International
Le cas d’Abousfian Abdelrazik
Les abus de la sécurité nationale
Le drame d’Abousfian Abdelrazik se présente comme un vibrant témoignage (un de plus) sur le sort réservé aux personnes victimes de la doctrine de la sécurité nationale, doctrine reposant sur une idéologie raciste, colonialiste et impérialiste.
Le cas Abdelrazik
Abdelrazik, un Canado-Soudanais résidant au Canada depuis plus de 20 ans, est en quelque sorte un bouc émissaire des mécanismes mis en place dans la foulée de la guerre contre le « terrorisme ». Rappelons brièvement qu’en 2003, lors d’une visite à un proche malade au Soudan, il fut arrêté, emprisonné et torturé, et ce, à la requête du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS). Recouvrant la liberté à la suite de sa deuxième période de détention, il apprend que son nom a été ajouté à la liste 1267 des Nations unies, connue sous le nom de la liste d’interdiction de vol (no-fly list), ou la liste « noire » (blacklist). Il demeurera plus d’un an réfugié à l’ambassade canadienne de Khartoum avant de pouvoir revenir au Canada le 27 juin 2009. Le retour d’Abdelrazik, bien qu’il ait été ordonné par la Cour fédérale, est le fruit d’une immense campagne de soutien populaire, animée par le projet Retour au bercail, mais initiée par Abdelrazik lui-même, lorsqu’il prit la décision de rendre publique son histoire. Depuis qu’il est revenu chez lui, Abdelrazik n’est toujours pas libre. Son nom figure encore sur ladite liste noire, lui faisant office de prison… sans murs.
Devant l’ampleur des sanctions pesant sur Abdelrazik, le projet Retour au bercail a lancé une campagne visant à accentuer la pression sur le gouvernement pour qu’il prenne des mesures concrètes afin que son nom soit retiré de la liste le plus rapidement possible. À propos de cette fameuse liste 1267, on peut justement parler sans exagération d’un cauchemar digne du célèbre roman de Kafka… Et ce terme a été utilisé non seulement par ses opposantes, mais également par des magistrats. Gérées par les membres du Conseil de sécurité de l’ONU, les procédures d’ajout ou de retrait de la liste sont obscures, alors que les sanctions, quant à elles, sont très explicites.
L’application inique d’une doctrine obscure
Un individu dont le nom figure sur la liste n’est pas informé au moment où son nom est ajouté sur celle-ci, n’est convoqué à aucune audience devant un quelconque comité ou tribunal, et surtout il n’a accès à aucun document faisant état des allégations pesant contre lui. Par contre, il est immédiatement sujet à une interdiction de vol, à un embargo sur les armes et à un gel complet de ses avoirs.
Selon les procédures en vigueur à l’heure actuelle, bien qu’un individu « listé » puisse faire une requête afin que son nom soit rayé de la liste, ce n’est que l’intervention d’un État qui peut réellement le faire retirer de celle-ci. Au Canada, c’est un règlement qui met en application la liste 1267. Celui-ci précise qu’il est interdit de fournir une assistance à un individu dont le nom figure sur la liste, ce qui signifie qu’il lui est impossible de toucher un salaire et, techniquement, les personnes le soutenant financièrement pourraient être poursuivies devant les tribunaux fédéraux.
La lutte d’Abdelrazik est donc menée sur deux fronts : d’une part à la base, où se construit une opposition toujours croissante au régime de la terreur symbolisé ici concrètement par la liste 1267 ; d’autre part sur le plan juridique, où Abdelrazik et son équipe légale cherchent à obtenir des explications pour ce qui lui est arrivé en s’inspirant de cas similaires intervenus sur le plan local et international.
En ce qui concerne le travail à la base, le projet Retour au bercail joint ses efforts à ceux de plusieurs groupes et personnes qui travaillent d’arrache-pied à dénoncer les mesures arbitraires en immigration et le profilage social et racial exercé contre des individus et des communautés, en particulier les communautés musulmanes.
C’est dans ce contexte que la campagne afin qu’Abdelrazik soit « délisté » est en cours. Le groupe de soutien appelle la population à contester activement les sanctions, que ce soit en faisant un don monétaire à Abdelrazik, en envoyant des cartes postales, lettres et courriels aux ministres responsables et aux députés, en organisant des actions localement pour dénoncer la « liste » 1267 qui, à l’heure actuelle, sert les intérêts des puissants. Alors que les propres agences de renseignement canadiennes ont officiellement reconnu ne rien retenir contre Abdelrazik, que le Canada lui-même a déjà entamé une procédure pour que son nom soit retiré de la liste en 2004, pourquoi son cas demeure-t-il ignoré par le gouvernement conservateur canadien qui ne fait rien pour lui ?
La campagne publique actuelle vise donc plus largement à ce que le règlement d’application de la liste 1267 passe au collimateur législatif, afin que de telles situations ne puissent plus se reproduire. Elle inclut une entreprise d’éducation populaire sur les enjeux idéologiques qui sous-tendent des mesures telles que celle-ci dont l’application est locale, mais dont la signification profonde se trouve sur le plan international.