Politique de la passion

No 19 - avril / mai 2007

Norman Bethune

Politique de la passion

lu par Yachar Sunal

Yachar Sunal

Norman Bethune, Politique de la passion, édité par Larry Hannant, Montréal, Lux Éditeur, 2006

Comme doté d’une force et d’une vitalité prodigieuses, Norman Bethune fascine par son parcours hors du commun, qui le mena du Montréal de la grande crise à la Chine de l’occupation japonaise en passant par l’Espagne de la révolution et de la guerre civile. Recueil le plus complet des travaux du médecin publié à ce jour, Politique de la passion permet de sonder ses côtés les plus obscurs et les moins connus : ses amours aussi passionnées que tordues, de même que ses créations artistiques. Larry Hannant a réuni dans ce volume des dizaines de lettres à Frances Penney (avec qui il s’est marié et divorcé deux fois !), des reproductions de ses principales œuvres picturales, des poèmes et des nouvelles de même que des travaux scientifiques et des émissions radiophoniques.

Norman Bethune, né en 1890 en Ontario, devient un brillant médecin, rapidement reconnu pour sa croisade contre la tuberculose après y avoir lui-même survécu. Critique de sa profession, il déclare que « [la] médecine, telle qu’on la pratique dans ce pays, est [...] un commerce basé sur la concurrence et la recherche du profit individuel. » La pratique d’une médecine honnête ne peut se détacher des questions politiques, économiques et sociales. « Il est donc fatal que la médecine présente aujourd’hui les mêmes symptômes [...] qui affectent le monde capitaliste, et qu’elle traverse la même crise que lui. » Il devient l’un des premiers médecins à appuyer l’idée d’un système médical sans but lucratif géré par l’État.

Bethune adhère au Parti communiste en 1936 et part pour l’Espagne, rejoignant les rangs des républicains en lutte contre le pronunciamiento de Franco. Lyrique, il envoie des « communiqués de Madrid » publiés dans les journaux canadiens : « La révolution des ouvriers contre les répressions économique, intellectuelle et religieuse » est le fait des Espagnols, « qui ont eu l’honneur et l’audace d’affronter [les] problèmes avec un regard plus clairvoyant, des poings plus serrés, et des cœurs plus vaillants que ceux des travailleurs du reste du monde. » Bethune y met sur pied le Servicio canadiense de transfusión de sangre (Service canadien de transfusion sanguine). Ce faisant, il invente la plupart de ses appareils, apporte des innovations dans le transport et l’entreposage du sang, contribuant encore une fois à la progression de la médecine.

Larry Hannant a pu mettre la main sur des documents inédits qui jettent un éclairage nouveau sur les raisons ayant poussé Bethune à quitter l’Espagne. Sa maîtresse à Madrid, Karjsa von Rothman, alias Gretchen, fut soupçonnée d’être une espionne pour l’Allemagne. Après un retour bref mais triomphal au Canada – à Montréal le 18 juin 1937, 9000 personnes assistent à un rassemblement de solidarité avec les républicains espagnols où Bethune prend la parole – il s’embarque pour la Chine début 1938.

Durant les deux années qui suivirent et jusqu’à sa mort, il met sa fougue au service des communistes chinois dans leur lutte contre l’occupation japonaise. Il créée des blocs opératoires mobiles qu’il transporte quasiment sur la ligne de front, met sur pied des hôpitaux de campagne, forme des centaines de médecins dans les rangs de la célèbre VIIIe armée de route dirigée par Mao Zedong et rédige un « manuel sur l’organisation et le travail des unités chirurgicales mobiles divisionnaires ». Essoufflé et isolé, mais néanmoins lucide sur les perspectives de la guerre – La guerre sera longue. Nous la voulons même très longue. Nous nous préparons à combattre au moins dix ans –, il meurt le 12 novembre 1939 à la suite d’une septicémie contractée en opérant un soldat blessé au front.

Dans « Blessures », un texte célèbre écrit en Chine enfin disponible en français, Bethune n’hésite pas à faire les liens qui s’imposent entre capitalisme et impérialisme : « Les guerres d’agression, celles qu’on mène pour conquérir des colonies, ne sont-elles donc qu’une autre façon de faire des affaires ? Tout porte à le croire, même si les instigateurs de ces crimes nationaux drapent soigneusement leurs intentions véritables dans un manteau de nobles idéaux et abstractions. Ils font la guerre pour pouvoir s’emparer de marchés par le meurtre, de matières premières par le viol. Ils trouvent moins coûteux de voler que de troquer ; plus facile d’assassiner que d’acheter. Voilà le secret de cette guerre. Le secret de toutes les guerres. Les affaires, le profit. L’argent du sang. »

Thèmes de recherche Mémoire des luttes, Livres, Asie
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