L’entente canada États-Unis

No 035 - été 2010

International

L’entente canada États-Unis

Marchés publics

Lucie Mercier

La politique commerciale québécoise s’est récemment enrichie d’une Stratégie du gouvernement du Québec à l’égard des États-Unis, l’une des cinq priorités étant de favoriser les échanges économiques. C’est bien l’orientation suivie par le gouvernement du Québec, signataire d’un nouvel accord commercial.

Le libre-échange pour sortir de la crise

Depuis la fin de l’année 2007, la crise économique et financière qui sévit à l’échelle mondiale a frappé les États-Unis et le Canada d’une manière équivalente. Aussi, le gouvernement du Québec, dont les exportations internationales représentaient le tiers du produit intérieur brut (PIB) en 2008 et dont plus de 70 % étaient destinées aux États-Unis, cherche-t-il à contrer les effets qu’il juge protectionnistes du plan de relance de 787 milliards de dollars américains (clause Buy American) mis en place par le gouvernement américain en début d’année 2009 par l’American Recovery and Reinvestment Act (ARRA 2009). En effet, ce plan de relance, qui vise à créer de l’emploi, promouvoir l’investissement et les dépenses de consommation pendant la crise, oblige les États américains à utiliser de l’acier, du fer et des produits manufacturés américains pour réaliser les travaux publics financés par le gouvernement fédéral américain. Le Canada est donc traité sur le même pied que les autres pays en dépit de l’ALÉNA. Cette situation l’irrite passablement.

Négocier à l’abri des parlementaires

Prenant prétexte que le plan de relance américain a des effets néfastes sur les exportations canadiennes, le Conseil de la fédération a fait pression sur le gouvernement du Canada afin qu’il entame des discussions avec Washington pour ouvrir les marchés publics à la concurrence. Les négociations ont donc débuté au mois d’août 2009 pour se conclure par la signature de l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique en matière de marchés publics [ci-après l’Accord] en février 2010.

Les parlementaires, tant fédéraux que provinciaux, ont été tenus à l’écart pour ensuite être mis devant le fait accompli. D’une part, le gouvernement fédéral a prorogé le parlement le 30 décembre 2009. La conclusion de l’Accord a été annoncée le 5 février 2010 par voie de communiqué du ministre du Commerce international. La reprise des travaux s’est faite le 3 mars 2010, avec la lecture du discours du Trône. Une seule phrase traitait de cette importante négociation : « Notre gouvernement tirera aussi parti de l’entente conclue récemment avec les États-Unis, qui donne aux entreprises canadiennes un accès permanent aux marchés publics des États et des municipalités de ce pays. »

D’autre part, si les parlementaires ont été tenus à l’écart, ce n’est manifestement pas le cas des entreprises privées qui auraient, selon l’opposition officielle, été parties prenantes des négociations. Aucun communiqué de presse n’a été émis par le gouvernement du Québec. La nouvelle a été annoncée discrètement par le Conseil du trésor le 3 mars 2010. Le texte final de l’Accord n’a été déposé à l’Assemblée nationale que le 16 février 2010 en après-midi, soit quelques heures avant son entrée en vigueur.

Pourtant, le gouvernement du Québec en détenait une copie depuis pratiquement deux semaines. Tout ce que l’opposition officielle a réussi à obtenir, c’est un débat d’urgence de 120 minutes, à quelques heures de l’entrée en vigueur de l’Accord. Enfin, le texte final de l’Accord a été déposé à l’Assemblée nationale le 9 mars 2010, soit trois semaines après son entrée en vigueur. Le gouvernement a invoqué à maintes reprises l’urgence d’agir. Il est d’ailleurs peu probable qu’il en soit autrement à l’issue de futures négociations puisque le gouvernement du Canada ne disposera que d’un délai de 10 jours pour effectuer ses consultations, selon les engagements qu’il a signés.

Faut-il s’inquiéter pour les services publics ?

Outre les travaux de construction, c’est l’économie du savoir qui est touchée par l’Accord que vient de signer le gouvernement du Québec, et ce, sans aucune consultation. Or, ce segment des dépenses gouvernementales ne cesse de s’accroître et il vise toujours davantage de renseignements personnels des usagers-ères des services publics et des personnels du gouvernement du Québec. D’ailleurs, il y a lieu de s’inquiéter que la gestion des ressources humaines fasse partie de la liste des services couverts par le présent Accord. Faut-il en comprendre que les ministères et les organismes du gouvernement du Québec comptent donner la gestion des ressources humaines en sous-traitance et augmenter encore davantage le recours aux entreprises privées de location de main-d’œuvre ?

Par ailleurs, le discours officiel du gouvernement du Québec est à l’effet que la culture et les grands réseaux de la santé et des services sociaux et de l’éducation ne sont pas assujettis à cet Accord. Toutefois, lors de la période de questions du 16 février 2010 à l’Assemblée nationale, le ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, Clément Gignac, a répondu d’une manière ambiguë : « À la question, la semaine passée, voir si la culture et la santé étaient exemptées, j’ai répondu à la question pour dire que c’était exempté au niveau de la culture, j’ai rassuré la députée au niveau de la santé. »

Le Québec et l’Ontario sont les deux provinces qui sont allées le plus loin dans l’ouverture de leurs marchés publics, incluant des pans complets des réseaux de la santé et de l’éducation. De plus, en matière de santé, il faut savoir que le Dossier de santé du Québec est géré par le ministère de la Santé et des Services sociaux et il fait partie de la catégorie des services informatiques. À première vue, il serait donc soumis à l’AMP-OMC dans la mesure où les contrats atteignent les valeurs des seuils. Lors du débat d’urgence, l’opposition officielle a demandé que Pierre-Marc Johnson, négociateur en chef pour le Québec, soit entendu par la Commission des institutions. Cette dernière devrait se pencher sur les négociations à venir (volet C) et sur la grande négociation en cours entre le Canada et l’Union européenne. C’est bien le moins que pourrait faire le gouvernement du Québec pour assurer un minimum de transparence et d’égards à l’endroit de ses électeurs-trices.

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