Une décentralisation... sans démocratisation

No 002 - nov. / déc. 2003

Montréal

Une décentralisation... sans démocratisation

par Ève Gauthier

Ève Gauthier

Dans la foulée des débats entourant la loi sur les défusions municipales, les questions de démocratie municipale sont au cœur de l’actualité. Sous cette épée de Damoclès que représente le projet de loi 9, l’administration Tremblay présentait en septembre dernier son plan de réorganisation pour la ville de Montréal. Qualifié par plusieurs d’opération de charme auprès des conseillers des anciennes villes de banlieue, le plan est surtout une occasion ratée d’établir de véritables espaces de participation citoyenne.

D’entrée de jeu, le titre du modèle d’organisation municipale Montréal, une ville à réussir ensemble est discordant par rapport au contenu qui y est développé. En effet, la vision proposée est celle d’une ville pourvoyeuse de services où le citoyen est perçu comme un bénéficiaire ou un usager. De plus, bien qu’il soit énoncé que le citoyen doit être placé au centre de l’administration, aucun cadre de consultation et de participation publique n’a été établi.

Le plan Tremblay est couramment appelé « plan de décentralisation », puisqu’il vient concéder de nouveaux pouvoirs aux arrondissements. À l’époque du RCM, son aile progressiste percevait la décentralisation comme un outil nécessaire à la démocratisation, permettant l’exercice d’un véritable pouvoir par les citoyens. Source de conflits, cet élément du programme initial n’avait jamais vu le jour. C’est pourquoi plusieurs intervenants des mouvements urbains saluent maintenant cette réelle initiative de décentralisation, comme le premier pas vers le renforcement de la démocratie locale. Toutefois, dans le plan actuel, cette décentralisation n’est pas accompagnée de sa sœur jumelle, la démocratisation, comme le fait remarquer Dimitri Roussopoulos, président de la Société de développement communautaire de Montréal (SodecM).

Renforcer le pouvoir des élus

S’il est vrai que les arrondissements se voient concéder davantage de pouvoirs tel que la gestion des services de proximité, l’élection du président d’arrondissement (autrefois nommé), l’élaboration de son propre modèle organisationnel ou le pouvoir de prélever une taxe spéciale, ces nouveaux pouvoirs ne sont concédés que dans une perspective de renforcement du pouvoir des élus et aucunement dans celle d’accorder véritablement le pouvoir à l’arrondissement et aux citoyens qui y vivent.

En laissant le soin aux arrondissements d’élaborer leur propre modèle organisationnel, incluant la possibilité d’établir des instances de consultation publique et la tenue de référendums, le plan vient confirmer ce qui existait déjà dans la loi 170 sur les fusions. Cette mesure peut effectivement favoriser une plus grande participation des citoyens et citoyennes, mais uniquement selon le bon vouloir des élus en place, puisque aucun mécanisme de consultation et de participation publique n’est prévu ni obligatoire.

Ainsi, dans des arrondissements où l’on retrouve une combinaison de conseillers municipaux davantage progressistes et des mouvements communautaires et citoyens forts, il est possible de retrouver des exercices de démocratie participative intéressants. C’est le cas de Notre-Dame-de-Grâce–Côte-des-Neiges où, à l’initiative du conseiller de l’UCIM Marvin Rotrand, un exercice de budget participatif a été mené avec les citoyens au printemps dernier. C’est également le cas dans Plateau Mont-Royal où, du 29 septembre au 5 octobre dernier, s’est tenue une semaine de consultation sur le plan d’urbanisme de l’arrondissement à laquelle ont participé plus de 400 personnes. La démarche, originale dans le contexte montréalais, consistait à consulter les citoyens en amont des décisions, c’est-à-dire avant même que ne soit élaborée la révision du plan. Si la suite de la démarche est respectée par les fonctionnaires, les citoyens et citoyennes auront donc participé à la conception et à l’élaboration de la révision du plan plutôt que de ne s’être que prononcés sur un plan déjà tout écrit. Cependant, il est possible d’en douter si l’on se fie au rapport produit en février 2003 sur la démocratie participative dans l’arrondissement et qui est demeuré lettre morte, puisque, semble-t-il, la démocratie serait dispendieuse.

