Crise écologique
L’économie verte, un écran de fumée au service des puissants
Dossier : Après-crise ou crise permanente ?
Depuis quelques années, la notion d’économie verte tente de se frayer un chemin dans le vocabulaire médiatique et politique. Substitut de choix au très galvaudé « développement durable », le terme « économie verte » suggère l’idée de mettre l’économie au service de la protection de l’environnement ou, à tout le moins, de faire en sorte que la protection de l’environnement soit rentable, donc plus attrayante pour les entreprises. Il s’agit d’une idée certes séduisante et rassurante, puisqu’on reste en terrain connu, mais le marché peut-il vraiment régler la crise écologique actuelle ?
Un bref retour en arrière nous permet d’avoir une vision plus large de ce qui a entraîné l’apparition de ces concepts. En 1972, la publication du rapport Halte à la croissance ? – Rapport sur les limites de la croissance a fait grand bruit. Couramment appelé rapport Meadows, du nom des chercheurs du MIT ayant coordonné les travaux pour le compte du Club de Rome, ce rapport soulignait l’interdépendance des questions sociales, économiques et écologiques. Ainsi, selon les différents scénarios de prospective présentés, les interactions entre la croissance démographique et l’exploitation croissante des ressources naturelles entraîneraient des pénuries de ressources accompagnées d’un haut niveau de pollution, lesquels engendreraient la fin de la croissance, tant démographique qu’économique.
Des différents scénarios présentés par les auteurs, les seuls qui n’entraînent pas un effondrement généralisé de l’écosystème mondial sont ceux qui mettent un frein à la croissance exponentielle de la production. Il était en outre proposé de stopper la croissance de l’industrie en instaurant des taxes permettant de réorienter le flux monétaire vers les activités les plus utiles, comme l’agriculture, les services sociaux et surtout la lutte contre la pollution.
Le rapport fait aussi état de la nécessité de répartir les richesses en fonction de la satisfaction des besoins primaires de la population. Cela représente, selon les auteurs, la condition sine qua non à l’acceptation populaire d’une économie sans croissance. L’objectif est donc « un affranchissement de la faim et du dénuement qui reste, aujourd’hui encore, le privilège de si peu d’hommes sur la Terre ».
Les conclusions de ce rapport, pourtant toujours criantes d’actualité, n’ont pas manqué, on s’en doute bien, de susciter une vive polémique à l’époque. S’ensuivit la publication, en 1987, du rapport Bruntland (intitulé Notre avenir à tous), commandé par la Commission des Nations unies pour l’environnement. Ce rapport a jeté les bases du premier Sommet de la Terre, qui a eu lieu à Rio en 1992 : le concept de développement durable était né. Reposant sur trois piliers (environnemental, social, économique), celui-ci se définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
On comprend ici que pour qu’il y ait développement durable, il doit y avoir développement économique. La préservation d’un habitat sensible, par exemple, n’entre pas dans la définition du développement durable. L’idée de croissance est ainsi réhabilitée par la bande, en suggérant qu’il est possible d’adapter légèrement notre mode de fonctionnement actuel pour le rendre plus socialement et écologiquement responsables.
Depuis, le développement durable nous a été servi à toutes les sauces, si bien que ce terme n’a plus aucune crédibilité. La prise en compte de l’impact social des projets a tranquillement glissé vers la recherche de « l’acceptabilité sociale » par les gouvernements et les promoteurs de tous horizons, sorte de fabrication de consentement à grands coups de stratégies de communication qui n’ont bien souvent que peu à envier à la propagande stalinienne...
Privatiser... pour mieux protéger ?
Terme vide de sens s’il en est un, l’économie verte met en lumière le fait que les chantres de la croissance se sont finalement adaptés au choc causé par la prise de conscience mondiale des problématiques environnementales, qui a pour un temps semblé menacer leurs acquis. Aucune des solutions mises de l’avant par les promoteurs de cette « nouvelle économie » ne remet en cause, on s’en doute, l’ordre établi. Tout au plus s’agit-il de penser les communications en amont pour donner l’impression que la question environnementale est au cœur des préoccupations plutôt que de réagir en aval, en réponse à la pression populaire. En d’autres termes, il s’agit la plupart du temps d’écoblanchiment, puisque les efforts et l’argent investis le sont en publicité plutôt qu’en actions concrètes en vue de réduire son impact environnemental.
Un lieu commun très exploité laisse sous-entendre que l’on fait plus attention à ses biens propres qu’à ce qui appartient au domaine public. En poussant la logique plus loin, certaines personnes vont jusqu’à dire que la privatisation de l’eau, par exemple, pourrait permettre de protéger davantage la ressource et de la rendre accessible à tous et toutes. Il va de soi que ce qui sous-tend cette logique, c’est en fait une volonté d’augmenter les possibilités de profit, les créneaux d’affaires, par la marchandisation de la nature. La privatisation des services d’eau potable, par exemple, a été tentée un peu partout dans le monde, avec pour résultats une accessibilité réduite ou nulle pour les plus pauvres, une baisse de qualité généralisée, une augmentation du prix, des interruptions de service fréquentes et un entretien inadéquat des infrastructures.
