Le paradoxe de la réforme de l’assistance-emploi
Travailler pour être sur le BS !
L’assistance sociale renvoie à l’idée d’un revenu minimal accordé aux individus dans le besoin. Le projet du gouvernement actuel de Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale 2003-2008 abolit cette référence au profit du rapport au travail.
La nouveauté de la réforme est, qu’à partir de 2008, les personnes inaptes au travail seront clairement distinguées des autres et relèveront d’une mesure spécifique : le « revenu de solidarité ». Il devrait établir une fois pour toutes leur droit à bénéficier de la solidarité collective et de mesures spécifiques d’insertion sociale.
Travaille ou crève
Pour tous les autres, incluant les parents d’enfants d’âge préscolaire et les travailleurs préretraités (abolition de la prestation supplémentaire de 111 $), plusieurs indices annoncent l’instauration d’un revenu garanti « hybride » puisque doublé d’une obligation de contrepartie. C’est alors que la référence aux besoins disparaîtrait puisque le soutien du revenu serait conditionnel à cette contrepartie.
Pour ce qui est du revenu garanti : premièrement, le gouvernement entend respecter un seuil maximal de réduction des prestations (418 $). Deuxièmement, les personnes inscrites à l’aide sociale pourront détenir des actifs financiers, sans que le montant de leurs épargnes n’interfère dans le calcul de leur prestation si l’épargne est investie dans l’achat d’une formation, d’une maison ou d’un travail autonome. Troisièmement, le gouvernement entend favoriser l’intégration au marché du travail en développant des incitatifs financiers pour tous les travailleurs à faible revenu (programme ACTIF), les prestataires de l’assistance-emploi (prestation majorée jusqu’à 200 $) et pour les anciens prestataires entrés sur le marché du travail (ils conservent pendant six mois la gratuité des médicaments et des soins dentaires, rétablis pour tous les bénéficiaires).
Pour ce qui est de la forme hybride, on doit retenir qu’à partir de 2005, tous les nouveaux inscrits à l’assistance-emploi seront obligés de s’engager à intégrer le marché du travail pour toucher ce revenu minimum. À cet égard, on annonce la création d’un programme spécifique pour les jeunes de moins de 25 ans (Alternative jeunesse).
L’effet pervers de cette approche « revenu garanti sous condition de contrepartie » serait l’augmentation du nombre de personnes absolument sans revenu.
Le travail à tout prix
L’articulation entre l’assistance sociale et le travail n’est pas nouvelle. Elle est plutôt fondamentale depuis le XVe siècle et elle va de pair avec la distinction entre les pauvres méritants – inaptes au travail – et les mauvais pauvres. Elle varie cependant selon le contexte en fonction de l’organisation du marché du travail, de l’évolution du système de protection sociale et de la famille. Depuis une vingtaine d’années, le niveau de chômage a augmenté, il concerne une variété de situations et de rapports au travail, tandis que les critères d’attribution de l’assurance-emploi ont été resserrés (fédéral). Bref, de plus en plus de sans-emploi doivent se rabattre sur l’assistance sociale pour s’assurer un revenu de base. C’est depuis 1985 que l’on peut suivre, au fil des réformes de la Loi de l’aide sociale (1989, 1998), le développement de l’obligation de travail pour les assistés sociaux. Comme le précédent gouvernement l’avait fait avec la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l’emploi et la solidarité sociale, tout le ciblage technobureaucratique des diverses catégories à risques et les volontés de lutte contre l’appauvrissement, la pauvreté, la reproduction de la pauvreté en milieu défavorisé et l’intégration des néo-Québécois ne servent finalement qu’à pointer en direction d’un marché du travail face auquel chacun devra se démerder.
Mais dans le cadre d’une telle approche individualisée du marché du travail, les analyses réalisées jusqu’à maintenant démontrent que les politiques de travail obligatoire n’induisent pas une amélioration significative des conditions de vie des assistés sociaux ou de leur lien au travail et ne contribuent pas à améliorer les conditions de travail de l’ensemble des salariés. Depuis une vingtaine d’années, on constate une segmentation du marché du travail et une concurrence accrue entre les travailleurs. C’est-à-dire que le marché du travail est actuellement défavorable aux travailleurs et qu’il exacerbe les inégalités en son sein. Or, les politiques de « travail à tout prix » accentuent ces tendances. Les grandes orientations néo-libérales de gestion de la main-d’œuvre et de l’économie selon lesquelles l’État se soumet aux mots d’ordre d’ouverture des marchés, de fiscalité efficace, de contrôle des dépenses publiques et d’assouplissement des normes de travail ne permettent pas d’envisager qu’il en aille autrement.
La question de l’intégration sociale est complexe, la remise en question du travail est nécessaire, tout autant qu’un brassage d’idées sur les questions de justice sociale contre les évidences absurdes de productivité et de richesses. Or les gouvernements québécois (celui-ci pas tellement plus qu’un autre) participent à la production d’un climat qui empêche non seulement de formuler ces questions mais qui nous en éloigne toujours davantage. €