L’éducation sexuelle dans le cadre de la réforme scolaire
Sommes-nous en train de nous faire baiser ?
par Nathalie Parent
Avec la mise en place de la réforme scolaire, l’éducation sexuelle ne fait plus partie des cours obligatoires et est devenue une « discipline interdisciplinaire ». Dès lors, plusieurs personnes ont décrié la disparition de l’éducation sexuelle dans les écoles. Bien que cette affirmation ne soit pas exacte, la place de l’éducation sexuelle à l’école depuis la réforme demeure tout de même source de questionnements et d’inquiétudes.
Avant…
Dans le contexte actuel de surenchère sexuelle, de banalisation de la sexualité et de désinformation de tout acabit, l’importance de l’éducation sexuelle à l’école n’est plus à démontrer. Déjà en 1976, le Conseil supérieur de l’éducation reconnaissait la nécessité de faire l’éducation sexuelle à l’école, ce qui donna lieu à la création du programme de Formation personnelle et sociale (FPS) et à son implantation dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Avec ce programme, les élèves recevaient l’équivalent de cinq heures d’éducation à la sexualité pendant l’année. La qualité de l’enseignement reçu reposait sur les professeurs. Si ces derniers étaient compétents, motivés et dynamiques, les jeunes avaient ainsi l’occasion de discuter intelligemment de sexualité. Si, au contraire, ces enseignants étaient embêtés par cette tâche ou disaient des aberrations, les jeunes en subissaient les conséquences (Québec, 2003). En outre, ce ne sont pas tous les enseignants qui abordaient la question et peu de commissions scolaires appliquaient la totalité du programme FPS.
Ce programme n’était donc pas un idéal en terme d’éducation sexuelle. Il a été critiqué pour son approche axée sur les aspects problématiques de la sexualité et se résumait à quatre thèmes principaux : puberté, relations sexuelles, contraception et infections transmises sexuellement. Pour madame Francine Michaud de la Direction de la santé publique de Québec, la grande faiblesse de ce programme résidait dans le « manque de formation destinée aux enseignants qui n’avaient pas toujours les bonnes connaissances ou n’adoptaient pas toujours une bonne attitude ». Pourtant, avec la réforme, c’est maintenant tout le corps professoral qui est mis à contribution afin de dispenser l’éducation à la sexualité, sans pour autant que ce dernier soit davantage formé pour ce faire.
Et maintenant…
Depuis 2001, le nouveau Programme de formation de l’école québécoise considère l’éducation sexuelle comme une « discipline interdisciplinaire ». Ainsi, l’éducation à la sexualité ne relève maintenant plus d’une seule matière ou d’un seul intervenant, mais devient la responsabilité d’un ensemble de partenaires. Basée sur une approche de pédagogie par projet, on invite aussi les jeunes à faire des projets-école qui ont pour but d’approfondir un sujet en lien avec diverses disciplines et qui pourraient porter sur la sexualité.
Ainsi, il serait possible, dans le cours d’anglais, d’inviter les élèves à analyser le contenu d’une vidéoclip afin de repérer des stéréotypes sexuels et des messages sexistes, notamment au regard de la séduction. On pourrait aussi, dans le cours de science et technologie, amener l’élève à évaluer les facteurs de risque associés à différents comportements liés à la sexualité. On pourrait, dans le cours d’enseignement moral, discuter avec les élèves des enjeux moraux liés à la consommation en matière de sexualité en collaboration avec un professionnel provenant de l’extérieur. Et, avec l’infirmière scolaire, une visite pourrait être organisée à la clinique jeunesse du CLSC en vue de s’informer sur les services qui y sont offerts [1].
Ainsi, en théorie, la réforme semble très intéressante en matière d’éducation à la sexualité. La sexualité humaine étant multidimensionnelle, il est effectivement préférable de pouvoir l’aborder dans son ensemble et d’amener les jeunes à développer leur sens critique face aux différentes facettes de la sexualité. Pour Francine Duquet, professeure au département de sexologie de l’UQAM, « L’éducation sexuelle n’est pas qu’un contenu à passer, cela doit faire partie d’une démarche globale. »
Les obstacles
Cependant, le problème principal ne réside pas tant dans l’approche que dans son application. Cette approche exige en fait une concertation importante de la part d’un grand nombre d’intervenants. Elle nécessite que la direction joue un rôle majeur dans le développement d’une démarche concertée et que les conseils d’établissement accordent à l’éducation sexuelle une place importante. Les commissions scolaires doivent dégager le financement nécessaire afin de former leur personnel. Or, les conseillers pédagogiques en ont déjà plein les bras avec la formation aux domaines d’apprentissage (autrefois mieux connus sous le nom de matières scolaires). Il y a toujours eu de la résistance concernant l’éducation sexuelle à l’école et ce n’est pas une réforme, qui interpelle encore plus d’acteurs, qui viendra changer cet état de fait.
Pour certains, la réforme a le mérite de faire valoir l’éducation sexuelle comme étant l’affaire de tout le monde. Cependant, en étant sous la responsabilité de tous, elle risque aussi de n’être l’affaire de personne. La collaboration entre divers professionnels (enseignants, infirmières, intervenants psychosociaux, organismes communautaires, etc.) est fortement recommandée et souhaitée. Or, la culture de la collaboration n’est pas nécessairement un acquis dans le milieu scolaire. Les infirmières scolaires ont de moins en moins de temps pour l’éducation sexuelle, leur priorité étant souvent déterminée par les campagnes de santé publique. De plus, les professeurs, souvent débordés, orientent largement leur enseignement en fonction de ce qui est évalué par le ministère de l’Éducation et l’éducation sexuelle n’en fait pas partie. Des professeurs d’éducation physique auront-ils le loisir de réfléchir avec leurs élèves sur ce genre de thématique alors qu’ils ont déjà très peu d’heures allouées pour l’activité physique ?
La réforme semble aussi faire fi du fait qu’encore aujourd’hui, tous ne sont pas à l’aise d’aborder les questions liées à la sexualité. Certains enseignants craignent de ne pas posséder suffisamment de connaissances et d’afficher leur ignorance devant leurs élèves. D’autres ne savent pas quelle attitude adopter face à des questions plus délicates ou controversées. Le ministère de l’Éducation a bien organisé une tournée de formation à travers le Québec mais ce ne sont pas toutes les commissions scolaires qui y ont fait appel ni tout le corps professoral qui y a eu accès.
Alors que l’éducation sexuelle devrait être considérée comme un droit social et collectif, le modèle proposé demeure complètement aléatoire et repose sur la bonne volonté de personnes qui doivent être obstinément motivées pour voir à la réalisation d’une démarche cohérente et significative. Ainsi, les jeunes seront exposés, ou non, à l’éducation sexuelle en fonction de la bonne volonté des intervenants de leur école. Il devient quasi impossible de savoir ou même d’évaluer les réflexions, les connaissances, les questionnements auxquels ils et elles auront été exposés.
L’omniprésence des médias et le développement rapide du cybersexe, entre autres, ont influencé le type de préoccupations des jeunes. Ces derniers ont besoin d’informations et de points de repère de la part d’adultes ayant des convictions éprouvées du bien-fondé d’une démarche d’éducation à la sexualité. Malheureusement, pour y arriver, il est impossible de se fier entièrement au système scolaire, pourtant seul garant d’une telle éducation.
[1] Tous ces exemples sont tirés textuellement du document L’éducation à la sexualité dans le contexte de la réforme de l’éducation, Gouvernement du Québec, 2003.