Écologie
La consommation responsable
Faire proliférer la désinformation nuit à la santé collective
Après la lecture de l’article « Éthique consommée » de François Doyon, paru dans le numéro d’octobre-novembre 2013 d’À bâbord !, nous devions conclure que la consommation « responsable » – biologique, équitable et locale – est un leurre. En effet, elle ne servirait qu’à nous donner bonne conscience, celle-ci ne tenant pas ses promesses. De plus, elle individualiserait les prises de décision face aux dérives du capitalisme alors que cela devrait être une responsabilité de nos institutions et de nos élites dirigeantes. Cependant...
L’agriculture biologique
François Doyon écrit : « Il n’a jamais été prouvé scientifiquement que les aliments biologiques sont meilleurs pour la santé. » Dans la mesure où les aliments biologiques sont la norme par défaut, il est tout à fait juste de conclure qu’ils ne peuvent pas être meilleurs pour la santé. Le biologique est ce que tout le monde devrait manger.
Cependant, il a été démontré, expliqué, argumenté qu’une alimentation non biologique, dite « conventionnelle », fait partie des causes principales des maladies modernes : cancer, obésité, cholestérol, etc. La journaliste Marie-Monique Robin, connue notamment pour ses enquêtes sur Monsanto, s’est penchée sur cette question. Dans Notre poison quotidien (Éditions La Découverte, 2011), on apprend ainsi que le niveau de pesticides enregistré dans l’urine d’une personne disparaît moins de dix jours après que celle-ci soit passée à une alimentation biologique. En outre, « sur les quelques 100 000 produits chimiques qui ont envahi notre environnement depuis la Seconde Guerre mondiale [...] seuls quelque 2 000 ou 3 000 ont été testés du point de vue de leur potentiel cancérigène ». Sans compter que « les études subventionnées par l’industrie [sont] conçues de telle manière qu’il est quasiment impossible de trouver des effets nocifs [aux produits chimiques]. La conséquence, c’est que la littérature scientifique est polluée régulièrement par des études qui ne valent rien ».
Il ne faut pas non plus se limiter à la seule consommation de ces aliments « conventionnels », leur production même pose problème. Ainsi Robin évoque-t-elle un document de l’Organisation mondiale de la santé qui « révèle que dans la province du Sichuan, en Chine, 10 millions de travailleurs agricoles (soit 12 % de la population) sont en contact avec des pesticides ; en moyenne, 1 % d’entre eux, soit 100 000 personnes, sont chaque année victimes d’intoxication aiguë ». Un exemple parmi tant d’autres. Le conventionnel rend malade, et donc tue !
Sur cette même production de l’agriculture biologique, F. Doyon avance qu’elle nécessite une plus grande superficie de terre que l’agriculture conventionnelle. Or, d’autres sources indiquent que la question n’est pas si simple. Dans une récente étude, la chercheuse Catherine Badgley arrive à la conclusion que si « les rendements des cultures biologiques comparés à ceux des cultures conventionnelles sont légèrement inférieurs dans les pays développés », la conversion de ces rendements en calories indique que « l’agriculture biologique a le potentiel de nourrir le monde [1] ».
En outre, l’agriculture biologique est pérenne et a une production stable dans le temps. L’agro-industrie, quant à elle, est à l’image de Lance Armstrong : elle est championne car elle est dopée et corrompue. Coupez-lui ses subventions et ses produits en « -ides » (herbicides, fongicides, pesticides, etc.) et nous sommes bons pour un jeûne collectif. Car en les dopant de la sorte, on endommage et appauvrit les sols des terres arables, diminuant du même coup leur fertilité à moyen et long termes [2].
Sans parler du fait qu’avec les OGM, les paysans, et donc les peuples, et donc les pays, sont en train de devenir des « sujets » de quelques grosses compagnies. Il y a une prise de contrôle totale sur les peuples comme l’ont montré Le Monde selon Monsanto et La Guerre secrète des OGM [3]. Consommer biologique est donc un acte militant pour rester en santé et freiner un processus destructeur sur plusieurs plans.
