La stabilité artificielle des banques canadiennes

No 35 - été 2010

La stabilité artificielle des banques canadiennes

Louis Gaudreau

Depuis le déclenchement de la récente crise économique et financière, le gouvernement de Stephen Harper manque rarement les occasions qui lui sont offertes de vanter, sur la scène internationale, les mérites et la solidité du système bancaire canadien. Il est vrai que, contrairement à d’autres pays du G8, le gouvernement fédéral n’a finalement pas eu besoin d’avoir recours aux moyens qu’il s’était donnés pour acheter des actions de banques canadiennes. En revanche, celui-ci est beaucoup plus discret sur les raisons de cette stabilité, laquelle est en grande partie attribuable aux sommes colossales qu’il a lui-même injectées dans les coffres des banques pour leur permettre de poursuivre leur croissance. Ces sommes qui, per capita, sont d’ailleurs du même ordre que celles accordées par d’autres pays industrialisés en soutien à leurs banques, ont également engagé le système financier canadien dans un nouveau cycle de croissance qui, toutefois, repose sur des mécanismes semblables à ceux qui ont provoqué la récente crise mondiale.

Le Cadre de financement exceptionnel du gouvernement du Canada

Parmi les différentes mesures que contient son Plan d’action économique, le gouvernement du Canada a accordé une importance médiatique toute particulière aux investissements qu’il consentait à la modernisation des infrastructures (environ 16 milliards $) et aux baisses d’impôts (environ 20 milliards $). Par contre, loin de se limiter à de tels engagements, ce plan prévoyait également la création d’un Cadre de financement exceptionnel de loin plus substantiel, pouvant atteindre 200 milliards $, pour « améliorer l’accès au financement et renforcer le système financier canadien » [1]. Ces sommes, qui n’ont finalement pas toutes été dépensées, ont en grande partie été employées à soutenir directement les activités des grandes banques canadiennes. En effet, 127 des 135 milliards $ effectivement déboursés dans le cadre de ce programme spécial ont servi à différentes opérations publiques de rachat de créances bancaires.

Le gouvernement et la Banque centrale du Canada ont plus précisément utilisé cet argent – d’ailleurs emprunté sur les marchés financiers – pour acheter aux banques les prêts qu’elles octroient à leurs clients. Ces transactions permettaient ainsi de libérer ces dernières du risque de non-remboursement que comportaient leurs créances en les échangeant contre de l’argent liquide, qu’elles pouvaient par la suite réinvestir à leur guise. Ces rachats n’ont été possibles que parce que les prêts en question avaient d’abord fait l’objet d’une titrisation, c’est-à-dire d’une opération qui consiste à transformer les dettes des clients des banques en titres financiers échangeables. La titrisation des créances bancaires offrait alors la possibilité aux banques de se débarrasser des risques qu’elles encouraient dans leurs activités régulières de prêt et d’obtenir en retour des capitaux beaucoup plus sûrs. Évidemment, ces acquisitions de titres de créance n’entraînaient pas la disparition du risque de défaut de paiement qui leur était associé, mais elles le faisaient désormais porter par leurs nouveaux acheteurs, les pouvoirs publics.

Une part importante du Cadre de financement exceptionnel a été consacrée au Programme d’achat de prêts hypothécaires assurés (PAPHA). Entre octobre 2008 et mars 2010, ce programme a permis au gouvernement canadien d’engager, par l’entremise de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), 66 milliards $ dans l’acquisition de prêts hypothécaires détenus par les différentes institutions financières du pays. En contrepartie de ces liquidités, la SCHL obtenait des hypothèques bénéficiant d’une assurance qu’elle offre, dans le cadre d’un autre programme fédéral, aux ménages à faible revenu désirant accéder à la propriété privée. En d’autres termes, le PAPHA visait essentiellement des créances comportant un risque plus élevé de non-remboursement, mais dont le paiement était garanti par le gouvernement.

Les fonds publics en support à l’expansion des banques

En achetant aux banques des créances titrisées, le gouvernement fédéral espérait que les banques se servent des nouvelles liquidités mises à leur disposition pour relancer l’économie canadienne, notamment en investissant dans le développement des entreprises et dans le soutien à la consommation des ménages. Toutefois, cette aide publique semble d’abord avoir bénéficié au secteur bancaire lui-même, qui a profité de ces nouvelles entrées d’argent pour renforcer sa propre position sur la scène internationale. Au cours des deux dernières années, plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs parvenues à se hisser au rang des 10 institutions financières les plus importantes d’Amérique du Nord, en procédant à des acquisitions de concurrentes étrangères [2]. La plus récente de ces transactions a entre autres permis à la Banque Scotia de mettre la main sur les activités bancaires privées de la française BNP Paribas aux Bahamas, à Panama et aux îles Caïmans [3].

