Compagnies minières
La ruée vers l’uranium qui enrichit
par Sophie Toupin
Après de longues années d’absence, tapi sous le sol, la réputation lourdement entachée, l’uranium refait surface. Au cours des derniers mois, l’élément 92 est devenu la coqueluche des compagnies d’exploration minière, des investisseurs et des analystes financiers et le Québec, lui, un lieu de prédilection pour l’exploration de l’uranium. Ce retour en grande pompe ne fait toutefois pas que des heureux. Un peu partout sur le territoire québécois, des groupes s’organisent, manifestent leur mécontentement, expriment leur crainte et exhortent le gouvernement à instaurer un moratoire contre l’exploration, l’extraction et l’exploitation d’uranium.
L’histoire commence au printemps 2006 à Mont-Laurier, une petite ville située à 250 km au nord-ouest de Montréal. Des citoyennes ont vent des plans de Nova-Uranium – une compagnie d’exploration d’uranium dont le siège social est basé à Vancouver – qui projette d’ouvrir une mine à ciel ouvert au cas où une forte teneur en uranium serait découverte dans le sous-sol de leur concession minière. Il s’ensuit dès lors une campagne d’information, de manifestation et de ralliement organisée par l’Association pour la protection de l’environnement des Hautes-Laurentides (APEHL), contre un projet allant à l’encontre des intérêts d’une partie de la population et de leur conception de ce qu’est le développement durable.
Dans la foulée de ces actions, l’APEHL a rédigé une demande de moratoire revendiquant la suspension des activités d’exploration et d’exploitation de l’uranium sur tout le territoire québécois [1]. Cette demande de moratoire s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement international soutenant que le nucléaire, contrairement à ce qui est invoqué par l’industrie, n’est pas une solution au réchauffement global de la planète. De plus, elle s’ancre dans la Déclaration des peuples autochtones adoptée en décembre 2006 au Sommet autochtone mondial sur l’uranium, qui affirme notamment que « l’exploitation minière de l’uranium, le développement de l’énergie nucléaire […] violent nos droits humains de base et les lois naturelles fondamentales de la Terre Mère, mettant en danger nos cultures traditionnelles et notre bien-être spirituel » [2].
Les visées de l’APEHL sont plus grandes que la simple mise en arrêt de l’exploration de l’uranium dans leur région. En effet, leur vision, alimentée par une compréhension de la conjoncture mondiale actuelle, se résume en ces mots : « pas dans notre cour, ni dans celle de nos voisins ».
La conjoncture
Depuis plus d’un an, le prix de l’uranium sur le marché immédiat a grimpé à une vitesse fulgurante. En moins de deux ans, la valeur de l’uranium est passée de 20 $ US la tonne à 138 $ US la tonne [3]. Du jamais vu ! Cette conjoncture est le résultat de la convergence de plusieurs facteurs.
On note tout particulièrement le lobby de l’industrie nucléaire qui fait la promotion d’une source d’énergie dit « propre » et qui répondrait d’une part aux impératifs énergétiques des populations et, d’autre part, à l’atteinte des objectifs de Kyoto.
Le déséquilibre entre l’offre et la demande est un autre facteur ayant fait monter en flèche le prix de l’uranium. Du côté de la demande, l’Inde et la Chine en sont très friands puisqu’ils cherchent à développer le nucléaire afin de répondre à l’accroissement de leurs besoins énergétiques. En ce qui a trait à l’offre, l’épuisement des stocks d’uranium au cours des dernières années, conséquence des accidents de Tchernobyl et de Three Mile Island [4], a accentué le décalage entre l’offre et la demande en réduisant au minimum les réserves d’uranium sur le marché. L’offre s’est également vue réduite par l’inondation d’une mine d’uranium à Cigar Lac, dans le nord de la Saskatchewan, mine qui devait fournir 10 % de l’uranium mondial au cours des prochaines années.
Le prix actuel de l’uranium en fait saliver plus d’un. En l’espace de quelques mois, des compagnies d’exploration d’uranium – les juniors – ont champignonné au Québec. Jusqu’à maintenant, aucun projet d’exploitation ou d’extraction d’uranium n’a été mis en œuvre. Cependant, de nombreuses compagnies d’exploration ont acheté des concessions minières un peu partout sur le territoire. Ces juniors sont à la recherche d’une certaine teneur en minerais économiquement exploitable. Au Canada, la Saskatchewan est reconnue comme la capitale mondiale de l’uranium, et plus particulièrement le bassin d’Arthabasca dont la teneur en uranium est parmi les plus élevées au monde.
Les gisements au Québec ne sont pas de la même teneur que ceux de la Saskatchewan, mais la flambée des prix sur le marché immédiat a fait en sorte que l’exploration y est devenue de plus en plus intéressante pour les juniors. Leur intérêt est le suivant : dans l’éventualité où les juniors trouveraient une bonne teneur d’uranium dans le sol, les concessions minières seraient par la suite vendues, au prix fort, à de plus grosses compagnies qui, elles, pourraient en faire l’exploitation et l’extraction.
Le Québec est l’une des provinces canadiennes les plus généreuses envers les compagnies d’exploration et d’extraction de minéraux, et un gisement d’uranium est considéré comme n’importe quel autre gisement. En effet, le gouvernement québécois rembourse jusqu’à 30 % des dépenses en exploration en plus d’offrir aux actionnaires des compagnies minières des déductions d’impôt pouvant aller jusqu’à 170 %. De quoi se pourlécher les babines !
Comment soutenir la l’APEHL ?
Le bref tableau esquissé ci-haut, démontre à quel point il est important pour la population et les groupes de s’allier afin de supporter la demande de moratoire contre l’exploration et l’exploitation de l’uranium proposée par l’APEHL. En effet, l’APEHL a besoin d’un appui des plus significatifs et ce, à la grandeur du Québec, pour que cette demande ait de vibrants échos aux oreilles des décideurs politiques.
Association pour la protection de l’environnement des Hautes-Laurentides (APEHL)
[1] Demande de moratoire : l’exploitation minière de l’uranium au Québec : pas dans notre cour, ni celle de nos voisins, http://www.apehl.ca/memoire.htm
[2] Declaration of the Indigenous World Uranium Summit, Window Rock, Navajo Nation, USA, 2 décembre 2006. http://www.sric.org/voices/2006/v7n4/IWUS_Declaration.html
[3] UxC, The Ux Consulting Company, LCC, http://www. uxc.com/review/uxc_Prices.aspx
[4] Three Mile Island désigne un accident nucléaire survenu en 1979 dans une centrale nucléaire située en Pennsylvanie aux États-Unis. Lors de cet accident, l’un des réacteurs a partiellement fondu. L’International Nuclear Event Scale a classé cet événement nucléaire au niveau 5 de l’échelle internationale. Cette échelle compte huit degrés de gravité (de 0 à 7).