Une lacune de taille

Ces deux cas posent par ailleurs la question de l’équité entre les arrondissements. En effet, les résidants de ces deux arrondissements ont un plus grand droit de regard et un pouvoir de participation plus important que ceux des autres arrondissements où de telles initiatives ne sont ni mises en place, ni même souhaitées par les élus. Marvin Rotrand concède que l’absence de critères minimaux obligeant la consultation des citoyens est une lacune importante du plan. Il soutient toutefois que l’un des éléments positifs du plan est le fait que les élus de l’arrondissement deviennent responsables de leur modèle d’intervention et ainsi plus redevables à la population puisqu’ils ne pourront plus se réfugier derrière l’excuse « c’est la faute à la ville centre ».

Si ce problème d’équité entre les arrondissements se reflète dans les niveaux de participation citoyenne, il se reflète également au niveau de la représentativité, comme le souligne Anne Latendresse, professeure au département de Géographie à l’UQAM. En effet, les citoyens des anciennes banlieues sont deux fois plus représentés au conseil municipal avec 1 élu pour 12 000 habitants contre 1 pour 26 000 dans les arrondissements de l’ancienne ville. Au conseil exécutif, la disproportion est encore plus grande. Selon elle, l’iniquité entre les arrondissements est également maintenue par un troisième élément : le pouvoir de prélever une taxe spéciale afin de particulariser des services de proximité. Avec cette mesure, les arrondissements mieux nantis et dotés de meilleurs services pourront les maintenir en prélevant cette taxe spéciale et rien n’est prévu, hormis dans une certaine mesure le fond de péréquation, pour répartir les richesses vers les arrondissements moins bien nantis.

Décentralisation ou démocratisation

Par ailleurs, il y a eu avancement dans le domaine de la décentralisation, mais rien au dans celui de la démocratisation. L’option envisagée par le maire pour l’arrondissement du centre-ville en est un bel exemple. Le maire envisage de s’autoproclamer membre du conseil de cet arrondissement, en plus d’y nommer deux membres du comité exécutif, laissant deux sièges sur cinq aux conseillers élus par la population de l’arrondissement. De plus, le projet prévoit l’amputation d’une partie des quartiers limitrophes et leur annexion à l’actuel centre-ville. Bien sûr, le processus de consultations sur le projet est risible, n’ayant pas été annoncé et laissant une semaine pour la préparation de commentaires et de mémoires.

En septembre dernier, à l’initiative du Groupe de recherche sur la démocratie municipale et la citoyenneté, une cinquantaine d’individus avaient signé une lettre ouverte exigeant des consultations publiques sur le plan ainsi que l’inclusion d’amendements visant l’instauration de mécanismes de consultation et de participation citoyenne. Cette démarche est importante et doit se faire rapidement, puisque le plan doit normalement être adopté en décembre prochain par l’Assemblée nationale du Québec afin d’être inclus dans la Charte de la ville. L’ouverture qui avait alors été démontrée par l’administration Tremblay est restée lettre morte, sous prétexte qu’il fallait procéder rapidement avec la menace du projet de loi 9.

Ainsi donc, pas plus de démocratie participative pour Montréal. La vision de la décentralisation en cours actuellement n’a bien sûr rien à voir avec celle qui est proposée par les écologistes politiques. Et par ailleurs, que signifie vraiment la démocratie participative, quelles formes peut-elle prendre ? Tarso Genro, ancien maire de la Ville de Porto Alegre s’était demandé : comment démocratiser radicalement la démocratie ?, ce qui donna lieu à la conception du budget participatif, qui, malgré ses limites, demeure l’une des expériences les plus progressistes de démocratie participative initiée par une municipalité.

Du point de vue du municipalisme libertaire, la démocratie participative s’exige et se construit par la réappropriation citoyenne de la communauté. C’est en créant ruptures et contre-pouvoirs, ainsi qu’en construisant des espaces d’autogestion au sein de la communauté locale, et non pas en instituant des réformes, que pourront s’exercer le changement et l’exercice d’une réelle démocratie locale. Cette option libertaire fait d’ailleurs l’objet d’une des tendances marquées au sein du collectif D’abord Solidaires.

Plusieurs débats d’idées se déroulent présentement autour du concept de démocratie participative. À Bâbord ! se propose de vous en exposer, dans un prochain dossier, les tenants et aboutissants.

Thèmes de recherche Démocratie et espace public
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