PIB et croissance
Le produit intérieur brut (PIB) est l’indicateur traditionnellement utilisé pour mesurer la richesse d’une nation. Toute transaction financière ayant lieu sur le territoire d’un pays augmente le PIB. La croissance du PIB par habitant est censée mesurer la croissance du niveau de vie. Cependant, les actions ou les décisions qui n’entraînent pas de mouvements monétaires ne contribuent pas à l’augmentation du PIB. En conséquence, le travail non rémunéré, effectué majoritairement par les femmes, n’est pas reconnu comme participant à l’amélioration du niveau de vie.
Très souvent, les désastres écologiques contribuent à la hausse du PIB : déversements de pétrole en mer, déforestation, élevage intensif et même catastrophes naturelles entraînent tous une augmentation marquée de l’activité économique. De même, une population malade contribue davantage au PIB qu’une population en santé, car elle achète plus de médicaments, consomme plus d’actes médicaux et de services spécialisés.
En fait, la croissance économique repose sur un modèle théorique qui ne tient pas compte des limites physiques de l’écosystème planétaire. Nombreux sont ceux qui dénoncent donc le productivisme et le consumérisme incarné par le PIB, qui est loin d’être représentatif du réel bien-être humain.
Une solution : la transition vers une économie à échelle humaine
Mais pourquoi persiste-t-on à rechercher la croissance à tout prix, sachant que cette course effrénée se fait au détriment de notre qualité de vie et même de la survie de l’espèce ? C’est qu’il faut nourrir sans cesse le monstre que nous avons créé… En effet, l’économie actuelle repose sur la création monétaire ex nihilo, à partir de rien, par les banques privées principalement. Chaque fois qu’un État ou un individu emprunte une somme d’argent à la banque, le montant est simplement inscrit à son actif, sans qu’il ne corresponde à aucune somme réelle. Ce ne sont pas les dépôts des uns qui sont prêtés aux autres, comme on est porté à le croire. La monnaie, de nos jours, est scripturale, c’est-à-dire créée à la pointe du stylo (ou plutôt à la touche du clavier). Seule une réserve en monnaie réelle correspondant à une fraction des prêts (environ 2 %) est exigée.
Évidemment, nous devons rembourser les sommes empruntées grâce à l’argent gagné par notre force de travail (bien réelle, celle-ci !), plus les intérêts, qui eux ne sont pas créés. En effet, les banques ne créent que le capital, alors que nous devons rembourser capital et intérêts. Si l’on conçoit l’économie globale d’un pays comme un seul gros système, on comprend aisément qu’il faut qu’il y ait sans cesse croissance, donc augmentation de la masse monétaire, pour éviter d’atteindre le stade où il devient évident qu’il n’y a pas assez d’argent en circulation pour rembourser toutes les dettes. Si cela se produisait, c’est le système économique dans son ensemble qui imploserait.
Il va de soi que le fait d’avoir confié le droit régalien de créer la monnaie aux banques privées leur confère un immense pouvoir. Elles peuvent non seulement décider ce qui mérite d’être financé ou non, et ce de façon totalement antidémocratique, mais elles sont aussi en total conflit d’intérêts puisque l’endettement massif est nécessaire au maintien de ce système qui les privilégie au-delà de tout.
Parmi les solutions qui existent pour sortir de ce marasme, l’une des plus prometteuses pourrait bien être l’abolition de ce droit cédé aux banques et plutôt créer la monnaie (toujours ex nihilo) par le versement d’un revenu de base universel à chaque personne, de la naissance à la mort. Ainsi, c’est la vie humaine, et non les dettes, qui serait à la base du système économique. L’argent serait forcément mieux réparti, conférant à chaque personne la liberté d’échanger et de produire à petite échelle. C’est ce modèle, appelé système monétaire à dividende universel, que proposent, entre autres, la Théorie relative de la monnaie, élaborée par un collectif d’économistes, ainsi que l’Initiative citoyenne européenne pour un revenu de base universel.
À partir de là, tout financement massif de grands projets destructeurs pour l’environnement ou la société deviendrait beaucoup plus ardu. En effet, si le pouvoir de financer revient aux citoyens et aux citoyennes (pensons au sociofinancement, par exemple), les projets devront faire la preuve de leur utilité sociale ou environnementale. De même, les petites initiatives locales, actuellement bloquées par manque de fonds, devraient fleurir et participer, ce faisant, à la nécessaire transition vers une économie à échelle humaine, au service des citoyens et de leur milieu de vie immédiat.
Comme le disait Einstein, on ne résout pas un problème avec le mode de pensée qui l’a créé. La crise écologique est une conséquence directe du modèle productiviste axé sur la croissance économique. Il est absurde de s’attendre à ce que les mécanismes de marché à l’œuvre dans ce modèle soient à même de nous permettre d’échapper à la crise écologique. La main invisible ne protège pas plus la planète qu’elle ne répartit la richesse. Au contraire, elle pille nos ressources et vide nos poches pour remplir celles des puissants !