Le droit à la santé, un droit fondamental
par Nicole Filion
Le Québec doit indiquer à la Cour suprême, d’ici juin 2006, les mesures qu’il entend adopter en réaction au jugement Chaoulli, lequel rend inconstitutionnelles les dispositions législatives interdisant le recours à des assurances privées afin d’accéder à des services de santé privés. Dans sa requête pour demande de sursis, il a annoncé qu’il devait procéder à une analyse de toutes les solutions disponibles et de leurs effets sur le système juridique, social, organisationnel et budgétaire du système de santé québécois. Il a aussi indiqué qu’il allait examiner les impacts de ces solutions à la lumière des accords de l’Organisation mondiale du commerce, de l’Accord de libre-échange nord américain et de l’Accord sur le commerce intérieur.
Il a toutefois omis de référer à des obligations plus fondamentales sur le plan du droit international des droits de la personne : celles de s’assurer que ces mesures seront conformes au droit à la santé tel que consacré dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le PIDESC, envers lequel le Québec a pourtant accepté de s’engager lorsque le Canada l’a ratifié en 1976.
Le Québec ne peut répondre à la Cour suprême sans tenir compte de ces engagements, car le Pacte reconnaît le droit qu’a toute personne « de jouir d’une diversité d’installations, de biens, de services et de conditions nécessaires au meilleur état de santé susceptible d’être atteint ». De plus le droit à la santé inclut la nécessité d’interventions de l’État sur les déterminants de la santé.
Afin de satisfaire aux exigences du Pacte, un État doit assurer la disponibilité en quantité suffisante des installations, biens et services ainsi que des programmes de santé publique ; l’accessibilité aux services sans discrimination, l’acceptabilité des programmes et services c’est-à-dire, entre autres, être appropriés sur le plan culturel, tenir compte des exigences liées au sexe et au stade de la vie et respectueux de la confidentialité, et la qualité des services.
Selon le Pacte, les États ont aussi l’obligation d’améliorer progressivement le respect de tous les droits économiques, sociaux et culturels, dont le droit à la santé. Tout recul, toute mesure rétrograde est donc susceptible de constituer une violation des obligations du Québec.
Au lendemain du jugement, il a été question du recours à la clause dérogatoire. Comment pourrions-nous justifier qu’en certaines circonstances, nous sommes disposés à mettre de côté le respect du droit à la vie, à la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de la personne ? Le recours à la clause dérogatoire équivaudrait à ne pas reconnaître l’impact des listes d’attente sur l’accès aux soins de santé appropriés en temps opportun. Si nous proposons le recours à une clause dérogatoire lorsqu’un jugement ne nous convient pas, comment pourrons-nous réfuter le recours par d’autres à une clause dérogatoire lorsqu’un jugement sera de nature à rétablir des droits pour lesquels nous luttons ?
Ne pourrait-on plutôt exiger que le Québec modifie la Loi sur la santé et les services sociaux de manière à garantir l’accès à la prestation de soins appropriés en temps opportun afin de permettre à toute personne de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint et à défaut, prévoir un recours ?
Ne pourrait-on exiger du Québec l’adoption d’une stratégie nationale visant à réduire les délais d’attente de façon à mettre en œuvre l’engagement introduit par cette modification législative ? Cette stratégie devrait reposer sur chacun des éléments constitutifs du droit à la santé, n’autoriser aucun accès discriminatoire aux programmes, installations et services de santé et prévoir des critères permettant d’établir des délais d’attente maximum au-delà desquels la santé actuelle et future de la personne risque d’être compromise irrémédiablement.
À plus long terme, il faut exiger du Québec la reconnaissance dans la Charte québécoise du droit à la santé et une portée juridique effective en établissant la primauté de ces droits par rapport à toute autre législation.