Privatisation de la santé au Québec
Non aux évangélistes du marché
par Nicole de Sève
Depuis la signature de l’ALÉNA, les pressions se font de plus en plus fortes afin de libéraliser les services de santé. Ainsi, en 1996 le président du Conseil du trésor de l’époque, Jacques Léonard, invitait à une plus grande participation des « partenaires non-gouvernementaux », notamment « le troisième secteur, dit communautaire, qui pourrait jouer un rôle actif dans la prestation des services sociaux ». Du Comité Arpin (1998) qui recommandait la création de cliniques affiliées aux hôpitaux et des partenariats avec l’entreprise privée, à la Commission Clair (2001) qui invitait à plus de sous-traitance, à la création d’une caisse spéciale d’assurance autonomie et au recours accru aux groupes communautaires et à l’économie sociale, la voie royale était tracée pour la contestation en Cour suprême du système de santé par le Dr Chaoulli et les recommandations du Rapport Ménard.
Depuis des années, les scénarios catastrophiques qui nous sont présentés, notamment celui que fait peser le vieillissement de la population sur les coûts de la santé, s’appuient très souvent sur des chiffres tronqués, comme le démontre Claude Saint-Georges. En fait, explique Marie Pelchat, « l’arrêt Chaoulli propose que le privé mange le jaune d’œuf (les services médicaux et hospitaliers) et le rapport Ménard que le privé mange le blanc d’œuf (les services de première ligne, les services sociaux, les services d’hébergement et le reste) ». Dans un tel contexte on ne peut que souscrire au rapport dissident des organisations syndicales ayant refusé d’endosser le rapport Ménard, que nous résume Louise Chabot. Or, comme le montre Lucie Mercier, les accords de commerce internationaux nous entraînent dans la direction inverse. Dans tout ce débat, le droit à la santé est occulté alors que, selon Nicole Filion, il devrait être au cœur de toute démarche de réflexion et de recherche d’alternatives pour renforcer notre système de santé.
Car, contrairement à ce que prétendent « 12 citoyens québécois », le Québec n’a pas peur du changement. Il craint le changement que ces personnalités proposent, celui qui s’inspire des diktats du C.D. Howe Institute, de la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain, du Conference Board of Canada, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante et du Fraser Institute, les références maintes fois citées par le Rapport Ménard. Le Québec n’est pas fermé à la discussion et à la recherche collective de solutions. Il est fermé au discours unique qui nous propose un « Québec lucide » enfermé dans une seule avenue. Il y a plus que 12 personnes inquiètes au Québec, mais leurs inquiétudes ne sont pas les mêmes. La population est inquiète de la privatisation accélérée des services publics aux mains des compagnies pharmaceutiques, des propriétaires d’établissements de soins prolongés ou de cliniques privées et des entreprises de technologies biomédicales.
Pour taire cette inquiétude, le gouvernement québécois a l’obligation de respecter les droits sociaux, économiques et culturels, notamment le droit à la santé, inscrits dans les pactes internationaux auxquels il a souscrit mais qu’il tarde à reconnaître dans la Charte des droits et libertés de la personne. Une fois ce droit reconnu, c’est toute l’organisation des services de santé et des services sociaux qui devra être révisée. Forte de ce droit, la population québécoise sera au rendez-vous pour le grand débat national.