Le commerce équitable
F. Doyon décrit le commerce équitable en prenant le café pour exemple : « Un café équitable est un café payé plus cher que la valeur marchande afin d’assurer une stabilité de revenu aux petits producteurs. » Ce gonflement des prix serait source de surproduction et pourrait mener à une chute des prix. Or, quelle est la « valeur marchande » d’un produit ? Celle-ci inclut-elle les subventions accordées au secteur agroalimentaire ou les impacts environnementaux de l’usage à outrance de produits en « -ide » ? Prend-elle en compte les impacts sociaux associés au vol des terres aux populations locales ?
Comment de « petits producteurs » ayant peu ou pas de machinerie, recourant peu ou pas du tout aux produits en « -ide », n’ayant à leur disposition que de petites surfaces, comment, donc, ces petits producteurs pourraient-ils être la cause d’une surproduction ? La critique de François Doyon ne vise pas la bonne cible. Ce ne sont pas les principes du commerce équitable en tant que tel qui sont néfastes, mais le contexte international de l’agrobusiness qui est entre les mains de grands groupes alimentaires occidentaux. « [Ces] accapareurs de terres sont en fait de grandes entreprises et des partenariats qui investissent de gigantesques sommes d’argent dans la terre, la production alimentaire, les exportations de marchandises et la spéculation sur les marchés de l’alimentation [4]. »
Consommer équitable, c’est donc aller contre un processus qui permet à quelques entités de contrôler des terres agricoles à l’échelle de la planète et à d’autres entités de s’enrichir en jouant avec les prix des denrées alimentaires en Bourse.
Consommer localement
Enfin, lorsque vient le temps de parler de l’achat local, décrit comme une simple indulgence bourgeoise, F. Doyon écrit : « Un kilomètre parcouru par un camion rempli de casseaux de fraises n’équivaut pas à un kilomètre parcouru par une voiture familiale qui n’en transporte qu’une dizaine [achetées chez un producteur local]. » Voilà une comparaison fallacieuse. Soit on compare un camion parcourant Californie-Québec avec un camion parcourant le sud du Québec vers d’autres villes de la province ; soit on compare des consommateurs qui prennent leur voiture pour acheter leur stock en Californie avec des consommateurs qui prennent leur voiture pour acheter leur stock chez le producteur local. Or, cela ne viendrait à l’idée de personne de prendre sa voiture pour aller acheter ses fraises en Californie.
François Doyon semble confondre distribution des aliments locaux et moyen de transport pour aller se les procurer. Il est probable que si tous les Québécois·es prenaient leur voiture pour aller acheter leurs fraises directement chez le producteur, cela serait plus polluant qu’un camion venant de Californie. Cependant, rien n’empêche nos productrices et producteurs locaux de vendre leurs produits dans les marchés, dans les épiceries ou directement aux consommateurs et consommatrices. En fait, il y a déjà tout ce qu’il faut ! Équiterre a mis en place un réseau de paniers bio. Les agriculteurs et agricultrices définissent des points de chute et les partenaires viennent y chercher leur panier. Il y a des points de chute un peu partout à travers le Québec, il est simple de trouver un agriculteur qui livre près de chez soi. Même si celui-ci parcourt 200 km et qu’il n’y a que 40 personnes qui viennent s’approvisionner, cela revient seulement à 5 km par personne.
Le cas du marché biologique de l’île des Sœurs est éclairant. Pour y vendre leurs produits, les producteurs biologiques doivent produire à moins de 100 km du marché. Cela permet d’avoir des produits biologiques, équitables (le producteur vend au prix qu’il veut), locaux et frais. Le consommateur rencontre « son » fermier, permettant du même coup de s’informer et (re)découvrir la réalité de l’agriculteur et de l’agriculture.
La consommation « responsable » est-elle suffisante ?
