Débats politiques
Le mouvement communautaire dans les mailles des regroupements
Le mouvement d’action communautaire autonome, composé à la base de militantes et de militants, a puissamment contribué aux avancées sociales des quarante dernières années au Québec. Bien que son apport demeure encore largement sous-estimé, ce mouvement est sans conteste l’un des acteurs sociaux les plus importants et parmi les plus progressistes du Québec. Mais selon Bertrand Loiselle, celui-ci ferait aujourd’hui bien mauvaise figure : les groupes lorgnant de plus en plus vers la prestation de services, et ce, au détriment de leur mission de transformation sociale. Point de vue d’un militant sur les causes de ce glissement.
Les groupes communautaires autonomes sont des lieux démocratiques d’aide, d’échange, d’éducation et de luttes. Selon les besoins, les champs d’intérêt, la conjoncture et l’endroit, ils ont pris une place importante dans une panoplie de secteurs. Aujourd’hui par contre, on déplore le glissement des groupes communautaires vers la simple prestation de services. Le capitalisme a beau générer de plus en plus d’inégalités, le mouvement communautaire s’éloigne de sa « mission de transformation sociale », les services prenant le dessus sur l’éducation populaire, les revendications et la mobilisation. Les raisons de ce glissement sont multiples. Au nombre de celles-ci : la lourde et opaque toile des regroupements communautaires autonomes.
Le rôle des instances politiques dans les organisations de masse (étudiantes, syndicales, communautaires, etc.) est au cœur de l’appréciation qu’on porte sur un mouvement. Là comme ailleurs, on nous dira que les associations appartiennent à leurs membres et qu’on ne peut aller plus loin que ce qu’ils désirent… Mais encore faut-il se rendre jusque-là ! C’est là un constat sévère, certes, mais l’immobilisme actuel des regroupements communautaires fait partie des problèmes que vivent les groupes communautaires autonomes qui ont perdu le contrôle démocratique de leurs instances.
Deux cent cinquante regroupements
Il y aurait environ 250 regroupements pour 4 000 groupes. À ce nombre extraordinairement élevé s’additionnent des fédérations de secteurs, des supra-regroupements, des coalitions ad hoc et des mouvements nationaux de tout ordre.
D’un point de vue académique, on ne trouve ni livre ni document, ni même personne qui puisse présenter adéquatement le portrait du mouvement communautaire. Trop compliqué... Dans le milieu, on se gargarise souvent que la force du mouvement repose sur sa diversité. Peut-être, mais si on s’amuse à trouver plus de différences entre les groupes que de points communs, on met le pied dans un gigantesque piège.
Il est fréquent que des groupes soient officiellement représentés par plusieurs regroupements dans les mêmes instances avec des mandats différents… Cela pose de sérieux problèmes démocratiques : légitimité des mandats, confusion pour les groupes de base et immobilisme inévitable.
Dans la même veine, il est consternant d’apprendre que les porte-parole du mouvement ne sont pas élues, sauf à de très rares exceptions. Ces personnes sont, la plupart du temps, des employées de conseils d’administration, lesquels sont eux-mêmes composés de salariées de regroupements… C’est ainsi que de nombreuses têtes dirigeantes sont en poste depuis 10 ou 15 ans, et même plus. Un vaste mouvement, un bien petit milieu.
À tribord la critique et la contestation !
Une situation symptomatique s’est développée depuis les sept ou huit dernières années. Avec l’arrivée du courrier électronique, les groupes communautaires sont inondés quotidiennement de rapports, de comptes rendus et de revues de presse. Le côté malsain de cette situation est qu’on a l’impression d’être bien informé. Jamais quantité et qualité n’ont cependant été aussi dissociées. On a beau chercher, fouiller et gratter, les analyses, perspectives et mots d’ordre dignes de ce nom se font rares.
Dans tout ce que publient les regroupements, on est avare d’analyse politique. Comment se porte véritablement notre cause sectorielle ? Quel est le contexte global dans lequel elle se situe ? Peut-on faire des liens entre notre cause et d’autres ? Des textes aseptisés. Pour un mouvement composé à 80 % de femmes, le mot patriarcat semble oublié et le mot capitalisme, aboli du dictionnaire… À part les mentions galvaudées du terme mondialisation, on parle rarement en termes clairs et revendicatifs des conditions de vie de la population et des moyens de l’améliorer. On semble oublier que faute de critiquer le système, on le reproduit… Ce manque de contestation nous rend de plus en plus frileux avec les politiciens. Affirmer clairement et fermement nos revendications semble désormais tenir de la manifestation radicale !
Une absence de solidarité
La solidarité fait cruellement défaut entre les regroupements. On est plutôt en présence d’un corporatisme fermement ancré. Pour cacher le manque de solidarité, on se convainc mutuellement que les gains des uns n’enlèvent rien aux autres. Pourtant, dans la réalité, la reconnaissance et le financement des groupes communautaires varient considérablement selon les secteurs ainsi qu’entre les groupes de Montréal (où sont concentrés les regroupements et la majorité de leurs membres) et ceux du reste du Québec. Que fait-on donc de la cause globale de l’autonomie et du développement des groupes communautaires autonomes ? L’exemple des groupes en environnement est triste à cet égard.
