La Première
Une désolante hagiographie
Un film de Yves Desgagnés
Les membres de la direction du Parti québécois (PQ) avaient demandé au metteur en scène Yves Desgagnés [1] d’organiser les célébrations qui devaient succéder à l’annonce de la victoire électorale de cette formation politique, le 4 septembre 2012, dans la salle de spectacle Métropolis. Cependant, l’attentat terroriste perpétré par l’homme d’affaires Richard Henry Bain, lors de cette soirée, a entraîné la mort d’un employé, Denis Blanchette, ainsi que la blessure fort grave d’un de ses collègues, Dave Courage. Évidemment, ces événements particulièrement dramatiques ont gâché les festivités d’un moment qui devait prendre une tout autre tournure.
Conscient de la dimension politique que comportaient les actions du présumé meurtrier et soucieux de mieux faire connaître Pauline Marois à ses commettants et commettantes, Yves Desgagnés dresse un portrait militant de cette politicienne expérimentée dans La Première [2], un moyen métrage documentaire. À travers cette œuvre au titre complice, voire familier, le cinéaste cherche à retracer l’itinéraire singulier de la première femme à occuper les fonctions de premier ministre du Québec, de sa naissance dans le quartier ouvrier de Limoilou, à Québec, à l’actualisation de sa première année de gouvernance à la tête du Parti québécois, en passant par sa jeunesse, ses années d’apprentissage et son long cheminement professionnel au sein de la formation politique souverainiste.
Un portrait dithyrambique
On peut déplorer qu’Yves Desgagnés ait tracé un tableau éminemment complaisant du cheminement biographique de Pauline Marois, que l’on décrit comme une femme fidèle à ses convictions politiques et fière de ses origines modestes. Durant son témoignage, elle ne manque pas d’exprimer sa satisfaction d’avoir pu concilier une vie familiale bien remplie avec une carrière politique prestigieuse. En outre, le documentariste ne se gêne pas pour souligner au spectateur que Pauline Marois lui apparaît comme une femme exceptionnelle, qui a su réussir sa vie, tant sur le plan professionnel que personnel.
Pourtant, on ne nous révèle rien de la politicienne opiniâtre qui n’a pas ménagé les sentiments d’autrui et les jeux de coulisses pour devenir chef du Parti québécois, sans que personne ne s’oppose à elle (2007). Desgagnés n’évoque pas son départ tonitruant du PQ peu de temps après l’élection d’André Boisclair à titre de chef de la formation (2005). On ne se réfère jamais à ses vives querelles avec les dissidents péquistes Jean-Claude Saint-André, Pierre Dubuc et Marc Laviolette (2008), ni aux restrictions budgétaires qu’elle a imposées à la population du Québec dans plusieurs ministères de différents gouvernements du Parti québécois, en prétextant qu’elle n’avait pas d’autre choix compte tenu de l’état précaire des finances publiques (1981-1985 et 1994-2003). Évidemment, une exploration approfondie du parcours politique de Pauline Marois aurait été très défavorable à l’image de l’actuelle première ministre du Québec.
Une appréciation qualitative
Au milieu de la narration, Yves Desgagnés choisit de représenter 36 heures caractéristiques de la vie de Pauline Marois afin de signaler au spectateur combien elle prend son rôle de première ministre au sérieux. Ainsi, on la voit se vouer aux tâches relevant du service public avec un indéniable enthousiasme. Consciente que les mondanités entourant l’exercice de ses fonctions peuvent laisser une fâcheuse impression dans l’esprit de ses commettant·e·s, elle a soin de mentionner que l’on aurait tort de croire que l’aspect « glamour » des activités auxquelles elle s’adonne constitue une partie de plaisir. À ses yeux, celles-ci représentent des tâches importantes en termes de temps passé en compagnie de ses concitoyens et concitoyennes. Il va sans dire que le rôle de premier ministre d’une province ou d’un pays démocratique n’a rien d’une sinécure. Cependant, on erre si l’on croit que Pauline Marois se sacrifie pour la population du Québec en composant avec l’horaire fort chargé qui est le sien. De façon déplorable, telle est l’impression que nous donne Yves Desgagnés en fragmentant démesurément sa narration et en se servant abusivement de la figure de l’ellipse.
À cet égard, on remarquera que le cinéaste montre sa protagoniste en constant mouvement, comme si elle ne bénéficiait d’aucun moment de répit durant la journée... Somme toute, le fait que Pauline Marois consacre beaucoup de temps à son travail ne nous apparaît pas extraordinaire. À notre humble avis, ce n’est pas en s’appuyant sur une telle donnée que l’on évalue la performance d’un politicien. C’est plutôt en se penchant sur la qualité de son travail qu’on peut l’apprécier adéquatement.
