Serge Latouche, Serge Mongeau et al.
Objectif décroissance. Vers une société viable
lu par Alain Marcoux
Collectif, Objectif décroissance. Vers une société viable, Écosociété, Montréal, 2003.
Cet ouvrage collectif est le fruit de recherches menées par la revue Silence, un mensuel français de Lyon voué au débat autour des idées de l’écologie, des alternatives et de la non-violence. Tous les auteurs sont Européens, très majoritairement Français, à l’exception du Québécois Serge Mongeau, membre fondateur de l’Institut pour une écosociété et auteur de La simplicité volontaire.
Ce livre vise notamment à donner une suite aux travaux de l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), fondateur méconnu de l’économie écologique. Au cœur de l’écologie politique, la contestation de la croissance économique, développée au cours des années 70, constituait une rupture radicale avec l’ordre capitaliste et fut vite abandonnée par les instances internationales, nos gouvernements et des secteurs du « mouvement écologiste » au profit du concept de « développement durable » plus respectueux de l’ordre libéral, vaine tentative de conciliation entre capitalisme et écologie. Pour Serge Latouche, professeur à l’Université Paris-Sud, « comme la guerre propre, [la] mondialisation à visage humain, [l’] économie solidaire ou saine, le développement durable est une antinomie ».
Pour Mauro Bonaïuti, économiste de l’Université de Modène, « Georgescu-Roegen, le père de la bioéconomie, a été le premier à présenter la décroissance comme une conséquence inévitable aux limites imposées par les lois de la nature ». « La croissance c’est produire plus ; le développement c’est produire autrement », nous rappelle Jacques Grinevald, philosophe à l’Université de Genève. Joseph A. Schumpeter (1883-1950), le maître de Georgescu-Roegen à Harvard (en 1934-1936), distinguait déjà d’ailleurs croissance et développement.
Ne confondant pas croissance et développement, disciples et élèves de Georgescu-Roegen affirment « qu’il ne peut plus y avoir à l’échelle écologique globale du “monde fini” de la biosphère, de croissance mondiale durable ». Dans cette perspective, la lecture de ce livre nous fait apparaître clairement que l’économie mondiale doit être subordonnée à certaines limites écologiques globales qui sont liées à la « capacité de charge des écosystèmes », à l’intégrité de la biodiversité, à l’équilibre du système climatique du globe, en somme au respect de la santé et de la stabilité dynamique (le système de la terre) de la biosphère. Soulignons aussi l’intérêt des remarques de Bruno Clémentin et Vincent Cheynet, selon lesquels « les économistes ultralibéraux comme les néomarxistes ont éliminé de leurs raisonnements le paramètre nature, car trop contrariant ». Pour l’école bioéconomique, explique Grinevald, la pensée économique doit retrouver son inspiration première, qui se situait historiquement au voisinage des sciences de la vie, de la physiologie et de l’agronomie notamment.
Bref, il s’agit d’un ouvrage fort important en ces temps de tergiversations et de reculs en ce qui a trait au respect de l’accord de Kyoto. La première partie de l’ouvrage, portant sur le cadre théorique de la bioéconomie de Georgescu-Roegen, peut être d’un apport fort utile à ceux et celles qui veulent dépasser les frontières de la « sensibilité environnementale » et s’armer d’une grille d’analyse cohérente et globale. Ce livre a aussi le mérite, dans la seconde partie portant sur des expériences de décroissance durable, de ne pas tomber dans le travers des approches « localistes personnalisantes ».