No 012 - déc. 2005 / jan. 2006

Yves Pedrazzini

La violence des villes

lu par Christian Brouillard

Christian Brouillard, Yves Pedrazzini

Yves Pedrazzini, La violence des villes, Écosociété, Collection « Enjeux planète », Montréal, 2005.

« L’air de la ville rend libre » disait-on au XVIIIe siècle, évoquant ainsi le long combat que, en Europe, les communes urbaines avaient dû mener contre l’ordre féodal. De fait, pour cette période et jusqu’à la fin du XXe siècle, la cité semblait la plus belle création de l’activité humaine, le signe matériel de la civilisation et de la liberté. Cependant, aujourd’hui, l’air citadin, bien pollué il est vrai, ne semble plus porter que nuisances, menaces et violences.

Le développement des mégapoles apparaît comme hors de tout contrôle, permettant la prolifération du crime et de la délinquance, prolifération portée, entre autres, par la figure du gang des quartiers pauvres, des bidonvilles, favelas ou townships. Pour Yves Pedrazzini, dans son ouvrage La violence des villes, cette représentation de la cité comme lieu de toutes les violences constitue une création sociale qui répond à des intérêts politiques et économiques bien précis, les intérêts du capital globalisé.

Et d’abord, parler de la violence des villes suppose de définir les mots et, en premier lieu, ce qu’on entend par ville ainsi que son expansion. Si on examine les diverses statistiques disponibles, on constate que si le développement urbain est global, il n’est pas pour autant homogène et que ce ne sont pas les mégapoles qui, actuellement, se développent le plus mais les villes de petite et de moyenne taille. Cette relativisation, au niveau quantitatif, de la croissance urbaine amène l’auteur à se pencher sur la nature même de cette dernière.

Loin d’être neutre, le développement des villes se fonde sur des rapports sociaux inégalitaires, se traduisant par une fragmentation spatiale et une ségrégation à l’encontre des pauvres. Triple violence à l’œuvre ici : violence politique avec l’ensemble des mesures sécuritaires visant à criminaliser la pauvreté, violence économique avec, entre autres, le processus de gentrification où l’on expulse les pauvres pour les relocaliser dans des ghettos et, enfin, violence symbolique, car la parole des pauvres, de ceux et celles qui subissent de plein fouet l’impact de ces politiques, n’est jamais prise en compte. Quand on parle de développement urbain ou de violence urbaine, c’est l’urbanologue, le flic, le travailleur social ou le politique qui déblatèrent, jamais la citadine ou le citadin appauvri qui tente, de peine et de misère, de survivre dans cet espace et de créer ce que Pedrazzini appelle un urbanisme de l’opprimé. Certes, cette survie compte son lot de violence mais cette dernière, de la part des pauvres, est bien plus une réponse et un défi face à la violence globalitaire du capital qu’un trait enraciné dans la supposée « nature » de la pauvreté. Il y a cependant une urgence à tendre l’oreille à ces paroles du silence des pauvres et, surtout, à œuvrer pour que des espaces de réelle démocratie urbaine puissent surgir, car la déstructuration des villes à laquelle on assiste sera telle qu’un jour nous ne pourrons plus véritablement dialoguer avec l’autre. À ce moment-là, l’air des cités sera décidément irrespirable...

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