Les T.I.C. en éducation
Un tiens vaut-il mieux que deux tu l’auras ?
L’information circule plus vite que jamais par l’explosion des dispositifs numériques et de leurs usages ; les gens disposent de nouveaux moyens pour s’affirmer et plusieurs s’en servent. Là s’arrêtent les certitudes sur ce qu’on observe en termes de valeur ajoutée par les Technologies de l’Information et des Communications (TIC) en éducation. La conversation qui brise l’isolement, des jeunes plus connaissants et l’avènement d’une vaste communauté d’apprentissage en réseau… c’est de l’ordre de la pieuse promesse. Mais c’est intéressant en diable que de l’envisager. À tout prendre, l’essentiel n’est-il pas de se dire que le numérique est – aussi – un espace où se définissent des valeurs !
Depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg au milieu du XVe siècle, aucun changement dans le support de diffusion des connaissances n’avait bousculé autant l’ordre établi qu’Internet. La diversité et l’ampleur des usages sur la Toile sont souvent invoquées quand il est question de prendre la mesure des promesses de ce Nouveau monde. Chacun pouvant devenir producteur de contenu (et diffuser tout genre de textes/sons/images/vidéos sans intermédiaire et sans connaître les langages de programmation), l’internaute contribue à résoudre l’équation de l’accès à l’information dans un mode beaucoup plus fragmenté. Évidemment, données, informations et opinions ne sont pas nécessairement synonymes de connaissances. Malgré les réserves que l’on peut entretenir sur certains enjeux, le bilan des acquis mesurables est prometteur. De là à dire que l’accès à plus d’informations est toujours un signe de progrès, il n’y a qu’un pas ; cet article ne le franchira pas.
Cela dit, il convient de distinguer entre ce que nous procure actuellement le numérique et ce que les prospectivistes nous annoncent. À travers des dispositifs comme le courrier électronique, les messages textes, les blogues, les wikis, les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, etc.) et le clavardage, les internautes d’aujourd’hui occupent l’espace public différemment de leurs aînés au même âge, provoquant une conversation à plusieurs voix et une grande quête d’informations tous azimuts. Les façons de chercher du contenu par Internet peuvent contribuer à changer un certain rapport au savoir…
À qui étaient posées toutes ces questions avant Google ?
Le rôle central joué par les moteurs de recherche est au cœur de la nouvelle dynamique de la recherche d’informations et de la quête d’identité. Chaque seconde, les nombreux engins en amont des algorithmes utilisés par les moteurs de recherche ratissent les serveurs, qui sont nombreux à ouvrir leurs portes sur le contenu qu’ils renferment. L’information est indexée, puis classée selon une logique dont la pertinence reste à prouver. On y enregistre de nombreuses requêtes ; en mars 2009, on parlait de près de 294 millions de recherches par jour sur Google seulement [1] . Une « culture » du partage a pris forme, à partir de la mise en commun de ce que l’on sait (ou de ce qu’on pense savoir), qui porte les internautes à demander, avec l’espérance psychique de trouver. La grande bibliothèque numérique fait le bonheur de plusieurs…
Pourrions-nous affirmer que nous sommes devenus plus curieux que jamais ? Devrions-nous conclure qu’au-delà de la qualité des informations qui circulent, les moyens de s’affirmer sont plus nombreux que jamais et, qu’ainsi, la mise en valeur de son identité – ou de son patrimoine – n’a jamais été aussi facile ? On peut au moins se demander si ces questions étaient posées auparavant.
Avez-vous déjà Googlisé quelqu’un en soumettant son nom dans le célèbre moteur de recherche ? L’exemple des jeunes est intéressant. Ils ne laissent aucun moteur de recherche – Google est le plus connu, mais YouTube est le plus populaire auprès des 12 à 17 ans [2] – décider à leur place de l’image qui pourrait émerger d’une requête à partir de leur patronyme. Le producteur de contenu d’aujourd’hui sait qu’il peut avoir une influence sur le classement avec les outils qui sont mis à sa disposition. Anderson (2004) a bien expliqué comment le marché quasi monopolistique des gros producteurs traditionnels s’est fait rattraper, voire dépasser, par une multitude de petits producteurs de contenu (ou de relayeurs, c’est selon). L’économie de l’information s’en trouve radicalement transformée quand on applique ce raisonnement au mode actuel de la vie en société : les réseaux prennent maintenant toute leur importance et les grands relayeurs, les médias de masse, n’ont plus le monopole de la transmission. C’est ce qu’on appelle la longue traîne, caractérisée par cette longue liste de petits générateurs de contenu. Ces petits se voient déjà grands !