La complaisance et le subjectivisme de Marois
Par moments, Pauline Marois tient des propos assez troublants à travers le film d’Yves Desgagnés, dans la mesure où elle semble s’attribuer un rôle supérieur à celui qui est réellement le sien. Dans cet esprit, on entendra Marois se référer à quelques reprises au prétendu « Destin » qui serait le sien, comme si le fait d’avoir échappé à l’attentat du 4 septembre 2012 ou d’être la première femme à diriger le Québec lui conférait une sorte de pouvoir particulier, alors que le fait que Richard Henry Bain n’ait pas atteint ses sinistres objectifs relève de questions d’ordre circonstanciel.
Par ailleurs, on ne l’entendra jamais évoquer la difficulté majeure de manifester de hautes considérations éthiques, en politique, comme l’ont fait des gens intègres ayant pour noms Jacques Couture, Guy Bisaillon et Robert Burns au sein et hors du Parti québécois durant les années 1970 et 1980. Cela s’explique par le manque de déférence de Pauline Marois envers les gens que l’on qualifie de « politiciens de convictions ». À preuve, le spectateur se souviendra de l’attitude intransigeante que Marois a adoptée envers des députés du PQ qui se sont opposés au projet de loi 204, lequel exemptait de poursuites judiciaires l’administration Labeaume et la compagnie Québecor dans l’éventualité où on contesterait l’entente de gestion du futur amphithéâtre de la capitale nationale que les deux parties ont conclue. Dès lors, on peut soutenir sans ambages qu’un chef de parti plus ouvert, moins dogmatique que Marois, aurait sans doute su comment s’y prendre pour éviter les départs fracassants du PQ des Lisette Lapointe, Pierre Curzi, Louise Beaudoin et Jean-Martin Aussant.
Une mise en scène racoleuse
Sur le plan stylistique, Yves Desgagnés a recours à une mise en scène binaire et démonstrative qui sert fort mal le sujet choisi. Organisant l’espace et le temps de manière à dévoiler au spectateur les « aspects dominants » de la personnalité de l’héroïne du film, le réalisateur juxtapose deux portraits complémentaires de Pauline Marois : celui d’une femme politique compétente et dynamique (dans le feu de l’action), de même que celui d’une personne idéaliste et généreuse (avec le recul). Malheureusement, le cinéaste verse dans le panégyrique pour mettre en valeur Pauline Marois plutôt que de chercher à saisir la complexité du personnage et de la réalité à laquelle il appartient. Globalement, on nous décrit Marois, la femme d’action, comme une personne avenante, courageuse et pondérée. Pourtant, Yves Desgagnés la croque abusivement dans des circonstances propices durant la première moitié du mois de mai 2013 : elle annonce publiquement qu’elle consacrera des fonds publics à la restauration de la demeure familiale et patrimoniale de Gilles Vigneault à Natashquan, remet un prix pour la lutte contre l’homophobie à Ariane Moffatt, décore Dominique Michel de la médaille d’honneur de l’Assemblée nationale pour l’ensemble de son œuvre… Tout cela ne traduit pas adéquatement l’essence du travail de la première ministre. En ce qui a trait à la Pauline Marois, femme d’idéal, elle n’apparaît pas plus convaincante que la personne d’action puisque celle-là se contente de formuler une série de vœux pieux par rapport à un Québec équitable dont elle souhaiterait l’avènement (comme par enchantement !). Toutefois, le budget Marceau de l’année 2012, qui comporte de nombreuses compressions financières touchant les citoyennes et les citoyens démunis du Québec, ainsi que le reniement de plusieurs promesses électorales du PQ apportent un éclatant démenti au prétendu rêve de justice sociale énoncé par Pauline Marois.
Il y a une décennie, Bernard Landry, alors premier ministre du Québec, avait permis à Jean-Claude Labrecque de révéler aux Québécois de multiples facettes de sa vie professionnelle en réalisant À hauteur d’homme (2003). En 2013, Pauline Marois a donné l’occasion à Yves Desgagnés d’en faire autant à son sujet à travers La Première. Dans les deux cas, il s’agit d’œuvres très décevantes, nettement trop complaisantes, trop hagiographiques envers leur sujet respectif pour emporter l’adhésion d’un spectateur exigeant. Cependant, sur les plans plastique et sonore, Labrecque a su nous proposer un métrage plus original que celui d’Yves Desgagnés, qui s’est borné à signer un documentaire politique académique, à la musique redondante. La chose est regrettable puisque, par le passé, cet artiste souvent iconoclaste a démontré des aptitudes appréciables (en particulier dans le domaine théâtral). Pourtant, dans les domaines connexes du cinéma et de la télévision, Desgagnés n’a pas su s’imposer jusqu’à présent : ni à travers son dernier film, ni à travers la réalisation de narrations fictionnelles comme Idole instantanée (2005) et Roméo et Juliette (2008). Souhaitons-lui donc, malgré son rôle de conseiller en communication de Pauline Marois, de renouer avec le monde du théâtre dans les meilleurs délais !
[1] Desgagnés a également agi à titre de coordonnateur des rassemblements du PQ durant la campagne électorale concernée.
[2] On a présenté le film d’Yves Desgagnés en primeur au réseau TVA le 2 septembre 2013.