Les effets du programme fédéral d’aide aux banques se sont également fait sentir dans la forte croissance des profits enregistrés récemment par celles-ci et qui sont sans commune mesure avec le rythme de la reprise dans les autres secteurs de l’économie. Alors que l’OCDE prévoit pour le Canada une croissance économique de l’ordre de 6,2 % pour le début de 2010 [4], les banques ont quant à elles réalisé, pour l’unique premier trimestre de cette même année, des bénéfices de plus 5 milliards $. Pour certaines d’entre elles, ces rendements représentent des hausses de revenu de 444 % (CIBC) et de 292 % (Banque de Montréal) par rapport à la même période en 2009. Après avoir largement subventionné cette forte expansion du secteur bancaire canadien, le gouvernement nous annonce maintenant qu’il devra faire preuve de plus de modération et que, afin de rembourser la dette qu’il a contractée pour mener à terme son plan de relance économique, il devra imposer des mesures d’austérité à une population qui n’a jusqu’ici pas joui d’un support équivalent de la part de l’État.

Le marché de l’immobilier constitue un autre secteur de l’économie où les opérations publiques de rachat de titres semblent avoir eu un impact significatif. Ce marché était d’ailleurs directement visé par le PAPHA dont l’objectif avoué était de fournir aux banques des liquidités afin qu’elles puissent soutenir de nouvelles transactions immobilières. En d’autres termes, ce programme permettait de donner un nouvel élan aux activités traditionnelles de crédit des banques en sortant de leur bilan des prêts hypothécaires, c’est-à-dire des investissements immobilisés pour une durée fixe, et en les remplaçant par de l’argent destiné à créer de nouvelles occasions d’endettement. Conjuguée au faible niveau des taux d’intérêt, cette politique ciblée d’octroi de liquidités n’est certainement pas étrangère à la forte hausse du prix de l’immobilier au Canada qui, après avoir plongé de 13 % entre 2007 et 2009, est remonté de 20 % au cours de la dernière année [5]. Cette augmentation est attribuable à une hausse de la demande pour les propriétés immobilières qui, à son tour, trouve son origine dans les conditions d’accès au crédit facilitées par ces mesures du gouvernement du Canada. La reprise de l’immobilier a donc été stimulée par les nouvelles opportunités offertes aux banques de générer des prêts et d’en élargir l’accessibilité à des ménages aux conditions de vie de plus en plus précaires. Par exemple, jusqu’à tout récemment, la majorité d’entre elles proposait à ceux qui étaient incapables de fournir la mise de fonds exigée pour l’achat d’une propriété de financer cette dernière en contractant une marge de crédit [6]. Cette opération comporte assez peu de risque immédiat pour les banques puisque les hypothèques émises aux ménages à faible revenu sont assurées par la SCHL et qu’une fois titrisées, elles peuvent être revendues à ce même organisme public ou à d’autres investisseurs.

Évidemment, il y a lieu de se questionner sur la viabilité à long terme d’un régime de croissance économique fondé sur l’extension de l’endettement des ménages. De plus, l’augmentation de la valeur de l’immobilier dont ce régime se nourrit a également des conséquences sur la capacité d’une large partie de la population à se loger convenablement. Parce que la hausse de la valeur des immeubles a aussi une incidence sur le prix des loyers, ce n’est pas seulement l’accession à la propriété privée qui, dans ce contexte, est compromise, mais bien l’accès au logement en général.

Ces récents efforts du gouvernement du Canada qui ont largement profité aux banques ont certainement contribué à sortir le pays de la récession. Cependant, en soutenant activement un régime de croissance qui s’alimente des nouvelles occasions d’endettement créées par la titrisation, celui-ci a du même coup participé à la consolidation des mécanismes à l’origine de la crise des prêts hypothécaires subprime aux États-Unis. Ainsi, grâce à l’aide de l’État, les banques ont progressivement repris leurs activités d’avant la crise. En fait, elles ne semblent avoir rien retenu de cet épisode, encouragées par la certitude qu’elles ont désormais que les pouvoirs publics sont disposés à mettre en œuvre d’impressionnants moyens pour leur venir en aide.


[1Plan d’action économique du Canada, http://www.actionplan.gc.ca/fra/index.asp

[2« Canadian banks climb in rankings », Financial Post, 16 mars 2009 ; « Canada : Opération « Relance économique », 200 milliards $ pour les banques. La face cachée du budget Flaherty », Michel Chossudovsky, http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=12076

[3« La Scotia fait des acquisitions aux Bahamas et au Panama », Le Devoir, 3 avril 2010.

[4« Canada’s growth to lead G7 : OECD », Globe and Mail, 7 avril 2010.

[5Desjardins, Point de vue économique, 10 mars 2010.

[6« Acheter sans comptant ? Pas de problème ! », La Presse, 27 mars 2010.

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