Une personne qui achète biologique, équitable ou local fait un acte anarchiste. Cependant, est-ce suffisant pour déclencher un vrai changement ? Le credo des consommateurs et consommatrices responsables est « acheter, c’est voter ». L’idée est de dire que si le vote permet le changement, consommer le permet tout autant. Or, le vote dans nos sociétés démocratiques oligarchiques autoritaires n’a guère d’impact et n’est pas une fin en soi, comme ne l’est pas non plus la consommation responsable ; il s’agit tout simplement d’outils parmi d’autres à la disposition de ceux et celles qui souhaitent apporter des changements profonds et durables à nos manières de faire actuelles. La consommation responsable n’est donc pas une panacée, surtout qu’elle a déjà été domptée par le système. En effet, l’agro-industrie fait du biologique à grande échelle et « les multinationales se goinfrent de PME au goût éthique [5] ».
À elle seule, la consommation responsable ne permettra pas de changements majeurs et ne remettra pas en cause le système en place. Pour un vrai changement de paradigme, cela prend un soulèvement global des peuples et de nouvelles pratiques qui ne sont pas aussi destructrices que celles en vigueur aujourd’hui. L’agriculture biologique, le commerce équitable et la consommation de produits locaux représentent des pistes de solution.
Réplique de François Doyon
Je remercie l’auteur qui honore mon article d’une réponse. Voici néanmoins quelques points d’observations :
• Je ne dis pas que les prises de décision face aux dérives du capitalisme devraient « être une responsabilité de nos institutions et de nos élites dirigeantes ». Je dis qu’il faut changer nos institutions et je ne dis jamais que nous devons nous en remettre à nos élites dirigeantes pour le faire.
• Lorsque j’affirme qu’il n’a jamais été prouvé que les aliments biologiques sont meilleurs pour la santé que les aliments issus de l’agriculture conventionnelle, je cite une méta-analyse scientifique.
• Il n’existe pas de consensus scientifique sur la capacité de l’agriculture biologique de nourrir une population mondiale toujours croissante, mais il est clair que dans le contexte géopolitique actuel, l’agriculture intensive n’arrive pas à suffire à la demande, en partie parce que trop de terres arables sont consacrées à la culture de produits de luxe comme le café et le chocolat.
• « Ce ne sont pas les principes du commerce équitable en tant que tel qui sont néfastes, mais le contexte international de l’agrobusiness qui est entre les mains de grands groupes alimentaires occidentaux. » Nous sommes parfaitement en accord sur ce point, mis à part le fait que, comme l’explique Amina Bécheur et Nil Toulouse dans Le commerce équitable. Entre utopie et marché, le commerce équitable s’intègre de plus en plus dans le processus de domination de l’agro-business qu’il prétend combattre. Il n’existe pas de café vraiment équitable : c’est un produit de luxe, un gaspillage de terres cultivables.
• La consommation responsable n’est pas une piste de solution aux dérives du capitalisme. Comme l’admet mon détracteur, la consommation responsable ayant « déjà été domptée par le système ». Elle contribue au maintien de l’injustice établie en transformant en bonne conscience l’indignation qui devrait conduire au soulèvement global des peuples.
J’aurais d’autres observations à partager, mais l’espace me fait défaut. Désinformation ? Il est désolant que là où l’on attaque avec un mot, il faille des pages pour se défendre.
[1] Catherine Badgley in Marie-Monique Robin, Les moissons du futur, ARTE France, 2012. Disponible sur YouTube : <http://www.youtube.com/watch?v=bBbu...> .
[2] Jean-Marie Pelt, Le Tour du monde d’un écologiste, Paris, Fayard, 1990.
[3] Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto, Paris, La Découverte, 2008 ; Hervé Kempf, La Guerre secrète des OGM, Paris, Seuil, 2003.
[4] GRAIN, « L’accaparement des terres en Amérique Latine », mars 2010. Disponible en ligne sur <http://www.grain.org/> .
[5] Laure Noualhat, « Les multinationales se goinfrent de PME au goût éthique », Libération, 10 avril 2009. Disponible en ligne sur <http://www.liberation.fr/> .