Jonathan Littell
Le sec et l’humide - Une brève incursion en territoire fasciste
Lu par Claude Rioux
Jonathan Littell, Le sec et l’humide - Une brève incursion en territoire fasciste, Paris, Gallimard, coll. « L’arbalète », 2008, 138 p.
Léon Degrelle (1906-1994), ce Belge francophone fondateur du rexisme – un mouvement fasciste – est un funeste personnage. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, non content de collaborer avec l’occupant allemand, il s’engage d’abord dans la Wehrmacht puis dans la SS. À la tête de la Légion Wallonie, il est envoyé sur le front russe combattre le bolchevisme. Réfugié en Espagne à la fin de la guerre, il y rédigera en 1949 un livre d’autojustification, La campagne de Russie.
C’est ce matériau qu’utilise l’auteur des Bienveillantes, Jonathan Littell, dans ce petit essai surprenant et limpide, en appliquant au texte de Degrelle une méthode d’analyse du fascisme développée par le sociologue allemand Klaus Theweleit dans Männerphantasien (Fantaisies masculines, 1977). « Le fascisme est un mode de production de la réalité », disait Theweleit, qui proposait une lecture psychanalytique non freudienne du comportement du fasciste « pas-encore-complètement-né », lequel dissimule les failles de sa personnalité « sous une carapace, une armure musculaire » fabriquée par la « discipline, l’entraînement et l’exercice physique » – le culte du sec.
Dans Le sec et l’humide, Littell analyse le discours déployé par Degrelle dans La campagne de Russie : tout, dans le fasciste, est sec, dur, turgescent, propre, droit et raide. Il doit combattre l’humidité, la mollesse, la flaccidité, la saleté et la facticité de l’univers bolchevique. Les nazis, en Russie, n’ont pas été défaits par un ennemi militaire, mais par la boue, les marais, l’informe. Il se sont vus « submergés » par la fange russe, par « des nuées de batraciens sortant des marécages ».
Dans cet univers de valeurs masculines symbolisées par la nécessité de l’érection permanente, les femmes ne peuvent qu’être saintes et mères ou rouges et putes. Dans le premier cas, elles se sacrifient et disparaissent du texte ; dans le deuxième cas, « le fasciste, afin de maintenir son Moi, [la] tue, de préférence en l’écrasant à coups de crosse et la transforme en bouillie sanglante. »
On se formalisera un peu, et avec raison, d’une définition du fascisme uniquement fondée sur la structure mentale de la « personnalité fasciste ». En effet, pour Littell reprenant les thèses de Theweleit, le fascisme n’est « pas une question de forme de gouvernement ou de forme d’économie, ou d’un système quel qu’il soit ». Cette posture, pour le moins téméraire, n’empêchera pas le lecteur d’apprécier la pertinence de cette plongée habilement menée et richement illustrée dans l’univers mental et profondément malade du fasciste, cet « homme qui accouche de lui-même en tuant autrui ».