Les nouveaux arrivants sont privés de soins

No 019 - avril / mai 2007

Règlements abusifs de l’assurance-maladie

Les nouveaux arrivants sont privés de soins

Jill Hanley

Jill Hanley

Depuis 2001 au Québec, tous les résidents permanents et travailleurs temporaires arrivant au pays doivent attendre trois mois avant d’être couverts par le régime d’assurance-maladie, une période nommée « délai de carence ». Les femmes immigrantes sont particulièrement touchées par ce délai.

Marielle (nom fictif) est venue travailler comme bonne d’enfants avec un permis de travail temporaire émis par le Programme concernant les aides familiaux résidants. Après avoir travaillé durant six semaines à son nouvel emploi, elle est tombée gravement malade. Peu de temps après, Marielle a reçu un diagnostic de cancer et a dû interrompre son travail. Bien qu’on lui ait dit qu’elle allait être couverte par le régime d’assurance-maladie provincial, elle a découvert qu’elle était soumise à une période d’attente de trois mois avant de pouvoir bénéficier de soins gratuits. Sa santé s’étant détériorée avant la fin de la période de carence, elle a dû payer des frais de soins hospitaliers, lesquels s’élevaient à des dizaines de milliers de dollars. Maintenant guérie de son cancer, Marielle a accumulé une dette qui l’empêche sérieusement de réaliser son rêve, celui de parrainer ses proches pour qu’ils puissent venir la rejoindre ici, au Canada.

Deux recherches [1] ont documenté les nombreux obstacles qui nuisent à la santé des immigrantes : de mauvaises conditions de travail, un niveau élevé de stress, des difficultés de communication avec les professionnels de la santé, la présence de stéréotypes sexuels et ethniques au sein du réseau de la santé et les obstacles linguistiques. Des formes de discrimination sont exercées à l’égard des immigrantes qui, ne pouvant trouver des emplois correspondant à leurs compétences, aboutissent dans des ateliers ou des usines. On rapporte de nombreux cas d’immigrantes âgées qui, après avoir passé des années à accomplir un travail répétitif dans de mauvaises conditions, sont forcées de quitter leur emploi, leur travail ayant détruit leur santé. Certains employeurs les harcèlent jusqu’à ce qu’elles démissionnent.

Dans le cas des Canadiennes et Canadiens d’autres provinces migrant vers le Québec, cette période d’attente cause certains inconvénients, mais ceux-ci sont rarement majeur puisque ces personnes sont encore couvertes par le régime de leur province d’origine. Ce changement a toutefois un impact important pour les immigrants internationaux qui arrivent comme résidents permanents ou comme travailleurs temporaires. À moins de souscrire à une assurance-santé à fort prix ou à couverture limitée, les nouveaux arrivants sont, dans la plupart des cas, exposés à s’endetter s’ils tombent malades durant les trois premiers mois suivant leur arrivée. Par ailleurs, cette population n’a généralement pas les moyens de payer pour des services privés. Sur les plus de 130 000 femmes qui arrivent au Canada chaque année comme immigrantes [CIC, Faits et chiffres 2005], trois quarts dépendent d’une tierce partie qui leur assure un statut. Il est donc peu probable qu’elles aient les moyens de s’offrir des soins privés.

La peur du « tourisme médical »

L’introduction de ce délai viserait à harmoniser les lois québécoises avec celles des autres provinces – l’Ontario et le Nouveau-Brunswick ayant une période de trois mois de carence similaire, tout comme la Colombie-Britannique – en vue de contrer le « tourisme médical ». Cette mesure a donc pour but d’éviter que les personnes n’abusent du système de santé en séjournant temporairement au Québec pour bénéficier de soins gratuits. Cependant, le gouvernement n’a jamais livré de statistiques ni de résultats de recherche pour justifier sa crainte du « tourisme médical ». Il n’a fourni qu’une estimation approximative selon laquelle le gouvernement aurait essuyé une perte de deux millions de dollars causée par des « abus » du système de santé (le budget consacré à la santé s’élève à plusieurs milliards de dollars) sans préciser le rôle, s’il y en a un, des immigrants dans ces prétendus abus.

Le raisonnement est peu convaincant étant donné l’effet, documenté celui-là, de « l’immigrant en bonne santé », qui indique que les nouveaux arrivants ont beaucoup moins recours aux services de santé que les individus d’origine canadienne. Non seulement les immigrants doivent-ils se soumettre à une évaluation médicale avant de pouvoir entrer au Canada, mais nombre d’entre eux évitent de demander des soins pour traiter des problèmes de santé mineurs, de peur que la société canadienne ne les considère comme un fardeau. Ils craignent que le fait d’être fichés comme des personnes malades puisse nuire à une éventuelle demande de citoyenneté canadienne.

La réaction de la collectivité

Comme il fallait s’y attendre, ce recul dans le domaine des droits des immigrants a suscité une vive réaction de la part des organismes communautaires, qui ont commencé à faire état de récits semblables à celui de Marielle. Plusieurs groupes communautaires [2] se sont opposés au délai de carence en raison de son impact sur les résidents permanents. Refusant d’accepter cette restriction inquiétante qui porte atteinte aux droits de la personne, ils demandent l’abolition du délai de carence et l’accès aux soins de santé publics pour la population entière.

