Dossier : L’institut économique (…)

IEDM et partis politiques

Rencontre du troisième type

par Christian Brouillard

Christian Brouillard

L’Institut économique de Montréal (IEDM) se présente explicitement comme une organisation indépendante, vouée à la recherche et à l’éducation économique, non partisane et sans but lucratif. Elle est d’ailleurs enregistrée comme « organisme charitable » par Revenu Canada. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, on ne sait pas avec exactitude qui finance cet Institut et dans quelle proportion. Dans un document fort éclairant publié en octobre 2003 [1], la Coalition Solidarité Santé soulignait que comme l’Institut Fraser, son frère jumeau basé en Colombie-Britannique, « il est légitime de présumer que (...), l’IEDM est financé par de grandes compagnies qui ont tout à gagner de la privatisation et de la déréglementation ».

Qu’une organisation dédiée à « l’éducation économique » ait des liens « intimes » avec les entreprises, rien que de bien normal, dirions-nous. Encore que… Mais que cette organisation, s’autoproclamant comme non partisane, ait des rencontres du troisième type avec des formations politiques, il y a de quoi rester songeur…

À ce titre, il est intéressant de voir les liens entre le Parti libéral du Québec (PLQ) et l’IEDM. Avant et après les élections de 2003, plusieurs rencontres se seraient tenues entre Jean Charest, des dirigeants du Parti libéral et des membres de la direction de l’IEDM. La tenue de ces rencontres a été confirmée par le directeur exécutif de l’IEDM de l’époque, Michel Kelly-Gagnon, dans un article du journal The Gazette (28 septembre 2002). Il soulignait aussi la présence de membres de l’Action démocratique du Québec (ADQ). De quoi a-t-il été question durant ces rencontres ? On ne le sait pas avec certitude mais il est clair, en examinant les grandes lignes des restructurations mises de l’avant dans le domaine de la santé et des affaires sociales par les libéraux (la « réingénierie » de l’État) et la teneur des analyses faites par l’IEDM, qu’il y a eu une belle convergence idéologique. Rien d’étonnant alors que l’IEDM se soit retrouvé sur la liste des experts « indépendants » ayant validé le cadre financier présenté par le PLQ durant la campagne électorale. Rien d’étonnant aussi dans le fait que le ministre des Finances libéral de 2003 à 2005, Yves Séguin, ait été, en 2000, membre du comité de direction de l’Institut. Une activité qu’on ne retrouve pas dans sa biographie mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale…

Si l’enthousiasme de l’Institut envers le gouvernement du PLQ a été quelque peu douché par la lenteur à « réinventer » le Québec (entre autres sur la question de la réduction des impôts), les éloges des libéraux pour le travail de l’IEDM ne semblent pas avoir cessé. Dans le cadre d’un déjeuner-causerie en mars 2007, Jean Charest ne tarissait pas de compliments envers l’œuvre de l’IEDM, soulignant son importance dans l’enrichissement des débats idéologiques au Québec où, selon lui, « il n’y avait pas suffisamment de contributions venant de différentes écoles de pensée ». Traduit en clair, dans un paysage dominé par la gauche, l’IEDM apporterait un vent de fraîcheur avec de « nouvelles » idées, des idées de droite. On connaît la chanson. Elle n’est pas neuve tout comme ces idées que l’on brandit comme moyens de « moderniser » la société.

Et dans l’art de faire du neuf avec du vieux, l’ADQ a mis au point, de son côté, pas mal de bonnes recettes. On sait que les principes de base de ce parti sont largement inspirées par ce qui a été concocté dans la droite néolibérale américaine [2]. Avec tant de points communs, on ne sera pas étonné alors de voir se développer des liens serrés entre l’ADQ et l’IEDM. Entre autres exemples, à l’automne 2006, Paul Daniel Muller accédait au poste de président de l’IEDM, succédant à Michel-Kelly Gagnon (dont nous avons déjà parlé), qui lui, passait à la tête… du Conseil du patronat du Québec. M. Muller avait déjà occupé des fonctions dans le gouvernement Bourassa et, plus récemment, était lié à l’ADQ. Il a depuis lors officiellement rompu les liens avec cette formation politique. Il n’en reste pas moins que Mario Dumont est souvent présent à des événements organisés par l’IEDM et que l’ADQ utilise abondamment les études de l’Institut pour justifier ses prises de position politique.

Que le PLQ ou l’ADQ soient au diapason avec l’IEDM, il n’y a sans doute là rien de bien étonnant, la droite frayant avec la droite. Dans le cas du Parti québécois, les choses se corsent un peu, ce dernier s’affichant encore comme une formation « sociale-démocrate ». Un peu surprenant alors de lire dans le Globe and Mail du 16 novembre 2005 qu’un des conseiller d’André Boisclair, alors chef du PQ, ait été Daniel Audet, ancien membre de la direction de l’IEDM. M. Boisclair n’est plus là, mais d’autres politiques proches du PQ ont exprimé des positions très près de celles de l’IEDM, dont Joseph Facal dans ses chroniques du journal Les Affaires (où, d’ailleurs, écrit Paul Daniel Muller).

Alors, l’Institut économique de Montréal, une organisation non partisane ? Dans un certain sens, oui, puisque loin d’être manipulée par les partis politiques, c’est plutôt elle qui les influence en leur fournissant une « boîte à outils » idéologique. Dans cette convergence entre personnalités politiques et chefs d’entreprise, l’Institut joue le rôle, pour reprendre l’expression du théoricien marxiste Gramsci, d’un intellectuel collectif du capital et de l’État en vue de légitimer les contre-réformes néolibérales.


[1Coalition Solidarité Santé, L’Institut économique de Montréal, un lobby de droite pseudo-charitable qui a infiltré le Parti libéral du Québec, octobre 2003.

[2Jean-Claude Saint-Onge et Pierre Mouterde, ADQ : voie sans issue, Montréal, Écosociété, 2002, 147 p.

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