Une douce anarchie - Les années 68 au Québec

No 026 - oct./nov 2008

Jean-Philippe Warren

Une douce anarchie - Les années 68 au Québec

Eve Martin Jalbert

Jean-Philippe Warren, Une douce anarchie - Les années 68 au Québec, Montréal, Boréal, 2008, 311 p.

Ce retour aux révoltes étudiantes du 68 québécois se veut une remise en cause du mythe d’une génération uniment mobilisée dans une « complète effervescence révolutionnaire ». Assurément bien documentée, cette démythification a toutefois un prix fort élevé, car elle entraîne avec elle la ruine des espérances vaincues et des efforts inaboutis de changer le monde.

Les voyages dans l’histoire ne sont jamais neutres. En témoignent ici les multiples procédés de minimisation de la contestation : 1. la réduction des luttes au seul foyer de la révolte étudiante, nous privant ainsi du portrait de ce que Christian Brouillard appelait « l’enchevêtrement des luttes » (étudiantes, ouvrières, indépendantistes) caractéristique de cette période ; 2. l’identification de la révolte au fait d’une « petite clique de jeunes rebelles », les autres s’étant « laiss[é·es] entraîner […] un peu par envie de se payer des vacances » ; 3. l’infantilisation générale de la contestation, œuvre de jeunes immatures en quête d’expériences tripatives (« Fidèle aux traits de leur âge, le flirt révolutionnaire d’octobre 68 prend chez eux des allures de happening collectif ») ; 4. la psychologisation de la mobilisation qui ne découlerait pas de quelque diagnostic critique, mais d’« un accès de fièvre propre à [cet] âge », d’un « besoin de crier » et de passer « des haines qui sont parfois bien personnelles et qui relèvent davantage de la crise adolescente que de l’analyse réfléchie des maux sociaux » ; 5. la secondarisation des paroles et des choix des acteur·trices au profit de déterminations sociologiques formant une conjoncture favorable à la contestation – baby-boom, crise de civilisation, bouleversements structurels, absence d’un véhicule culturel canalisant les énergies de la jeunesse, etc. – où les acteur·trices apparaissent comme des pions soumis à des forces structurelles plus importantes ; 6. la réduction des multiples manières de penser à une seule « idéologie » dite « anarchiste », notion peu rigoureuse, jamais définie, servant à amalgamer plusieurs éléments ne relevant pas d’une vision proprement politique (affects, comportements, pratiques culturelles, manières de parler, tonalités discursives) ; 7. enfin, l’emploi fréquent du sarcasme pour parler de la « révolution d’opérette » de « ces croisés de la cause révolutionnaire » qui, « suivant des recettes de guérilleros dilettantes tirées du manuel du parfait petit terroriste », « scande[nt] les mots magiques “action directe”, “démocratie directe”, “autogestion” », quand ils ne discutent pas « théorie et stratégie bien au chaud dans les cafés ». En somme, ces procédés contribuent à opérer une véritable conjuration symbolique de la révolte, analogue à celle d’un bulletin de victoire qu’un·e ministre, un·e expert·e ou un chef de police adresseraient à la population pour l’assurer que l’ordre règne là où plane le spectre de la révolte : ces « pétarades n’ont jamais réussi à inquiéter sérieusement le pouvoir ». En termes policiers : « Circulez, il n’y a rien à voir. »

Il se dégage de cet ouvrage une impression de paternalisme antigauchiste manifeste dans cette manière de souligner « l’immaturité » des « cégépiens qui, fiers d’avoir lu trois lignes du Petit Livre rouge de Mao, se croient assez lucides et savants pour donner des leçons aux adultes ». Sûr de son savoir et de ses certitudes, l’adulte ici n’accepte jamais de changer de taille, préférant plutôt donner quelques leçons : « il faut se rendre à l’évidence que la radicalisation débouche sur le vide », qu’il fallait « remettre en question l’idéologie anarchiste », etc. C’est bien ce qu’il y a de plus haïssable ici : de nous amener au cœur de la contestation pour réconforter le consensualisme mature satisfait d’avoir fait ses sages adieux à la critique politique radicale et à la révolution.

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