Chacun de leur côté, les regroupements tentent de négocier un meilleur financement pour leurs membres. On entend plusieurs d’entre eux affirmer qu’il ne « faut pas cracher dans la main qui nous nourrit ». Quelles concessions fait-on ainsi sur l’autonomie ? Quelles seront les conséquences pour les autres secteurs ? Tabou ! Dans les faits, les regroupements se posent en concurrents les uns par rapport aux autres.
Les éternelles tergiversations des regroupements à propos de la politique gouvernementale de reconnaissance de l’action communautaire (adoptée par le Québec en 2001) et de sa mise en œuvre sont très révélatrices quant au manque de solidarité et… de cohérence. On revendique une politique de l’action communautaire autonome, mais dans les faits, on hésite à véritablement défendre l’action communautaire autonome, comme on le voit dans les différentes négociations actuelles avec le ministère de la Santé et des Services sociaux et le Secrétariat à l’action communautaire autonome (c’est quand même rigolo que le Secrétariat porte le mot autonome dans son nom !). Si les gains des uns n’enlèvent rien aux autres, alors pourquoi alors être regroupés ? À chacun son dossier, à chacun sa cause ?
Les énergies des regroupements ne sont pas investies dans les causes communes. Ça crève les yeux : Réseau de Vigilance, Comité aviseur de l’action communautaire autonome, appels pour lutter contre la loi 57, etc. Autant d’occasions où leur participation active fait défaut.
Le gouvernement s’apprête à privatiser le droit associatif (cadre légal des OBNL) : profitons de l’occasion pour mener une vaste campagne publique, nationale et unitaire en faveur de l’action communautaire autonome. Il y a beaucoup à faire pour valoriser la vie associative, les valeurs démocratiques, les pratiques novatrices, l’éducation populaire et tout ce que représente l’action communautaire autonome. Un tel geste des regroupements serait plus que bienvenu !
Le refus de mobiliser
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la mobilisation est la hantise des permanences de regroupements. Leur conception du rapport de force est bien étrange. Dans cette jungle mercantile, qui peut soutenir sans rire que des représentations auprès des gouvernements, de quelque nature que ce soit, peuvent donner des résultats sans un réel rapport de force ?
Le mouvement communautaire a-t-il un poids économique ? Peut-il faire des grèves ? A-t-il les moyens de payer de vastes campagnes publicitaires ? A-t-il les moyens et les contacts pour concurrencer le lobby des organisations plus imposantes ? Croit-on que la seule justesse de nos arguments puisse véritablement marquer des points ?
La force du communautaire est le nombre, son ancrage, sa solidarité (potentielle !). Alors, toutes les manifestations de cette solidarité doivent être encouragées. Il faut s’afficher en gang, se faire voir et entendre. Le problème, c’est qu’on refuse de le faire.
Naturellement, la mobilisation ne peut pas être l’affaire que des seules permanences des regroupements. Ceux-ci ont des centaines de permanents politiques qui travaillent dans le centre-ville de Montréal, mais il ne s’en trouve qu’une toute petite poignée pour participer aux appels à tenir un comité d’accueil lorsque Jean Charest se présente à un dîner de la Chambre de commerce. Les groupes sont de moins en moins militants et il y a de moins en moins de militantes et de militants dans les groupes. Le mauvais exemple vient peut-être d’en haut !
Il y a quelques exceptions, notamment celle du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Ce qui est frappant avec le FRAPRU, c’est qu’il s’agit d’un des plus petits des 250 regroupements, avec moins de trente organismes membres. Pourtant, c’est de lui dont on entend le plus parler !
Vite le réveil !
Malgré la conjoncture perpétuellement difficile – ou à cause d’elle –, il est impératif qu’un véritable débat se produise sur l’organisation politique des groupes communautaires autonomes. On ne peut plus faire l’économie de cette réflexion. Une des pistes de solutions réside peut-être dans l’union sur des bases politiques , nationales et unitaires de groupes communautaires. Une proposition circule à cet effet depuis l’automne 2003 à la suite de discussions de la part de groupes de la Montérégie.
Les regroupements doivent se secouer les puces. Nous avons besoin d’un véritable mouvement communautaire autonome, qui analyse, qui propose, qui bouge, enfin qui assume véritablement son mandat de transformation sociale. Le mouvement communautaire doit sortir de sa torpeur et devenir une force importante dans le discours social au Québec. C’est le rôle des regroupements de réveiller les troupes et de mettre des perspectives de l’avant. Les dernières années ont démontré que les mots d’ordre clairs et soutenus en faveur des droits sociaux pouvaient fortement rallier. Encore faut-il donner le signal !
Vite que sonne le réveil !