L’effet de « serres » s’accentue

No 010 - été 2005

Protocole de Kyoto et bourse de la pollution

L’effet de « serres » s’accentue

par Antoine Casgrain

Antoine Casgrain

La signature du Protocole de Kyoto pour réduire les gaz à effet de serre (GES) et le réchauffement climatique marquait une victoire du bon sens pour la survie de l’humanité face à l’irresponsabilité du capital envers la préservation de l’environnement. Or, plus les détails se précisent, plus le Protocole de Kyoto apparaît comme un pacte avec le diable. À l’encontre du principe pollueur/payeur, concept discutable certes mais néanmoins juste, le Protocole de Kyoto octroie des quotas de polluer, applicables arbitrairement selon les pays. Par le revers des choses, on voit ainsi apparaître une nouvelle marchandise sale (GES), un nouveau marché (celui de la pollution par GES), une nouvelle bourse et une nouvelle monnaie d’échange. La duperie atteint son comble quand on apprend que les grands pollueurs canadiens seront exemptés en partie par un taux de réduction moindre, le reste étant financé par les contribuables à même les fonds publics. La question se pose : si l’air est si vicié, serait-ce parce que la politique serait aussi devenue vicieuse ?

Le gouvernement fédéral a déposé le 13 avril dernier son Plan national de lutte contre les changements climatiques. Ainsi le gouvernement canadien s’est engagé à ce que notre pays réduise ses émissions de gaz à effets de serre (GES) à 6 % au-dessous du niveau de 1990. Or, en 2005, ces émissions ont augmenté de 24 %. Ne faut-il pas un effort gigantesque, voire un changement radical d’orientation économique, pour réduire de 30 % notre consommation d’hydrocarbures ?

À écouter les ministres, le plan fédéral utiliserait « les forces du marché » et assurerait « l’équité ». Où sont les incitatifs du marché ? Le Plan national ne contient que des subventions énormes pour les pollueurs et pour la construction de barrages hydroélectriques ? Le gouvernement subventionnera l’achat de droits d’émission de GES à l’étranger pour les grosses usines thermiques et les installations pétrolières. Si le prix de la tonne de carbone dépasse 15 $, l’État paiera la différence ! Actuellement, les crédits pour une tonne de CO2 se transigent autour de 23 $ dans l’Union européenne.

Et comment parler d’équité quand le groupe des plus gros émetteurs finaux (GEF) et le secteur automobile vont absorber 15 % des réductions prévues d’ici 2012, alors qu’ils sont responsables de 67 % des émissions nationales !

Le gouvernement pense-t-il vraiment réduire d’un tiers notre consommation d’énergie en subventionnant des guides de rénovation de nos maisons ? Comment est-il possible, en tant que citoyen, de relever le « défi d’une tonne » alors qu’il n’y a même pas de train efficace entre Montréal et Québec ? Alors que le transport en commun est toujours considéré comme une priorité secondaire en ville ? Alors que les produits qu’on achète sont tous arrivés sur les étalages par le camionnage « just in time » ?

Le système d’échanges de droits d’émissions

Le Protocole de Kyoto a inséré dans ses conventions la possibilité d’utiliser le système de marché pour réglementer les émissions de GES. Ce système réglementaire se veut une alternative à la réglementation uniforme et normative. Au lieu d’imposer une norme similaire pour tous les acteurs économiques, le système de marché émet un certain nombre de droits d’émissions inférieur au statu quo. Ensuite, les acteurs peuvent se les échanger à travers une bourse. Le marché privé serait donc régulateur de la dépollution globale et un incitatif à l’investissement dans les nouvelles technologies.

Dans un système fermé où on ne retrouverait que des entreprises de même taille, on peut croire que cela puisse fonctionner. Mais, dans l’ordre économique actuel, il y a fort à parier que certaines grosses entreprises rentables ne monopolisent les droits d’émission. De plus, comment va-t-on acheter des droits de polluer sur le marché mondial ? Quelle garantie avons-nous que les crédits achetés à un pays reflètent réellement des réductions ? Y a-t-il une agence internationale de contrôle ? Avec tous les scandales politiques de gestion du bien commun que nous connaissons trop bien et les fraudes crapuleuses à la Enron, assisterons-nous à un trafic mafieux de crédits de pollution ?

Nos ministres nous disent qu’ils vont payer les entreprises polluantes pour acheter des crédits à l’étranger, on peut se demander de quel marché privé il s’agit au juste ? Plutôt que de financer des achats de crédits, ne devrait-on pas financer directement les énergies alternatives chez nous ? Ne devrait-on pas encourager, voire exonérer d’impôt, les citoyens qui participent activement à cette réduction des GES ? Pourquoi ces derniers le feraient-ils si les grands pollueurs en sont exemptés et que, de surcroît, la facture d’achat de crédits de pollution est refilée à l’ensemble de la population comme l’entend le gouvernement canadien ? Pourquoi les citoyens accepteraient-ils de « subventionner » ainsi les grands pollueurs au détriment de services auxquels ils sont en droit de s’attendre ?

Essayons de voir un peu plus loin que le bout de notre nez compétitif. Quand on réduit des GES, on diminue en même temps d’autres polluants atmosphériques. Réduire le nombre d’automobiles dans nos villes, c’est également améliorer la qualité de l’air et la santé des habitantes. Si on achète des crédits à l’étranger, ne va-t-on pas se priver de tous ces bénéfices ?

« Plan de lutte » contre les changements climatiques, d’accord. Mais d’abord que le gouvernement et les principaux acteurs économiques commencent vraiment à lutter contre les industries polluantes qui forment la base de notre économie arriérée. €

Thèmes de recherche Ecologie et environnement
Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème