Brève histoire de l’éducation sexuelle
par Anne St-Cerny
Les actions pour la reconnaissance de l’éducation sexuelle comme droit collectif n’ont pas débuté avec les années 1970. Plusieurs réalités ont influencé, et influencent encore, la vie des femmes et des hommes en matière de santé sexuelle et reproductive : les découvertes scientifiques, les lois, l’accès à l’éducation, la classe sociale, la religion, le financement de certains services, etc.
Des milliers de personnes ont enfreint les lois canadiennes adoptées en 1869 et en 1892 qui rendaient illégaux l’avortement et la vente de produits contraceptifs ou abortifs. Toute diffusion d’information liée à la contraception, à la sexualité et aux méthodes contraceptives se faisait à travers des réseaux informels. En 1936, par exemple, Dorothea Palmer, une infirmière ontarienne, a été poursuivie pour avoir organisé des assemblées de cuisine sur la sexualité et la contraception. Son acquittement a contribué à renforcer l’activité des réseaux informels de diffusion d’informations sur la sexualité. Il est intéressant de souligner au passage que Dorothea Palmer s’inscrivait dans un mouvement issu des classes aisées et dont les motivations premières à promouvoir la contraception étaient de contenir l’expansion des classes populaires.
Au Québec, ce sont surtout les milieux anglophones qui rendaient accessible une certaine éducation sexuelle autour de méthodes contraceptives comme la « capote anglaise ». Cette réalité s’est un peu transformée avec l’implication de Rita et Gilles Brault dans l’organisation des assemblées de cuisine sur le cycle menstruel et la méthode sympto-thermique. Il ne faut pas oublier que les francophones étaient sous l’influence de l’Église catholique, qui soutenait qu’il ne pouvait y avoir de sexualité hors du mariage, interdisait toute forme de contraception et ne voyait qu’une utilité à la vie sexuelle des couples mariés : faire des enfants.
En 1969, après plusieurs années d’actions collectives et de lobby, le Canada adopte le Bill Omnibus qui, entre autres, décriminalise l’information et la vente des moyens de contraception, permet l’avortement si un comité d’avortement thérapeutique évalue que la santé de la mère est en danger et accepte la sexualité hors mariage entre adultes consentants à partir de 16 ans pour les hétérosexuelles et de 18 ans pour les homosexuelles.
Au Québec, cette adoption marque le début de nombreuses actions pour la mise en place de conditions réelles d’actualisation et de modification de cette loi. Par exemple, le Front de libération des femmes traduit le document Pour un contrôle des naissances ; le Centre de planning familiale du Québec et de Montréal ainsi que l’Association de planning des naissances de Montréal mettent en branle un programme de formation qui permettra à plus de 2 000 travailleurs et travailleuses de la santé d’acquérir des connaissances et des compétences dans le domaine de la sexualité et du planning des naissances ; la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) revendique auprès du ministère de la Famille et du Bien–être du Québec et du ministère de l’Éducation des services d’éducation sexuelle et de planning des naissances.
En 1972, le gouvernement du Québec adopte sa Politique de planification familiale. Cette politique prévoit une injection de fonds pour la mise sur pied de services de planning dans les CLSC et dans les centres hospitaliers ainsi que la création d’un programme de prévention en matière de sexualité dans les écoles aux niveaux secondaire, collégial et universitaire. À la fin des années 1970, malgré l’opposition portée surtout par l’Église catholique, la lutte pour la contraception menée par les groupes de femmes et les groupes progressistes a fait son chemin : des méthodes contraceptives sont utilisées par la majorité des femmes québécoises. Mais la lutte pour l’éducation sexuelle à l’école et dans les CLSC rencontre encore beaucoup de résistances. En effet, l’Association des parents catholiques mobilise ses membres et une bonne partie des Églises pour empêcher l’implantation du programme de formation personnelle et sociale (FPS) qui comporte un volet d’éducation à la sexualité. La FQPN fait alors circuler une pétition, L’éducation sexuelle : une responsabilité sociale, qui recueille des milliers de signatures. Finalement, en 1985, le programme est implanté dans les écoles primaires et secondaires.
Parallèlement, le gouvernement québécois a débuté sa remise en question du système de la santé et des services sociaux. Ainsi, à partir de 1985, le gouvernement cesse d’octroyer des budgets protégés aux services de planning des naissances et de sexualité et décide de revoir sa politique de planning des naissances afin de l’adapter aux nouveaux besoins de la population. Ces décisions ont un impact rapide sur l’accessibilité des services d’éducation sexuelle en CLSC et en centres hospitaliers et le financement des projets d’éducation sexuelle des organismes communautaires est réduit.
En 1995, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec publie Les Orientations ministérielles en matière de planning des naissances. Malgré les protestations des groupes communautaires et des personnes travaillant dans le domaine, peu de place est faite à l’éducation sexuelle, sinon comme un moyen de prévention de la grossesse à l’adolescence et des maladies transmises sexuellement. Il en va de même pour le volet éducation à la sexualité du programme FPS du ministère de l’Éducation qui, faute d’une formation adéquate des enseignantEs, est axé sur la prévention de la grossesse à l’adolescence et des maladies transmises sexuellement. Ce programme a été remplacé par la mise en place graduelle de la réforme du ministère de l’Éducation au début des années 2000.
Les gains en matière d’éducation sexuelle réalisés durant la décennie 1980 se sont tranquillement érodés au cours des dernières années. Les enjeux soulevés par la pétition que la FQPN avait fait circuler en 1985 restent toujours d’actualité.
Fédération du Québec pour le planning des naissances