Cette capacité de produire du contenu influence l’éducation
Cette théorie de Chris Anderson a des effets en éducation. L’apprenant 2.0 ne se limite pas à utiliser Internet pour consulter des pages Web ; s’il a commencé par échanger des courriels et des messages texte, il exploite maintenant les possibilités qu’offre le World Wide Web dans les deux sens, consultation et diffusion. Les domaines de la musique, des journaux (médias de masse, publicité, etc.) et de l’édition y goûtent : les réseaux deviennent un enjeu important qui perturbe autant l’éducation que ces autres secteurs. Pourquoi ? Parce qu’il y a de moins en moins d’intermédiaires pour produire du contenu. Celui qui fait un apprentissage (ou souhaite enseigner) peut immédiatement reproduire ce qu’il veut diffuser et l’offrir directement à un réseau d’internautes, après l’avoir modifié – adapté – ou non.
Que les adultes formateurs le veuillent ou non, cette prise de parole s’exerce. Les apprenants ont massivement investi la Toile pour rendre compte de leurs apprentissages (ou de ce qu’ils veulent faire apprendre) et s’exprimer. C’est pourquoi on constate qu’écrire sur Internet – usage participatif – favorise l’apprentissage. Un jeune réalise vite que pour être trouvé, il doit bien écrire ; du moins, aussi bien que ceux qui cherchent...
La publication Web... un puissant levier pour apprendre
Plusieurs sont d’avis que la pratique carnetière (l’utilisation des blogues) et les autres formes de publication Web participent au repérage et à la construction d’une identité numérique de plus en plus affirmée. Ces dispositifs mettent à la disposition de la communauté éducative des outils motivants, qui transportent le travail en contexte de communauté. Si apprendre est un acte social, apprendre par Internet l’est d’autant plus ; le numérique procure à chacun le moyen de ses ambitions ! L’éducation civique pourrait profiter de ce dialogue ainsi établi…
De plus, les gens écrivent et lisent davantage au contact du numérique. Ils ne deviennent pas automatiquement de meilleurs auteurs ou de bons lecteurs, mais… pour un jeune, faire ses travaux pour la planète plutôt que pour un prof, ça change la perspective !
Parce que les jeunes veulent être fiers de l’image qu’ils projettent sur leur site Internet personnel, ils font davantage l’effort d’apprendre à affiner les stratégies de vérification de leurs textes et sont plus soucieux d’apprendre les règles de grammaire. Pour commenter de façon plus pertinente, ils apprennent à bien décoder les intentions d’écriture de ceux qui commentent leurs billets. Motivés à mieux argumenter, les élèves lisent avec plus d’attention, puisqu’une réponse bien envoyée leur assure d’autres commentaires et ainsi… plus de notoriété. L’écriture et la lecture ainsi placées dans des contextes signifiants pour chacun deviennent des activités motivantes. Ils sont portés à s’améliorer pour être reconnus comme de bons lecteurs et de bons auteurs. Ils comprennent davantage que c’est par la répétition et le raffinement de leur processus de lecture et d’écriture qu’ils arrivent à atteindre de hauts standards de réussite.
Plusieurs éducateurs le pressentent : le levier (pourrait-on dire le moteur) principal de développement de l’individu est la quête d’identité. Or, les réseaux sociaux répondent parfaitement à cette quête… « J’existe, et je sais que j’existe dans la mesure où j’obtiens un écho fréquent de mon existence. Savoir que je suis important pour quelqu’un, plusieurs fois dans la même journée, me construit. »
[2] Affirmation tirée des résultats de l’enquête du Cefrio sur « La génération C - Les 12-24 ans, moteurs de transformation des organisations » : http://www. cefrio.qc.ca/index.php ?id=74&tx_ttnews[tt_news]=4507&cHash=9c3ca1112ae