Le délai de carence contrevient aux Chartes québécoise, canadienne et onusienne des droits et libertés en privant les nouveaux arrivants de leur droit à des soins de santé, et ce, sans discrimination aucune. Il contredit également les idéaux d’intégration stipulés par le gouvernements en communiquant aux immigrants le message selon lequel ils sont des citoyens de seconde zone, un sentiment qui, comme l’indiquent les études, est très répandu chez les femmes parrainées à titre de conjointes et mères [3]. Bien qu’ils soient techniquement permis par la loi, de tels délais vont aussi à l’encontre de l’esprit d’universalité et d’accessibilité enchâssé dans la Loi canadienne sur la santé.

Les groupes communautaires œuvrant auprès des immigrants dénoncent le caractère à la fois technocratique et irrationnel de cette politique. Le gouvernement affirme que le délai « épargne » deux millions de dollars, soit moins de 0,01 % du budget de deux milliards de dollars que le Québec consacre aux soins de santé. Compte tenu que cette réglementation touche 40 000 immigrants par année, les personnes concernées ne représentent que 0,6 % de la population totale. Même s’ils utilisaient le système de santé de façon « normale » – ils ne le font pas, vu l’effet de « l’immigrant en santé » déjà mentionné –, la prestation de soins de santé publics aux nouveaux arrivants ne coûterait qu’un million de dollars, tout au plus. Ces groupes rappellent également que les immigrants ne sont pas des « visiteurs » : ils s’intègrent à la société québécoise et à la collectivité canadienne et contribuent au bien-être collectif par le biais de leur labeur et de leurs impôts, et ce, dès leur arrivée. Ils ont donc droit à la même couverture dont bénéficie tout citoyen.

Pour les nouveaux arrivants, l’endettement massif dû à des soins de santé entraîne des conséquences plus graves que la perte des avoirs. Nombre de nouveaux arrivants ont quitté leur foyer principalement dans le but d’expédier de l’argent à leur famille. La perte de cette possibilité constitue un événement désastreux dans leur vie. L’obligation de payer des dettes liées à des soins de santé peut aussi retarder le parrainage d’autres membres de leur famille, une situation qui prolonge une séparation familiale douloureuse vécue par tant d’immigrants. Pour les plus de 3 000 aides familiaux résidants qui arrivent tous les ans, ces considérations influent sur leur décision de recourir à des soins de santé.

Cette mesure entraîne également des imbroglios administratifs kafkaïens : des administrations d’hôpitaux et des patients doivent faire face à des problèmes de dettes et de recouvrement de dettes, avec le harcèlement qui en découle, notamment dans un contexte où les hôpitaux sont chroniquement sous-financés. Des recherches [4] ont démontré qu’une plus grande complexification des exigences imposées afin de bénéficier de l’assurance-maladie augmente la confusion bureaucratique dans les établissements de santé, suscite de l’intolérance envers ceux n’ayant pas de carte d’assurance-maladie et augmente le taux de refus de traitement. Bien que les groupes communautaires aient obtenu que le gouvernement prévoit certaines exceptions concernant le délai imposé (notamment pour les soins prénataux, les maladies infectieuses et la vaccination des enfants), les professionnels de la santé et les bureaucrates de l’assurance-maladie ne sont pas toujours bien informés quant aux exceptions et détails de la loi, ce qui entraîne des situations encore plus difficiles pour toutes les personnes concernées.

C’est la première fois qu’on retire à toute une catégorie de gens – les nouveaux arrivants et les travailleurs migrants – le droit d’être couvert par une assurance de l’État. L’introduction de ce délai s’inscrit dans une tendance générale vers la privatisation des soins de santé québécois et canadiens, car les nouveaux arrivants – ceux qui le peuvent – sont ainsi forcés de faire appel à des compagnies d’assurance privées. De plus, le fait d’enlever à toute une catégorie de personnes des soins dont elles ont besoin entraîne des coûts pour la société canadienne, lesquels n’ont pas encore été bien cernés ni évalués.


[1J. Oxman-Martinez, J. Hanley et al., « Intersection of Canadian Policy Parameters affecting Women with Precarious Immigration Status : A Baseline for Understanding Barriers to Health », Journal of Immigrant Health, vol. 7, no. 4, octobre 2005 ; et S. Bowen, « Access to health services for underserved populations in Canada. In Certain Circumstances : Equity in and Responsiveness of the Health Care System to the Needs of Minority and Marginalized Populations », Ottawa, Health Canada, 2001, p. 1-60.

[2Notamment le Projet Genèse, le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants, l’Alliance des communautés culturelles pour l’égalité dans la santé et les services sociaux (ACCESSS) et la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

[3A. Côté, M. Kérisit et M. Côté, « Qui prend pays… L’impact du parrainage sur les droits à l’égalité des femmes immigrantes », Ottawa, Condition féminine Canada, 2001.

[4Sonia ter Kuile et al., « Universality of the Canadian Health Care System in Question : Barriers », Draft Submission, McGill University, Faculty of Medicine, novembre 2006.

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