Contribution au débat public sur les accommodements raisonnables
Des institutions laïques
par Nesrine Bessaïh
Le principe de laïcité devrait servir de point de départ à toute considération sur les accommodements raisonnables ou sur les arrangements pris par des institutions publiques ou privées et des groupes de citoyennes. Il importe cependant de définir plus précisément ce que sous-entend ce principe. Il importe également de remettre en perspective la diversité politique de toutes les sociétés humaines et d’apprendre, en tant que progressistes, à développer une solidarité avec les progressistes de toutes les origines.
Il est regrettable que la société québécoise ait attendu une période d’islamophobie pour poursuivre sa réflexion sur la non-laïcité de ses institutions. Cependant, il ne faudrait pas laisser passer cette occasion de remettre en question l’expression de confessions religieuses dans les instances gouvernementales, y inclus les religions chrétienne, juive, musulmane, raëlienne, etc. Ce faisant, il reste nécessaire de distinguer la laïcité des institutions de celle des personnes qui s’y trouvent.
Le débat au sujet du crucifix à l’Assemblée nationale offre une illustration intéressante de cette distinction nécessaire. Comment se fait-il que cette institution publique par excellence soit associée à une religion particulière ? Un gigantesque crucifix n’a pas sa place derrière le trône du président de l’assemblée. Ce n’est pas au nom d’un quelconque Dieu que se tiennent ces assemblées, mais plutôt au nom de la démocratie, de la Constitution et du peuple. Ce symbole religieux pourrait être placé ailleurs, pour le montrer aux visiteurs et évoquer l’histoire catholique de la province. Par contre, il serait inapproprié de censurer les pratiques vestimentaires des personnes qui siègent à cette assemblée. Si une députée veut porter une croix au cou par exemple ou un foulard sur la tête, il serait déplacé de le lui interdire. Il en est de même dans les écoles ou dans tous les locaux des institutions publiques et parapubliques. Il ne saurait non plus y avoir de lieu de culte dans des institutions publiques. Les églises, mosquées, synagogues et autres temples doivent demeurer des lieux communautaires ou privés.
La laïcité est un concept ayant pour but de séparer l’État de la religion et de s’assurer que l’État n’impose aucune idéologie religieuse aux citoyennes. Elle permet la liberté de culte et de confession. Elle perd tout son sens si en son nom des personnes se voient interdire la pratique de leur religion. Pire encore, elle devient la dictature de l’athéisme, ce qui n’apparait guère plus souhaitable que toute autre dictature.
Une autre question soulevée par ce débat est celle de la menace qui pèserait sur les valeurs communes fondamentales à la société québécoise. En ce qui concerne les « valeurs », il est surprenant d’entendre que l’égalité entre les hommes et les femmes soit devenue une « valeur québécoise » qui existerait comme une réalité incontestable. En effet, le Québec, qui n’a accordé le droit de vote aux femmes qu’en 1940 et qui attend toujours une femme première ministre, ou même cheffe d’un parti représenté à l’Assemblée nationale, ne laisse pas sa place en terme de traditions éminemment patriarcales. Venant de Jean Charest ou de Bernard Landry, qui ont fait de la procrastination avec la question de l’équité salariale dans la fonction publique, les professions de foi égalitaires sonnent creux. La société québécoise n’échappe pas non plus au backlash antiféministe que connaissent les sociétés occidentales. Et les médias québécois offrent une tribune plus grande que nature à ceux qui considèrent avoir le monopole de l’analyse de la condition masculine et à leurs propos haineux.
Il est regrettable que le recours aux valeurs universelles serve à opposer un « nous », qui serait dépositaire de ces valeurs, et un « eux », qui en serait privé. Il faut admettre, aussi triste que ce constat puisse être, que toutes les cultures et toutes les religions ont leurs extrémistes sexistes, xénophobes, intolérants, cruels, etc. À l’inverse, il est rassurant de penser que toutes les sociétés humaines comptent en leur sein des femmes et des hommes qui luttent pour faire valoir les droits de tous et toutes.
Mais les médias restent silencieux sur cette question. Qu’ils parlent d’ici ou d’ailleurs, ils n’offrent de tribune qu’aux idées qui divisent et qui éloignent les individus les uns des autres. Pourquoi ne pas rappeler que chacune des trois religions monothéistes reprend à son compte le livre saint de celle qui la précède ? Pourquoi ne pas souligner que le message de la Torah, de la Bible, du Coran et des enseignements de Bouddha, réduit à sa plus simple expression, revient à aimer son prochain ? Et que cet amour de son prochain entre en parfait accord avec les idéaux de justice sociale et d’équité qui animent les progressistes, qu’ils soient athées ou croyants ? Le rejet de la discrimination, de l’oppression ou de l’exploitation est une valeur qui traverse toutes les cultures de notre planète et qui est reconnue par la Déclaration universelle des droits humains. On ne manque pas de respect pour les pratiques religieuses et culturelles en refusant la discrimination, l’exploitation ou la mutilation. Le rôle d’un État devrait être de protéger toutes ses citoyennes d’abus ou de pratiques qui les verraient discriminées, opprimées ou exploitées.