or, dans tous les domaines, derrière un grand nombre de marques se cachent très peu d’entreprises. Prenons l’eau embouteillée. Au Québec, il reste Nestlé et Danone dans l’eau de source et Coke et Pepsi dans l’eau du robinet, plus un ou deux joueurs minuscules. Ce n’est pas assez pour faire un marché.
Prenons l’exemple des banques. S’il y avait un marché, elles baisseraient leurs frais pour voler les clients des autres jusqu’à ce que le profit soit minimum. Or, les banques présentent des profits records année après année et haussent leurs frais toutes ensemble. Il y a donc collusion pour tondre le client. Voici un autre secteur où il n’y a pas de marché : les profits des compagnies de pétrole impliquent clairement l’absence de marché dans ce domaine selon la théorie économique que prétend défendre l’IEDM.
3- La science économique
Ici, on veut vous faire entendre la « théorie libérale ». Mais on devrait préciser qu’il ne s’agit que de la moitié de la théorie libérale, car si d’un côté on y fustige les interventions de l’État, on n’y dénonce jamais les collusions et les concentrations qui sont contraires au fonctionnement de l’économie telle qu’ils prétendent la défendre. Bref, comme pour le reste, ils ont une science économique à deux vitesses : une pour l’État, qui consiste à respecter les « lois » économiques et à prendre le moins de place possible, et une pour les entrepreneurs, qui consiste à briser toutes les « lois » économiques pour faire le plus d’argent possible.
4- Le contrôle des prix
Quelle horreur ! Le contrôle des prix, pour l’IEDM, fausse le libre jeu du marché. Oui, peut-être, mais comme il n’y a pas de marché dans la plupart des secteurs, de quel libre jeu parle-t-on ? Le contrôle des prix empêche toutefois les entreprises d’augmenter leurs profits à l’infini en profitant de l’absence de marché qui devrait régulariser les prix. Si de plus, on peut faire croire aux gens que nous sommes dans une économie de marché et que les prix sont de bons indicateurs, il n’y a plus de limites.
5- Le contrôle des salaires
Une mesure absolument nécessaire pour contrôler l’inflation. On est surpris de constater que, dans le monde, ce sont les pays où les salaires sont les plus bas qui ont les plus hauts taux d’inflation. Mais n’allez surtout pas en tirer des conclusions. Tout le monde sait que les prix ne font pas augmenter l’inflation, sauf celui du travail, et que lorsque les prix ont un effet négatif, c’est seulement parce qu’il a fallu augmenter les salaires que les prix ont dû, bien qu’à contrecoeur, être augmentés.
6- La liberté économique
Il s’agit de laisser les consommateurs à la merci des grandes entreprises. Ces grandes entreprises sont souvent les intermédiaires, qui détournent toutes les supposées règles économiques pour faire plus de profits mais se réfèrent à ces règles comme des lois naturelles. Le problème est que le consommateur n’a pas la liberté économique de ne pas manger. Comme ces grands intermédiaires sont en nombre limité et contrôlent la mise en marché, le consommateur n’a pas non plus d’autres « offreurs » vers qui se tourner. En conséquence, ces grands intermédiaires contrôlent le marché, ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de marché, puisqu’un marché se définit d’abord par le fait que personne n’en a le contrôle.
7- Les incitations
Le principe en physique est simple : tout corps au repos ou en mouvement demeure au repos ou en mouvement tant qu’une force contraire ne lui est pas appliquée. On l’applique en économie et on prétend que l’état naturel de l’homme (incluant la femme) est la paresse et qu’il faut l’espoir d’une unité supplémentaire de consommation pour le faire bouger. Pour le petit employé, la reproduction de sa force de travail semble une motivation suffisante. Pour les gestionnaires de haut vol, on a inventé toute une série de motivations, allant des bonis aux options d’achat d’actions à prix réduits.
En poursuivant le raisonnement, on comprendra que dans leur logique, les prestataires de l’aide sociale n’ont aucun intérêt à aller travailler au salaire minimum. En conséquence, pour les pousser à « réintégrer » le marché du « cheap labour » il ne faut pas créer des emplois satisfaisants, car en ce cas qui occuperait alors les autres emplois ? On va donc couper l’aide sociale et forcer les bénéficiaires, pour survivre, à devenir des « working poors » au service des riches, souvent en dessous de la table où ils pourront aussi, en passant, espérer glaner quelques miettes.
8- Le chômage de plein emploi
Un autre postulat de base de la théorie économique est que la rareté fait augmenter le prix. D’où la nécessité du concept de chômage de plein emploi qui ne cesse d’augmenter. Si la réserve de chômeurs s’épuise, le prix de la main-d’œuvre va monter à l’infini. La sécurité du capitaliste demande le maintien d’un minimum de chômage pour réguler le prix de la main-d’œuvre.
9- Les pauvres
Entités abstraites définies selon le seuil de faible revenu de Statistique Canada (qui refuse de l’appeler seuil de pauvreté) et dont on trouve quelques exemples si l’on s’aventure vers l’est de la ville, surtout au sud de l’île. Pour la plupart, ils vivent heureux avec l’aide sociale dans des logements insalubres aux coûts de chauffage prohibitifs. Mais ils n’ont jamais connu rien d’autre, bien que la mobilité entre les classes sociales, si l’on en croit les notes économiques de l’IEDM, soit très grande. Bref, il n’y a pas de prédisposition sociale à la pauvreté selon l’IEDM, mais ils se retrouvent de génération en génération dans les mêmes taudis.
10- Une réglementation plus légère
En ce moment, la loi laisse des entreprises faire faillite et l’entrepreneur peut recommencer le même commerce 10 jours plus tard, dans le même local, sans avoir payé ses employés. Une entreprise peut tricher l’impôt sans que ses administrateurs ne soient déclarés responsables. Une entreprise peut construire des développements immobiliers, verser des sommes faramineuses en frais de gestion puis faire faillite et les « promoteurs », cachés dans la compagnie mère, ne sont absolument pas obligés de respecter les garantis. Mais la réglementation reste trop lourde. Alléger la réglementation doit signifier donner le droit de vie et de mort sur les employés et les clients : il est difficile de voir comment on peut aller plus loin sans aller jusque là. À moins que la déréglementation ne consiste à abolir ce système des personnes morales, lequel ne vit que par des lois et des règlements. Si c’est cela, nous sommes pour !
Comme on le voit, ce discours économiste est rempli de contradictions et le système actuel, dont les mercenaires de l’IEDM font une constante promotion, ne vit qu’en appliquant dans les faits le contraire des principes qui sont défendus sur le devant de la scène. La pérennité de ce système repose uniquement sur la répétition dans les médias et dans le système d’enseignement d’une série de mantras – mantra du marché, mantra de la concurrence, mantra des incitatifs, mantra des lois inéluctables de l’économie, etc. – qui doit beaucoup au fait que ces médias font maintenant partie de grands groupes multinationaux qui vivent eux-mêmes en entretenant ces superstitions dans la population.