Chronique économie
La fameuse dette
par Gaétan Breton
L’obsession que le précédent gouvernement péquiste a introduite au sujet du déficit zéro s’appuyait sur une psychose de la dette considérée comme un monstre en train de dévorer tranquillement le budget du Québec et, avec lui, nos programmes sociaux. Évidemment, comme il est de mise dans les opérations de panique, on lance à la population des chiffres énormes qu’on s’empresse de désagréger pour mieux écraser chaque enfant qui naît du poids des errements de ses aînés.
Ce mouvement se retrouve partout dans le monde, sauf peut-être aux États-Unis qui accumulent déficits après déficits sans avoir l’air de sourciller et sûrement pas pour financer des programmes sociaux qui n’existent que parcimonieusement chez nos voisins du sud. Sous prétexte de réduire les déficits et la dette, c’est en fait aux services sociaux que l’on s’attaque en tentant de nous faire croire qu’ils en seraient la cause.
Les sortes de dettes
Il existe deux types d’emprunt pour un gouvernement. Le premier sert à payer les dépenses courantes, ce que l’on appelle familièrement « payer l’épicerie ». De tels emprunts démontrent un niveau de dépenses supérieur aux revenus courants. Le second type d’emprunt sert à financer la construction d’infrastructures. Les municipalités fonctionnent aussi de cette façon. Quand Mario Dumont, ou à peine plus subtilement Bernard Landry, tentent de vous faire accroire qu’il faudrait ramasser notre argent avant de construire les infrastructures publiques, ils gèrent le budget de l’État comme le budget familial et aveuglent la population avec le mythe du « bon père de famille ».
Dans une famille, les parents sont heureux de laisser quelque chose à leurs enfants, mais dans la société, il en va un peu autrement. Si on fait payer aujourd’hui les gens pour un centre sportif que l’on construira demain, ceux qui vont payer n’auront pas l’avantage et ceux qui auront l’avantage ne paieront pas. C’est pourquoi le gouvernement va plutôt faire un emprunt réparti sur la durée de vie du bien (disons 50 ans pour notre centre sportif) et quand l’emprunt sera remboursé, le temps sera venu d’en construire un nouveau. Ainsi, ceux qui auront payé sont ceux qui en auront eu l’usage.
En 2002-2003, les emprunts nets, incluant Hydro-Québec et les municipalités, ont été de 2,9 milliards $ alors que les investissements ont été de 8,9 milliards $, ce qui fait que nous sommes loin d’emprunter pour payer l’épicerie, nous utilisons plutôt l’argent de l’épicerie pour agrandir la maison.
Les éléments de la dette
En 2003, le total de la dette aurait été de 108,6 milliards $, au 31 mars. Nous en serions maintenant à 114 milliards $ ou un peu plus.
Ces 108,6 milliards $ se répartissaient ainsi :
– Fonds consolidé du revenu : 64,8 milliards $
– Organismes consolidés : 5,4 milliards $
– Sous-total : 70,2 milliards $
– Passif au titre des régimes de retraite : 38,4 milliards $
– Dette totale : 108,6 milliards $
Le passif au titre des régimes de retraite ne peut pas être remboursé aujourd’hui, même si nous le voulions. Ce sont des pensions futures à payer. Or, quand bien même Mario Dumont, encore lui, voudrait que nous mettions de l’argent de côté pour les payer quand le moment sera venu, nous nous retrouverions face au même problème qu’avec notre centre sportif. En ce moment, nous payons les pensions des bénéficiaires actuels. Si nous devions faire en plus des provisions, ça voudrait dire que les citoyens actuels devraient payer les pensions actuelles et les pensions futures en même temps. Les 38 milliards $ constituent une dette à venir qui n’est d’ailleurs comptabilisée que depuis quelques années, ce qui a fait monter d’un seul coût la dette d’un montant appréciable et ouvert la porte à bien des discours démagogiques.
Dans les 70 milliards $ qui restent, plus de 5 milliards $ ne constituent pas une dette mais, en fait, tout le contraire. Ce sont des bénéfices des sociétés d’État qui n’ont pas été encaissés par le gouvernement. À cause de pratiques comptables qu’il serait fastidieux de décrire ici, on les ajoute à la dette. Il reste donc autour de 65 milliards $ de vraie dette.
Qui sont nos créanciers ?
La dette du Québec est libellée dans les dénominations suivantes :
– Dollars canadiens : 80,1 %
– Dollars US : 4,1 %
– Yens : 12,2 %
– Francs suisses : 3,6 %
La partie de la dette libellée en dollars canadiens est ainsi détenue par des Canadiens et, vraisemblablement, majoritairement des Québécois. Cette dette se transige notamment à travers Placements Québec et est constituée d’obligations d’épargne que les gens utilisent pour placer leur fonds de retraite. Cette dette est donc détenue, souvent en quantité assez réduite, par une grande partie de la population.
Ajoutons que tous les Solomon Brothers ou Standard and Poors de la planète n’ont pas une grande influence sur cette partie de la dette. Donc, le gouvernement du Québec doit très majoritairement sa dette aux Québécois, qui ne sont pas près de venir le saisir parce que les obligations sont constamment remplacées lorsqu’elles arrivent à échéance. Les fameuses cotes de crédit dont on nous rebat les oreilles à longueur de bulletins de nouvelles n’ont pas une si grande importance dans l’ensemble. Un citoyen du Québec ne va pas vendre ses obligations à perte parce que la cote de crédit du Québec vient de baisser à New York. Si les médias ne lui en parlaient pas avec insistance, il ne le saurait même pas.
De plus, chaque fois que le gouvernement paie les intérêts sur la portion de la dette qui est détenue par des Québécois, il récupère une partie de ces intérêts en impôts, immédiatement ou plus tard. En conséquence, les taux d’intérêts avantageux consentis par Placements Québec ne coûtent pas si cher au gouvernement.
Dette ou pas dette ?
Il est difficile de dire si nous devons avoir une dette ou pas. Il est clair que les années au cours desquelles le Québec s’est vraiment développé ne sont pas celles qui ont généré le plus de dette et que les années de constriction en ont, étonnamment, produit plus. C’est au moment où les services sociaux ont commencé à être remis en question que la dette a flambé. N’allons donc pas trop vite à associer services publics et dette. Tous les abris fiscaux et toutes les subventions données aux entreprises peuvent être accusées d’avoir creusé le déficit probablement plus encore que les services publics. De toutes manières, c’est le rôle de l’État d’assurer les services publics, parmi lesquels figurent les services sociaux, alors que ce n’est pas son rôle de renflouer les entreprises.