Promesses et périls du monde numérique
Assez de culpabilité
En mars dernier, le Canada a connu son premier condamné pour piratage de contenu culturel. Stephen Harper a déposé le projet de loi à Ottawa au printemps 2007, deux jours après avoir rencontré Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie (et, doit-on le rappeler, ex-acteur). Il n’en tient qu’à nous d’éviter que cette criminalisation du partage ne se répande. À moins qu’on ne se sente déjà trop coupable de télécharger ? Si c’est le cas, nous avons déjà perdu.
La plupart d’entre nous adoptons un petit sourire timide en disant qu’on a copié un cd ou téléchargé une série télévisée sur Internet. Si, de surcroît, il s’agit d’une œuvre québécoise, on rougit. Avons-nous intériorisé l’idée que partager, c’est mal ?
Il y a quelques années, Quebecor avait (encore une fois) placardé les murs du métro, disant : « Le piratage nuit aux artisans de la musique ». On ne le répétera jamais assez : le lien entre le partage de fichiers et la baisse de la vente de disques compacts est loin d’être établi [1]. Plusieurs études vont même dans le sens contraire : en novembre dernier, une étude britannique soutenait que les soi-disant « pirates » étaient aussi ceux qui achètent le plus de musique [2] ...
Au fait, depuis quand les producteurs défendent-ils les artistes ? Il y a quelques années, cherchant les paroles d’une chanson de Brassens, je tombe sur une page Internet indiquant : « Nous avons dû retirer ces paroles à la suite d’une plainte d’ayants-droit ». Quelqu’un veut-il me faire croire que le vieux Georges, qui « refusant d’acquitter la rançon de la gloire, sur son brin de laurier, s’endort comme un loir », aurait approuvé pareille absurdité ?
Durant un séjour de quelques mois en Écosse, j’ai connu l’excellente sitcom (comédie de situation) britannique Green Wing. À mon retour à Montréal, voulant partager cette découverte avec des amis, j’ai appris qu’elle n’était pas distribuée au Québec. J’ai donc téléchargé la série à l’aide d’un torrent. Mes amis ont adoré, l’ont copiée sur leur clé USB, et l’ont fait découvrir à d’autres. Elle atterrira peut-être un jour sur le disque dur d’un distributeur, qui se remplira les poches en achetant les droits, et ce, grâce au partage. On peut nous dire où est le problème ?
La culture nous est vendue comme du bubble-gum depuis des décennies, et maintenant les marchands s’offusquent parce qu’on a ces mêmes égards pour l’industrie culturelle ?
Plutôt que de culpabiliser, allons explorer ces avenues qui s’offrent à nous. Certes, elles sont imparfaites et insatisfaisantes pour les artistes, mais elles n’attendent que nous pour être perfectionnées et mieux adaptées à leurs besoins, et promettent de jeter à terre, en quelques années si l’on s’y met, Quebecor et Universal, ces empires de propagande. Multiplions les RueFrontenac, les Moodle, les InRainbows, qui semblent très bien servir leurs créateurs. Allez télécharger la série Green Wing, amusez-vous, et partagez-la ! Producteurs, soyez tranquilles : vous ne dormirez pas dans une ruelle, ce soir.
PS. Oui, oui, vous pouvez trouver les sous-titres aussi ! Tapez « green wing subtitles » dans Google.
[1] Voir « Prentice, les pirates... et vous », À Babord !, no. 26, octobre-novembre 2008.
[2] Voir « Illegal downloaders spend more on music », sur www.demos.co.uk