Crise du logement
Bâtir pour les riches, laisser les pauvres à la rue
Martin Petit et Martin Poirier
Lorsque vient le temps d’expliquer la pénurie actuelle de logements, les ardents défenseurs du « libre marché » s’en prennent à la réglementation et les interventions étatiques. Quand ils ne demandent pas tout simplement la mise à mort de la Régie du logement, ils attaquent la réglementation dans le domaine de la construction. Tous les arguments avancés pour défendre le droit des proprios au profit et à la propriété privée ont largement été repris dans les médias dominants.
Les lobbies de droite réclament carrément l’abolition des règles sur la fixation des loyers. Selon eux, le coût des logements est trop bas au Québec ; l’État devrait laisser le « marché » agir et n’a donc pas à intervenir dans la fixation du coût d’un logement. Pourtant les statistiques administratives publiées par la Régie du logement indiquent que seulement 1,1 % des logements a fait l’objet d’une demande en fixation de loyer en 2002-2003. Selon les statistiques disponibles, le coût des loyers demeure plus faible à Montréal qu’ailleurs dû à des coûts inférieurs en énergie, en taxes foncières, à une fiscalité favorable et non à cause d’une législation empêchant l’augmentation des loyers.
L’argument selon lequel la règle de fixation des loyers empêcherait la construction d’unités neuves ne tient pas la route puisque ces règles ne s’appliquent pas aux logements neufs et ce, pour une durée de cinq ans. Toutefois, le régime actuel de fixation des loyers permet des hausses de loyer mais non l’inverse, ce qui défavorise les locataires. Les propriétaires peuvent conserver des hausses de loyer permanentes qui, en cas de baisse des coûts, ne sont pas annulées ou réduites.
En ce qui a trait aux réparations et améliorations majeures, la méthode de fixation des loyers actuelle avantage les propriétaires de trois façons. Tout d’abord, elle ne tient pas compte de l’impact fiscal des dépenses de réparations majeures qui sont déduites entièrement durant l’année où elles ont été encourues. Deuxièmement, l’augmentation générée par les réparations sert de base au calcul des augmentations subséquentes. Enfin, la méthode d’indexation du revenu net appliquée par la Régie du logement considère le marché immobilier comme étant strictement à la hausse. Dans le calcul de fixation des loyers, l’augmentation automatique du revenu net vient ainsi accroître la valeur de la propriété. Par conséquent, l’approche retenue par la Régie entretient et légitime la spéculation sur un bien essentiel, le logement locatif.
La réglementation dans le domaine de la construction
Contrairement à ce qu’avancent les lobbies de droite, les coûts de construction résidentielle ne sont pas plus élevés qu’ailleurs au Canada Selon Statistique Canada, relativement au coût moyen de construction par unité de logement en 2002, le Québec occupait le 6e rang, l’Ontario le 3e et la Colombie-Britannique le 1er, la moyenne canadienne se situant à 82 459 $, soit près de 11 000 $ de plus qu’au Québec.
La remise en question des règles relatives à la construction des bâtiments pose de sérieuses questions, surtout si l’on considère que la réglementation actuelle n’empêche déjà pas la construction d’unités de logements de qualité douteuse ou mettant en danger la sécurité des personnes.
Les particularités du marché immobilier résidentiel
La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) considère qu’un marché est en pénurie lorsque le taux d’inoccupation est inférieur à 3 %. La pénurie de logements dont nous sommes témoins ne touche pas seulement le Québec, puisque 61 % des principales villes canadiennes recensées en octobre 2003 par la SCHL affichaient un taux inférieur à 3 %. Ces données confirment que la pénurie de logements n’est pas causée par un contexte propre au Québec, province où le gouvernement exerce certains pouvoirs concernant le logement locatif, mais plutôt par une multitude des facteurs complexes plus larges.
Le marché immobilier résidentiel présente trois caractéristiques essentielles qui expliquent la pénurie actuelle de logements :
• les constructeurs privilégient les constructions les plus rentables ;
• les ménages fortunés ont une capacité de substitution élevée comparativement aux ménages pauvres, ceux-ci faisant les frais, plus que tout autre groupe, d’une pénurie de logements ;
• les déséquilibres sur ce marché prennent beaucoup de temps à se résorber en raison des longs délais de réponse des entrepreneurs.
Même si certains avancent que l’état des finances des ménages canadiens s’est amélioré, ce qui leur permet d’assumer désormais des loyers plus élevés, Statistique Canada indique que l’inégalité de richesse a augmenté au Canada entre 1984 et 1999. La Fédération canadienne des municipalités arrive également au même constat mais souligne que cette augmentation des inégalités est plus importante et plus apparente en milieu urbain, là où les pénuries de logements perdurent.
Toujours selon la SCHL, en octobre 2003, le taux d’inoccupation des logements haut de gamme était à 3,5 %, ceux de moyenne gamme à 1,2 % et ceux de bas de gamme à 0,4 %. C’est donc dire que seul le marché haut de gamme n’était pas en situation de pénurie à cette période.
Le choix des constructeurs a également accentué la pénurie, car la proportion de logements destinés à un propriétaire occupant (condo par exemple) s’est considérablement accrue au détriment du marché locatif. Ainsi la part de logements mis en chantier pour des propriétaires occupants est passé de 55 % en 1986, à un peu plus de 80 % en 1999.
La rentabilité pour les propriétaires
Plusieurs intervenants dans le domaine de l’immobilier ont avancé la faible rentabilité de la construction de logements locatifs pour justifier leur retrait de ce secteur, s’appuyant notamment sur une étude réalisée par la firme Raymond Chabot Grant Thorton. Toutefois, en questionnant certaines prémisses de cette étude, nous sommes arrivés à des conclusions fort différentes.
Selon notre scénario le plus pessimiste, seule la construction d’immeubles à haute densité en banlieue offre un rendement inférieur à 8 %. Les autres constructions présentent une rentabilité supérieure à 8 % et la plus rentable – la construction d’immeubles à faible densité au centre-ville – offre même un rendement de 15,5 %. Selon notre scénario optimiste, tout les types de construction sont rentables, les taux variant entre 10,2 % et 18,7 %. Ce n’est donc pas à cause de la faible rentabilité des logements locatifs que ce type de construction est abandonnée mais plutôt parce que d’autres types de bâtiments affichent une rentabilité supérieure.
En conclusion, on peut affirmer que la pénurie de logements locatifs n’a pas été causée par le contrôle des loyers, ni par la législation comme l’ont avancé certains groupes, mais bien par différents facteurs conjoncturels. Le marché immobilier est sujet à de forts déséquilibres qui tardent à se résorber et dont les principales victimes sont les plus démunis. C’est pourquoi, face à ces constats implacables du marché immobilier, une intervention publique est requise, voire nécessaire, pour garantir l’accès au logement à tous.
Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)